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Le misanthrope par Arthur Maury

Le misanthrope

Ça faisait quelque temps déjà que je n'adressais plus la parole à personne. Je ne supportais plus les gens et ça commençait à se faire sentir dans ma façon d'exprimer mon ennui lorsqu'on me parlait, par ces petits gestes désinvoltes dans mon allure lorsqu'une connaissance s'approchait, convaincue du bien fondé d'échanger des balivernes sur la pluie et le beau temps. Quoique peu des personnes que je connaissais avant fussent capables se tenir à de telles généralités, la plupart me parlait de leur vie, sans chercher à savoir si ça m'intéressait, ou si j'écoutais.

Je n'écoutais plus de puis longtemps, mais ça ne suffisait pas. A croire qu'il existe un quota de monologue existentiel à remplir chaque jour. Que j'écoute ou que je chante, les gens continuaient inlassablement à raconter leurs petits tracas, leurs misères, leur misère. Trop dur à garder pour soi peut-être.

Je passais beaucoup de temps chez moi à regarder par la fenêtre, du haut du neuvième étage la vue était belle, les lumières de la ville illuminaient mon horizon la nuit et ça me suffisais. Je me parlais à moi-même quand je m'ennuyais, par l'intermédiaire d'un pigeon que j'ai appelé Jack, je faisais semblant qu'il m'écoute. Je lui racontais des balivernes, un peu de ma vie. Je suis humain moi aussi.

J'ai fini par ne plus m'arrêter de marcher lorsque je croisais quelqu'un, par exprimer clairement mon désintérêt pour les cas où je ne pouvais pas me sauver. Les gens ont fini par comprendre.Au bout d'un moment je me suis senti seul, mais l'idée de quitter ma solitude me répugnait. Jack ne me rendais plus souvent visite, d'autres pigeons venaient et je me faisais croire que c'était Jack, pour parler un peu.Et puis est venu un jour où il n'y a plus eu de pigeons du tout. Le froid, le camion qui circulait avec un haut-parleur sur lequel passait en boucle l'enregistrement d'un cri de buse, ou alors ma volubilité assassine.

Je ne sais pas ce qui a causé le départ de Jack et de ses semblables, mais je me retrouvais tout seul en haut de mon immeuble, tout seul devant la ville, tout seul avec ces mots mal mâchonnés dans ma bouche. Je me faisais grabataire avant l'âge, à marmonner tout seul dans mon coin, on aurait dit un vieux cinglé, un de ceux qu'on croise dans la rue et qu'on ne prend plus vraiment pour un être humain, devant qui on se demande ce qu'avait été son enfance, si il avait été un jour normal, ou s'il était né dans la rue à cet âge indéfinissable, une bouteille à la main et le visage fripé.

Je n'étais pas dans la rue, je ne buvais pas non plus, je n'étais même pas vieux. Mais j'étais aussi condamné à la solitude que ces gens que l'on croise assis sur le bord du trottoir entre deux cartons. Je n'avais que l'argent de plus qu'eux.

J'étais seul et contraint de l'être, je ne savais souffrir aucune compagnie quelle qu'elle soit. Je ne supportais pas même la compagnie des comptoirs, de celles des barmen ou des ivrognes c'est la même. Le regard inquisiteur des gens dans le bus, et la vue de la foule.
Quant à la solitude, elle m'exaspérait de plus en plus. Elle emplissait mes journées, se sentait la bienvenue dans chacun de mes actes, se glissait dans chacune de mes discussions avec les oiseaux que je voyais au loin s'envoler. Elle essayait de me noyer.

Et puis je me suis décidé à supprimer cette solitude, à la descendre comme on shoot un chevreuil sur l'autoroute, à toute vitesse.
Je suis parti à la recherche de Jack

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Style : Nouvelle | Par Arthur Maury | Voir tous ses textes | Visite : 763

Coup de cœur : 13 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : deborah58

J'ai été trés émue à la lecture de ta nouvelle, que personnellement j'ai trouvé trés bien écrite.Ce que j'ai aimé dans ta manière d'écrire, c'est surtout la capacité que tu as à décrire les sentiments humains, à nous faire pénétrer à l'intèrieur des êtres...Vraiment interessant ! Bravo !

pseudo : david

C'est une belle leçon de vie, nous aurions tous surement à gagner d'une vie de solitude, si courte puisse t- elle être, nous retourner un peu sur les choses essentielles, pour effacer l'inconvenue. Merci.

pseudo : Gabrielle

bravo.