Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

Saint Isidore par Arthur Maury

Saint Isidore

Les yeux rivés sur la ville, Luca demeurait impassible.
Son regard n'était plus celui d'un homme ; rien de la joie ou de la colère ne semblait l'avoir un jour habité. Il regardait au loin le clocher de la ville, les pigeons sur les toits... Son regard était vide de tout chagrin, étranger à toute peine, délavé de tout sentiment.
Depuis dès jours déjà, dans le bleu effacé de ses yeux, un mélange d'absence et de contemplation suggérait l'attente de la mort.
Un léger vent venait battre les mèches tombant sur son visage, et bien qu'il soit frais, le vent, ses pommettes restaient blêmes, aucunement écorchées par la brise hivernale.
Son visage amaigri n'était animé que de quelques battements de cils, du reste, il semblait figé dans le marbre. On eût dit une statue. Cette même froideur, dont on ne sait dire si elle est vie ou si elle est mort, l'habitait.
Luca regardait la ville comme on caresse l'éternel. Un dernier souffle et se serait la fin.
Il fermi les yeux, et du rebord du toit, laissa choir son corps dans le vide. La chute fût brève, et aussitôt la mort l'emporta.
٭ 
Dans la maison, le calme régnait. Aucun des membres de la famille n'osait parler, pas même la mère qui, en d'autre circonstance, avait coutume d'exaspérer les autres par d'interminables monologues.
Elle restait interdite, le regard lointain, psalmodiant sa douleur par d'infimes petits bruits, adressant sa rancune au seigneur et à tous les hommes. Ses yeux, continuellement brûlé des larmes de son corps, regardaient vers le ciel. Ils étaient plaintifs, rancuniers, disparaissant par moment sous d'épaisses larmes qui embrumaient sa vue avant de dévaler le long de son visage.
A force de pleurs, la tristesse l'avait fatiguée. Elle décida se retirer dans sa chambre et souleva la lourde charpente de son corps hors du fauteuil qu'elle occupait. Une fois debout, les spasmes et reniflements qui n'en finissaient plus de la secouer, manquèrent de la faire chanceler. Un de ses fils lui prêta main forte jusqu'à ce qu'elle soit rendue dans sa chambre, à l'étage, puis il redescendit au salon.
Il ne restait plus dans la pièce que les deux frères de Luca, Thomas et Antoine.
- Pourquoi a-t-il fait ça ? Lâcha Thomas, d'une voix étouffée qu'il adressait à lui même
Son frère l'entendit, et se tourna vers lui.
- C'est à cause de nous idiot. C'est à cause de nous qu'il est mort. Dans son regard brûlait une telle rage, mêlant des sentiments retenus, qu'il fît peur à Thomas.
- Non, non, tu mens, nous n'y sommes pour rien ! Elevant la voix, comme pour conjurer sa peur, il suppliait son frère de lui donner raison : Il n'est pas mort par nôtre faute, hein ? Dis-le qu'il n'est pas mort à cause nous... sa gorge se noua, et vainement il tenta de contenir son sanglot. Au lieu de mots, ce furent bientôt de petits bruits perçants, étouffés et perçants qui sortirent de sa bouche. Ses épaules se voutèrent et l'instant d'après il était accroupi sur le sol, à pleurer comme un enfant.
- Allons, relève-toi, lança Antoine d'un ton réprobateur, presque menaçant. Il supportait mal la faiblesse de son cadet, et le considéra un instant avec mépris.
Au bout d'un moment, Thomas se releva.
- Antoine... Un long frisson mêlé d'un reniflement l'interrompirent, puis Thomas continua : Antoine, qu'est-ce qu'on doit faire ? Faut-il en parler à notre mère ? Faut-il se livrer à la police ? Mais si notre mère l'apprend, elle nous répudiera ! Nous allons mourir !
Le ressac de son sanglot donnait à sa phrase une allure saccadée insupportable ; sa voix, chevrotante, était marquée par la peur et la culpabilité. Tel un enfant, Thomas étouffait sa détresse par une volubilité minable, à peine intelligible. La responsabilité de leur acte lui était insupportable, il voulait s'en dégager à tout prix, et la parole lui semblait être le seul exutoire.
- Mais tais-toi dont, imbécile ! Cesses de geindre comme un pleurnichard ! Nous sommes coupables de sa mort jusqu'à un certain point, mais nous ne l'avons tout de même pas poussé ! Et la « police », la police, mais que dis-tu là espèce d'idiot ! Elle ne nous concerne en rien ! Quant à notre mère, laisse-la en dehors de ça, elle est suffisamment accablée pour le moment.
Antoine contrôlait mal sa colère. Le timbre de sa voix se crispait au fur et à mesure qu'il parlait à son frère. Mais il parvint à se contrôler et à terminer d'une voix plus retenue :
- Nous devons taire cette histoire à jamais, l'enfouir on fond de nous et ne plus jamais l'évoquer. Tu m'entends ? Plus jamais !
Sur ces mots, et avant que le sang-froid ne l'abandonne, il quitta la salle.
Il ne voulait pas que Thomas vit cette même culpabilité qui le rongeait, apparaître dans les yeux de son frère. Il n'avait d'autre choix que d'être fort pour deux, puisque la place du faible était déjà distribuée. Paraître faible et laisser échapper un sanglot, se répandre en prières ou avouer sa culpabilité ne lui seraient d'aucune aide, il le savait.
Au sortir de la pièce, il prît son écharpe, enfila sa veste en cuir marron et se dirigea vers la sortie.
Thomas resta seul. Accablé, il s'allongea sur le divan, et s'endormit en sanglotant.

Dehors, Antoine alluma une cigarette et se mit en marche. La nuit tombait.



"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par Arthur Maury | Voir tous ses textes | Visite : 749

Coup de cœur : 13 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : deborah58

Ton histoire est captivante. Il y aura une suite j'espère ?! En tout cas, moi je l'attends avec impatience...

pseudo : Arthur Maury

c'est en cours. merci de ton avis!

pseudo : chollet mikael

Tu as réussi à installer le suspense en peu de mots, c'est bon.