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LA NOYEE DU VACCARES par AURELIA

LA NOYEE DU VACCARES

LA NOYEE DU VACCARES


Le mas aux murs blancs peints à la chaux, coiffés d'une toiture de tuiles roses aux tons vieillis, était posé au milieu d'un immense vignoble. Deux cyprès noirs plantés parallèlement ressemblaient à deux porteplumes apposant une signature au coin de l'habitation.

Plus loin en bordure des vignes le pacage des taureaux s'étendait avec ses clôtures électrifiées et l'on distinguait entre la houle des roseaux le miroitement glacé de l'étang qui délimitait la propriété.

Les silhouettes massives et noires des taureaux se distinguaient sur le fond verdoyant de la prairie. Très souvent le paysage était plombé par un rideau de brume épaisse s'élevant de la masse d'eau stagnante. Les contours des arbres et les abords de l'étang se noyaient alors dans un brouillard dense, diffusant une atmosphère lourde et pesante

C'était un matin pareil aux autres.

Le son grêle du réveil perça le silence qui enveloppait la maison endormie.
Il fallut plusieurs minutes avant que la porte du premier étage ne s'ouvrit et que ne retentisse un pas lourd dans l'escalier de bois.

La silhouette trapue qui s'encadra dans la porte de la cuisine envahissait tout l'espace. Les traits étaient rudes, les cheveux coupés en brosse et le regard encore embrumé de sommeil était souligné de cernes bistre.
L'homme poussa un grognement bref et bailla bruyamment. Il souleva l'ouverture de la cuisinière et tenta d'introduire une bûche dans l'intention de ranimer le feu qui couvait encore sous des braises incandescentes.

Il s'assit lourdement sur le banc de chêne, et s'accouda à la table de ferme immense qui occupait la moitié de la pièce .Il attendit pensivement que la cafetière posée sur le feu émette un petit ronronnement. Puis il remplit de café un grand bol orné de myosotis bleus et se prépara à consommer le petit- déjeuner.

Aucun bruit - Le silence était total dans le mas isolé.
Une demi-heure plus tard une démarche traînante glissa sur le sol du rez-de-chaussée et la mère apparut dans son peignoir en pilou aux teintes fanées. L'ourlet des manches effiloché révélait l'usure du vêtement et manifestait un manque évident de soin pour sa toilette.

Sans un mot ni un regard pour son fils, elle le contourna pour s'emparer de la cafetière. Les traits lourds étaient disgracieux.
Elle avait un regard étrange aux pupilles grises, et sa bouche aux lèvres minces partageait un visage triangulaire semblable à une tête de reptile. Des cheveux gris s'échappaient en mèches rares d'un chignon noué à la hâte.

Le silence lourd persistait entre eux et n'était troublé que par le tic-tac monotone de l'antique carillon au balancier de cuivre rouge. .Brusquement le fils se leva, salua sa mère sans un regard avant de se jeter dans la nuit opaque.
Le martèlement d'un galop retentit sur les dalles de la cour et le calme revint avec l'éloignement du cavalier.

La vieille commença à vaquer à ses occupations ménagères. Elle ne pouvait s'empêcher de tendre l'oreille, tout en gardant un œil sur les aiguilles de la pendule, et constatait avec une colère sourde et contenue, que ce matin, comme d'habitude, sa fille ne se manifestait pas pour attaquer les travaux domestiques qui lui incombaient. C'était une bonne à rien, une fainéante qu'elle supportait de plus en plus difficilement.
Elle enrageait de sentir que l'ascendant qu'elle avait exercé jusqu'alors sur elle commençait à trouver ses limites. Car la fille avait de qui tenir avec un tempérament bien trempé et rebelle. La vieille reconnaissait la forte personnalité d'Estelle qui lui ressemblait. Bien qu'elle s'en défende, elle en était flattée.
Pour le physique c'était bien différent. La mère avait toujours été laide et avait souffert de ses traits ingrats et de son corps tassé et disgracieux.
A vingt ans sa fille était d'une beauté insolente avec sa carnation laiteuse de rousse et sa crinière de lionne flamboyante. « Un corps à damner un saint » disait-on d'elle dans les alentours.
Les aiguilles paraissaient courir sur le cadran et aucune vie ne se manifestait dans la maison.
La mère grommela des injures, à voix basse, et fut stoppée dans son élan alors qu'elle allait tourner la clef, lorsque la porte s'ouvrit avec fracas sur Estelle qui la nargua avec aplomb.

Le regard vert magnétique était mis en valeur par les taches de son ambrées semées le long des joues et au creux des ailes du nez. Les yeux s'étiraient, énigmatiques, comme ceux des chats. Le sourire moqueur, prête à l'attaque, elle défia sa mère du coin de l'œil. Mais il n'y eu aucun éclat, cette dernière renonçait et refusait l'affrontement.

Le petit déjeuner fut rapidement avalé et Estelle sortit en balançant ses hanches avec provocation. La veille haussa les épaules, mais ne pu maitriser l'éclat meurtrier de ses yeux de souris, étincelant d'animosité.


CHAPITRE 2

La matinée s'avançait et la porte de la chambre du vieux restait obstinément close.
Après les rasades de « gnole » consommées la veille, cela n'avait rien de surprenant.
Comme à son habitude il cuvait les nombreux verres qui lui apportait sinon la joie, du moins l'assurance qu'il ne réfléchirait plus au naufrage de sa vie.
Une femme tyrannique qui n'avait cessé de l'humilier, un fils aîné aussi dur que la mère, un cadet demeuré et une fille avec laquelle il ne se sentait pas à l'aise en raison de la ressemblance avec sa femme. Sans omettre la charge de sa mère octogénaire devenue invalide.et muette.

Il n'y avait pas de quoi être fier de sa tribu. Il le savait et préférait se réfugier dans la douce inconscience de l'ivresse où il oubliait tous ses soucis et ses tourments.

L'heure tournait. Le moment redouté était venu où il fallait s'occuper de la grand-mère et la caler dans son fauteuil, devant la fenêtre, d'où elle pouvait observer tous les mouvements de la ferme.
Elle était muette depuis ce jour où on l'avait retrouvée inanimée, abattue par une congestion cérébrale. La parole ôtée, elle n'avait plus que son regard pour se persuader qu'elle vivait encore.

Sa belle fille ne l'aimait pas, plus encore, elle la détestait, depuis cet après midi de juillet, il y avait trente ans, où elle s'était rendue dans la grange pour y chercher un panier.

Toute la ferme faisait la sieste et le silence était total.

Soudain des cris et des râles amoureux avaient résonnés et la grand-mère avait croisé le regard haineux de sa bru, surprise dans les bras de ce journalier espagnol embauché pour les fenaisons.
Rien n'avait été dit.
Le silence avait muselé les deux femmes animées par la même haine. Mais l'importance de l'enjeu était la continuité du mas. Il fallait se taire ou briser l'union sacrée, disperser les biens, se séparer. La belle-mère connaissait le prix de son silence et bien que torturée de ressentiment, sachant son fils humilié et trompé, elle avait fait taire ses sentiments d'animosité pour préserver le domaine.
L'une et l'autre s'étaient interrogés sur la paternité du fils aîné. Leurs doutes avaient compliqués et augmentés l'agressivité de leurs rapports.
L'inquiétante et obsédante question tenait en quelques mots « qui était le véritable père de Jacques l'ainé ? ».
C'était une histoire vieille de trente ans, mais la plaie restait ouverte, et le mutisme forcé de la grand-mère n'avait pas amélioré leurs rapports. Après la paralysie, l'obligation de lui procurer les soins les plus élémentaires, exacerbait sa rancœur, et il n'était pas un jour qui ne passe sans qu'elle lui souhaitât la mort.

Mais contrairement à toute attente la santé de la grand-mère ne déclinait pas et chaque jour était une violence nouvelle en constatant qu'elle lutterait aussi longtemps qu'elle le pourrait pour jouir de cette vie qui n'en n'était plus une. Leurs regards s'accrochaient et leurs éclairs de haine rythmaient le quotidien.

Ce jour là, comme les précédents, et certainement encore pour de nombreux jours, elle avait aidé l'aïeule à basculer du lit à la chaise métallique et sa colère s'exprimait dans la violence avec laquelle elle la poussait à travers la grande salle, au risque de la faire chavirer.

Muette et impuissante la grand-mère se cramponnait aux montants du fauteuil.
Après avoir absorbé un bol de café et grignoté la tartine que sa bru lui avait presque jeté, résignée, elle se prépara à sa longue journée devant la fenêtre. Désespérément il ne se passait rien, chaque jour semblable à celui de la veille et pareil à celui du lendemain.
Le mas isolé de toute habitation était privé de toute visite d'autant plus que les propriétaires avaient la solide réputation d'être de singuliers voisins
Vivant en autarcie, personne ne s'aventurait volontairement sur leurs terres et le mystère qui les entourait était fermement verrouillé.

 


CHAPITRE 3

Guillaume regardait fixement le bout de ses pieds et paraissait déconcerté. Il se baissa pour jouer avec ses orteils et brusquement partit d'un rire strident aux modulations irrégulières.
Il se mit à courir autour du lit et s'arrêta soudain devant le miroir sans tain qui pourtant ne reflétait qu'une image imprécise. Il scruta les traits floutés et parut réfléchir sur ce portait qu'il ne reconnaissait pas.
Le reflet lui renvoyait un personnage aux faciès de mongol, les cheveux drus et hirsutes. Un cri de rage lui échappa et il tenta d'effacer, sans succès, le visage inconnu.
Après cet accès d'exaspération il s'affala sur le lit en désordre et fixant le plafond émit un son monocorde et plaintif.
Il voulait sortir mais la mère le lui interdisait quand elle pressentait la crise, Elle craignait qu'il ne se livre, comme à sa mauvaise habitude, à des actes de cruauté sur tous les êtres vivants qu'il rencontrait.

Il allait sur ses dix huit ans.
Bouleversée, et horrifiée sa sœur l'avait surpris lorsqu'il avait 12 ans jouant avec la dépouille d'un petit campagnol balancé à bout de bras auquel il avait crevé les yeux. L'année suivante il avait tenté de tuer le chat qui se chauffait au soleil contre la muraille.
Depuis ce jour sa mère s'obligeait à une surveillance intense craignant des débordements plus dramatiques et plus graves Un jour il avait échappé à sa vigilance et s'était enhardi jusqu'à la lisière du domaine .Estelle avait dû le ramener fermement au mas.

Dans l'état de fébrilité où il se trouvait lorsqu'il était en crise, une rencontre fortuite avec des promeneurs pouvait être dangereuse et pleine de conséquences. Il fallait donc le maîtriser et l'obliger à cette retraite forcée et nécessaire. Pour cette raison il détestait les deux femmes, elles qui avaient le pouvoir de lui imposer une loi qui le rendait fou. Il savait qu'un jour il se vengerait de ces humiliations et de leur autorité dominatrice.



CHAPITRE 4

Estelle prit la décision de se rendre au village. Son passage dans les rues n'était pas toujours bien accepté. Les regards étaient hostiles. Quelquefois les quolibets proférés à voix basse avec un air de conspiration malsaine, lui donnait envie de provoquer et répondre par des insultes aux attaques larvées, Mais elle réussissait à dominer sa colère. Elle comprenait d'instinct que son attitude méprisante d'insoumise les perturbait davantage.
Elle défiait leurs regards courroucés et affichait un aplomb insolent. Les hommes lorgnaient sa silhouette sensuelle d'un air hypocrite pour éviter de donner du crédit à la méfiance affichée de leurs épouses.


Elle en était consciente et ce jeu pervers pimentait sa vie.
Sa seule arme était le balancement de ses hanches qu'elle accentuait, jusqu'a devenir une véritable provocation. Les jours de grande déprime, lorsque l'atmosphère familiale devenait irrespirable, elle se ressourçait dans ces incursions provocatrices qui lui donnaient l'impression d'exister réellement.


La Renault Méhari à toit ouvert lui donnait une sensation de liberté, un peu comme si elle chevauchait l'étalon à la toison immaculée que son frère aîné Jacques gardait jalousement

Lors des sorties prolongées de son frère à la ville voisine, elle avait sellé le cheval qui l'avait emportée à travers les pacages et les champs désertiques qui longeaient l'étang.

Elle adorait ces courses interdites, cheveux au vent, respirant à pleins poumons l'odeur âcre des marais salants tout proches. L'animal faisait corps avec elle, et l'harmonie de leur relation était absolue. La chevauchée les unissait.et leur accordait un moment d'intense disponibilité.
Elle ne comprenait pas l'animosité exprimée par son frère aîné, toujours muré dans une solitude malsaine
Etrangement, la mère lui témoignait une indulgence bienveillante qu'elle ne manifestait à .aucun autre membre de la famille
Ils s'isolaient dans une complicité silencieuse et une connivence trop évidente. Pourquoi une telle attitude ? La question se posait à tous dans sa brutalité et finissait par accréditer les ragots colportés sur sa conception. Et si le mari n'était pas le géniteur ? Cette éventualité paraissait de plus en plus crédible.

Manifestement la famille se scindait en trois clans, D'un côté la mère était soutenue par le fils aîné, tandis qu'Estelle s'opposait à tous.
Guillaume le malade, ainsi que le père, plongé dans l'ivrognerie, composaient une seule équipe avec la grand-mère impotente et muette. Tous trois étaient exclus des activités familiales importantes.

L'atmosphère tendue était lourde de rancœurs et de menaces. Le moment où ils se réunissaient autour de la grande table de la cuisine n'apaisait en rien la charge émotionnelle et sournoise de leurs rapports.

Le père s'était levé avec difficulté et s'apprêtait à regagner sa chambre d'un pas légèrement chancelant.
Jacques l'apostropha pour lui signifier que sa présence serait indispensable le lendemain pour réunir et ramener le troupeau. C'était le jour de la fiesta des gitans, dans la petite cité nichée au creux des plages.

 

 

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Style : Nouvelle | Par AURELIA | Voir tous ses textes | Visite : 989

Coup de cœur : 12 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : senderain-pauline

JADORE !!! La noyée des vaccares devrait être publier et devenir un livre ! Jaimerais prendre contacte avec vous !

pseudo : AURELIA

Merci de l'intérêt que vous avez porté à mon recueil - effectivement mon intention est d'écrire un roman - j'arrive à la 120èpage - j'ai déjà publié "les Cigales se sont tues" - parie de texte dans MYTEXTE- merci de votre encouragement - je suis heureuse de lire les commentaires pour améliorer - encore merci - amicalement - AURELIA