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machine sentimentale par Arthur Maury

machine sentimentale

« Fichu sentiments ! » Jurait Luca dans sa barbe. L’énervement tendait les traits de son joli visage, cependant qu’un sourire sarcastique lui naissait au coin des lèvres.

Pourquoi faut-il que la seule personne capable de me mettre dans un tel état, soit en même temps la seule capable de remédier aux tourments qu’elle m’inspire. L’amour est un piège, un sentiment puissant dont le centre de gravité est l’être aimé. Hors de ce centre, pas un corps alentour pour apaiser mon âme. L’amour est religion, l’être aimé est prêtre, église et confession.

Saloperie sournoise !

Ce petit instant de lucidité avait inspiré à Luca un sourire sarcastique mais il n’en restait pas moins outrageusement agacé. Son esprit frondeur se rebellait contre l’idée de recourir à l’être aimé pour obtenir le pardon,  la grâce ou encore un genre de salut.

Le ventre lui brûlait de sentiments confus, de haine et d’amour qui se disputait sans concession. Pris dans la tourmente de ces contradictions, le corps de Luca demeurait impassible, bon rien qu’à fumer des cigarettes qui lui brûlaient la gorge.

Je déteste ça ! Comment peut-on être aussi dépend d’une seule et même personne, autant dans la souffrance que dans le bonheur. Il devrait exister des recours pénaux, des procédures inscrites dans la loi pour sortir d’un tel capharnaüm sentimental. Il faudrait machiniser tout ça, mettre des boutons partout pour stopper les sentiments comme on stop une ligne de production.

Et plus il y en pensait, plus il fulminait. Il savait comment voulait procéder la machine sentimentale pour réduire sa cadence et retrouver un cycle normal, il l’entendait lui murmurer son conseil. Va et vide ton sac, implore pardon, et termine dans la couche.

Mais Luca était bien las de cette solution, il se sentait esclave de cette chose qui le transcendait et le contrôlait, qui l’entrainait là où elle désirait le voir.

L’amour.

Mais comment ? se demandait Luca, comment a-t-on pu donner un nom si délicat à ce monstre d’ingérence qui vient sous prétexte de sentiment, conduire la vie à la place de l’homme qui la vit.

Luca avait eu une rixe verbale avec son amante au sujet d’un regard qu’elle avait eu trop insistant à l’égard d’un autre homme.

Il entendait cette machine sentimentale lui dire clairement ce qu’elle désirait : je veux que tu me plaignes auprès d’elle, que tu ailles et que tu lui montre à quel point je souffre. Use les mots les plus rudes, mets-la hors d’elle si il le faut, mais fait en sorte qu’elle sache ce que j’endure. Fais-la culpabiliser de ce regard comme s’il avait cloué le Christ à la croix et mis les juifs dans les camps. Soit monstrueux jusqu’à ce quelle ne puisse plus douter de la légitimité de ton acte. Alors elle s’excusera, menace de la quitter si il le faut, mais elle s’excusera et pleura de t’avoir tant fait souffrir.

Et dans son regard inquiète, noyé d’incompréhension et de la peur de te perdre, le dessus sur elle me reviendra et j’aurais ma vengeance.

Cette machine nietzschéenne en quête du sentiment de puissance agaçait Luca.

Il voulait le bien de cette fille, Laura, mais il ne supportait plus que le transport de ses sentiments se fasse par l’intermédiaire de cette monstrueuse machine sentimentale.

Il se sentait acculé contre un mur, sans arme pour faire face à l’intransigeante machine sentimentale.

Il la disait « machine » car elle fonctionne comme telle. Elle s’alimente d’une relation, agit de façon mécanique, et derrière le voile aveugle de l’amour, opère de façon cynique, décidée à atteindre le sentiment de puissance. Cette machine se croit en son droit peut importe la situation, elle réclame justice à tort et à travers, voit en chaque moment déplaisant une raison divine de se rebeller. Elle se fiche du rationnel, du contexte, et de tout ce qui attrait à l’usage de la raison. Le caprice est sa raison d’Etat.

 

 

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Coup de cœur : 8 / Technique : 9

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