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Mon fils par muriel barkats

Mon fils

 

Je ne sais pas si mon état de santé maintiendra mes yeux ouverts jusqu'à ton arrivée. Je fais de mon mieux pour garder le souffle de vie en économisant mes gestes. Je repasse mon histoire comme un philtre d'amour. Je revisite les plus beaux instants passés avec ta mère, ton sourire et tes yeux déjà malicieux. Tu m'as offert des joies insoutenables. Seul l'armagnac pouvait accompagner ce feu d'amour. Rien, ni personne ne peux soupçonner la danse tribale qu'un cœur d'homme délivre à l'arrivée de son enfant. Tu n'étais pourtant pas le premier ni le dernier. Mais, j'ai su trés vite en ces temps que ce cri guerrier frappant ma poitrine était lié à toi, mon fils. Cette immense légende de l'amour filial incontournable entre un père et son fils, s'opérait entre nous.

J'appréhendais de ne pas être à la hauteur du père de tes rêves. J'avais l'intuition que je n'aurais pas le temps de t'offrir tout ce que tu me donnais envie de te transmettre. Tu avais déjà la force d'un homme dans ce petit corps de bébé qui gigotait dans mes bras. Ton regard soutenait le mien. Tu m'entraînais dans un océan de douceur et de tendresse. Je suis ton père! Je suis ton père! Je ne cessais de me répéter cela à voix haute en te prenant à témoin entre tes gazouillis. J'étais comme capturé, aimanté par toi. Comme si entre nous tout était clair depuis des siècles. Je pressentais l'assurance d'un projet. Celui de te montrer ce qu'il y a de meilleur en l'homme.

Je sondais mon coeur silencieusement pour te traduire un regard fertile sur l'humanité. Tout va bien mon fils, ta vie sera prospère. Je te répétais cela, comme si j'avais perçu une anxiété chez toi. Mon fils, mon gaillard, tu nous promettais des mains de bâtisseur. Je t'ai rêvé costaud et digne d'être un chef né. Je t'imaginais puissant avec une femme merveilleuse et des enfants que tu saurais largement assumer. Tu n'avais que quelques heures et je t'offrais déjà la vision d'un foyer harmonieux, d'un métier honorable, d'une maison bruyante et chaleureuse pour la sécurité de ta tribu. Je ne te laissais même pas le temps d'être un enfant insouciant. Tu as ouvert les vannes de mon cœur d'homme. Comme une faille épuisée par sa résistance à vouloir contenir l'amour d'un père comblé. Tu m'as ouvert l'horizon d'un grand père dans tes yeux.

Aujourd'hui, je me délivre avec ces souvenirs de bonheur, de joies intenses. Je me libère en me collant ton visage d'amour au plus profond de mon être. Je sais que la maladie va m'emporter sur les fleuves de l'oubli. Ta mère, déjà partie depuis dix sept ans doit m'attendre sur le seuil de la porte du vent. Je me force à maintenir notre film. Je te fais grandir à toute vitesse pour que tu puisses arriver avant mon dernier souffle. Je m'applique à ne pas atteindre de suite ta dix neuvième années pour te donner le temps d'être là. Pour te laisser prendre mes mains et me sourire une dernière fois. Je cultive le terrain de notre bonheur sans âge. Je garde pour seules traces la beauté et le plaisir de vivre dans l'abondance. Je maintiens les trésors de famille à porté de ton cœur. J'imagine que tu réussis ta vie d'homme dans la fortune avec les richesses de nos ancêtres. Je dépose les vœux d'une longévité de vie pour toi dans la santé pour que tu n'hérites point de cette maladie. J'ordonne à mes gènes de te laisser vivre en paix. Mourir à soixante huit ans sans revoir son fils de Dix neuf ans n'est pas réellement intéressant fiston. Offres-toi des rêves à des éons d'années lumières des miens. Je contact dans ce soupçon de vie qui m'échappent ; l'amour égoïste d'un père. Oui je me suis projeté sans considérer suffisamment de distance pour tes rêves à toi. Mon amour m'a joué des tours. Il m'a fait croire que je t'aimais pour ce que tu étais, alors que je te modelais à la vue de mon esprit.

 Je n'ai pas de regret quand je revois tes bagarres. Tu n'hésitais pas à te battre aux poings pour détruire mes limites. Ta passion pour l'haltérophilie épousait mes désirs de chef. Je ris, des claques que tu me donnais l'audace d'affirmer, moi qui me nourrissait de gentillesse. Les souvenirs défilent chargés de sentiments précieux et délicats. Mourir avec la présence de mon amour pour toi dans mon cœur, c'est mieux que de feuilleter un album. C'est plus vivant qu'un diaporama et encore plus interessant qu'un film.

Mon fiston, être un homme ne s'apprend pas du tout à l'armée et sûrement pas en faisant la guerre. Je te sais actuellement au Maroc. On t'a donné une permission pour venir au chevet de ton père agonisant que je suis. Je sais à présent que tu trouveras mon corps sans vie. Je te laisse cette lettre d'amour. Ta future fille l'écrira pour moi. C'est une idée inventée par ta mère. Elle m'a soufflé cette fiction aux portes de l'éternité avant d'expirer mon dernier souffle.

 Mémoire d'un amour inachevé maintenant assouvie de ton père Robin.

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Coup de cœur : 17 / Technique : 7

Commentaires :

pseudo : Clochette

Talentueux ecrivain vous êtes. L'émotion qui ressort de cette lettre est poignante.