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LES CIGALES SE SONT TUES par AURELIA

LES CIGALES SE SONT TUES

9 février 1901.

Le nouveau siècle débutait sous une violente tempête de neige.

Des flocons très denses avaient rapidement recouvert les rues du village qui soudains devinrent silencieuses, comme enveloppées das du coton.

Toute vie cessa.

Quelques corbeaux au croassement sinistre et inquiétant volaient bas, rasant les toits.

D'autres s'étaient rassemblés sur les branches dénudées d'un ormeau. Ils regardaient fixement de leurs méchantes pupilles jaunes les quelques rares villageois courageux qui pataugaient dans la neige épaisse. Seuls leurs cris lugubres déchiraient le silence.

La nuit avait été longue, l'accouchement laborieux et pénible. Epuisée par le travail et rongée par la tuberculose  sa mère l'avait mise au monde dans une petite maison de village à trois étages, insalubre, inconfortable à la façade tâchée de gris et de brun, signe de vétusté. 

Deux petites feneêtres aux vitres givrées s'ouvraient sur une cour humide dans laquelle s'amoncelaient des piles de bois, dissimulées ce matin sous la couche neigeuse.

Dans un coin sombre, un chien sale aux poils raides et noirs, paaissait dormir tout en surveillant l'entrée, prêt à bondir.

Le village sommeillait sous une couette blanche et duveteuse.

Un silence minéral éteignait toute vie. 

La mère avait hurlé toute la nuit.

A l'aube une masse sombre barra l'horizon.

Assistée de la matrone qui procédait à chaque naissance dans le village, elle avait expulsé le petit être fragile qui était né dans un grand cri de colère. Perplexe, la sage femme avait examiné le petit corps ensanglanté et chétif ne sachant s'il fallait se réjouir ou se plaindre de cette naissance si perturbée.

Le poêle à bois chargé d'une énorme brassée de bois de chêne ronflait joyeusement.

Une chaleur bienfaisante s'était répandue dans la chambre, ranimant la mère et colorant ses joues livides d'un voile rosé. Des veinules bleutées striaient son fin visage, ses yeux noirs, cernés de bistre, s'était détournés de la petite fille qui lui était tendue.

Dans un soupir elle s'était tournée vers le mur.

Car elle ne l'avait pas désirée cette petite

« chose » après les autres naissances représentant déjà un lourd fardeau pour elle et son homme.

D'ailleurs il ne s'était pas privé de lui en faire amèrement le reproche Elle s'était sentie coupable de cette grossesse alors qu'ils étaient si pauvres et qu'elle se savait si malade.

D'instinct elle ne voulait pas s'attacher, si peu que ce soit, à ce bébé qui venait perturber leur quotidien déjà si précaire; Elle se sentait si lasse et si désespérée qu'il lui était impossible de ressentir le moindre élan d'amour. Ce serait non définitivement.

 

C'est dans ce climat de révolte et de tension que Maria grandit, appréhendant sa position d'exclue avec une grande sérénité et une résignation exemplaire.

Au fil des jours, interminables dans leur monotonie, elle surveillait anxieusement sa mère et les quintes de toux toujours plus nombreuses qui la laissait épuisée et exsangue.

Chaque jour, patiemment, elle s'attachait à l'entourer de son amour. Elle essuyait son front inondé de sueur et brûlant de fièvre dans un geste de compassion et d'apaisement.

Mais rien ne semblait ralentir la marche inexorable de la maladie. Elle comprenait d'instinct que son immense amour serait inutile et que la mort aurait le dernier mot.

Toutes les nuits les sanglots étouffés de sa mère succédaient à cette interminable toux rauque qui la déchirait en lui arrachant un cri dans un vomissement de sang. 

L'agonie dura longtemps, trop longtemps.

 

Une nuit où la pluie n'avait cessé de tomber, battant les volets rageusement, elle s'était endormie épuisée, bercée par le ronflement du poêle. Elle avait espéré que la chaleur répandue dans la pièce apaiserait les douleurs du corps épuisé et fébrile de sa mère.

Au milieu de la nuit le cri lugubre d'un chat huant l'avait poussée hors du lit.

A tâtons elle s'était glissée, pieds nus, vers la chambre d'où filtrait une lueur Un silence pesant régnait dans la pièce refroidie. Mue d'un pressentiment funeste elle s'était avancée, oppressée par l'angoisse, retenant son souffle.

Sur le lit ravagé, sa mère reposait froide et blanche comme une statue d'albâtre.

Sa main se retira brusquement au contact de la peau glaciale. Elle la regardait mais ne réalisait pas encore l'immensité de sa douleur, et le chagrin encore tapi au fond de son coeur, désertait sa conscience.

Ce n'était pas sa mère, ça ne devait pas être elle.

Elle ne se souvenait plus du cri inhumain qui lui avait déchiré la poitrine. Elle avait appelé son père, ses frères, sa sœur, tout en restant figée dans sa douleur. Muette, repoussée, ignorée, elle les regarda s'activer pour rendre la tenue de sa mère plus décente.

Selon sa dernière volonté elle fut revêtue de sa longue robe de mariée.

Son visage était empreint d'une sérénité étonnante après les souffrances qui l'avaient consumée. Comme elle était belle dans sa toilette de noce immaculée.

Maria se souvint de ce jour lugubre noyé de pluie où ils avaient suivi, accablés, le corbillard tiré par une haridelle aux côtes saillantes.

Ils avaient tous fait face courageusement, soutenus par quelques rares voisins compatissants, décidés à braver les éléments.

Son père, tête nue, faisait rouler son feutre noir d'une main qui tremblait, et son visage buriné exprimait une souffrance insupportable.

Les yeux secs, il marchait, fixant l'arrière du chariot, dans lequel le cercueil recouvert d'un drap noir se balançait au rythme des cahots du chemin.

Tous, petits et grands, étaient raidis et immobiles, pétrifiés par le chagrin, exprimant une douleur silencieuse devant le trou béant qui les plongeait dans le désespoir.

Le curé avait brièvement récité les prières destinées aux défunts, pressé de retrouver la tiédeur de son presbytère.

L'enfant de coeur s'agrippait à la croix qui épousait le balancement tumultueux des éléments déchaînés.

Des ruisseaux de pluie jaunâtre dévalaient le long de l'allée centrale, et rebondissaient sur le cercueil de bois de hêtre dans un bruit de tambour incongru.

Courageusement elle avait tendu ses mains, ses joues, pour des condoléances mouillées et apitoyées. Elle se sentait totalement étrangère, ailleurs, perdue dans sa souffrance.

Le retour du cimetière avait été pour elle un douloureux chemin de croix.

Les arbres ployés sous les bourrasques, les rigoles d'eaux boueuses et le vent qui plaquait sa robe sur son corps malingre de petite fille pauvre, tout ce décor sinistre ajoutait à sa peine et à son chagrin.

Qu'allait-elle devenir sans sa mère ?

Elle avait encore tant besoin d'une maman. Pourquoi le ciel si souvent sollicité était-il resté sourd à ses prières ? Il lui semblait que son corps se figeait comme celui d'une statue. Elle ne ressentait plus rien qu'un immense désespoir et une sensation de vide.

Ce souvenir corrosif avait attaqué ses forces vives et persistait à la hanter malgré le temps qui passait.

Le retour fut morne et désespéré.

La maison glacée, les murs marbrés ça et là de tâches sombres dues à l'humidité, le poêle éteint, toute la maison semblait en deuil de la mère.

Dans un geste de tendresse sa soeur essaya de la prendre dans ses bras pour la rassurer. Elle tentait de lui exprimer par ce comportement le soutien qu'elle voulait lui apporter. Ce geste déclencha ses larmes et c'est à cet instant qu'elle réalisa que sa mère serait absente, définitivement. Rageusement elle courut se jeter sur le lit en fer qui grinça sous le choc.

Son père, avait quitté la pièce sans un mot de consolation pour ses enfants.

Sa douleur l'isolait des siens et il préférait la solitude de sa chambre pour essayer d'oublier que désormais il serait seul pour faire face à l'avenir et assurer le quotidien de sa famille.

Les deux frères avaient pris le parti du courage. L'aîné était sorti récupérer du bois pour ranimer le feu. Le second s'activait à la préparation d'un maigre repas. Il fallait survivre à ce malheur puisque les adultes n'étaient plus là.

Elle avait gémi comme un petit animal blessé et ses sanglots convulsifs ne s'étaient calmés qu'au petit jour.

CHAPITRE 2

 

Les jours passèrent. Elle grandit.

 

 

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Style : Nouvelle | Par AURELIA | Voir tous ses textes | Visite : 1154

Coup de cœur : 12 / Technique : 12

Commentaires :

pseudo : Fendjel Abdelmadjid

Félicitations Madame!Quelle fascinante machine à remonter le temps!Vous êtes très géniale,car vous avez su, en narratrice compétente et avec une habileté digne de compliments,décrire les souffrances indicibles qui précèdent la fatalité de la mort.Votre texte pathétique,qui m'a profondément ému,mérite non seulement une attention particulière,mais une publication en bonne et due forme.Bravo Aurelia!Et bon courage!