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Là où le temps meurt par Arthur Maury

Là où le temps meurt

Les femmes sont des êtres particuliers pour nous les hommes.

Mon grand-père Andreï me répétait souvent cette phrase.

Il n’était pas vraiment mon grand-père mais  il vivait avec maman et moi, et il était tellement vieux. Ça ne pouvait être qu’un grand-père, mon grand-père, et avec maman nous l’avions adopté en tant que tel depuis longtemps. C’était un être cynique, désespéré et comme revanchard après un on ne sait quoi, ce qui ne plaisait plus à grand monde. Il était comme disaient les autres « d’un autre siècle ». Mais il était lui-même d’une façon si personnelle, cela plaisait beaucoup à maman, elle riait tout le temps avec lui.

Je m’en fichais pas mal moi du prétendu lien du sang, il était mon grand-père un point c’est tout.

Ma mère nourrissait beaucoup d’affection à son endroit, un peu comme une fille envers son père. Elle le grondait souvent. Comme dans bien des cas, passé un âge les parents deviennent les enfants de leurs enfants, et c’est ce qui faisait qu’elle semblait être sa fille. Grand-père ‘Anrï’ comme je l’appelais, je n’arrivais pas à dire son nom quand j’étais petit ; grand-père Anrï se faisait souvent gronder par maman, elle n’aimait pas trop qu’il me dise ces choses d’adulte sur les filles. Mais grand-père prétextait souvent qu’il fallait s’y prendre tôt dans l’éducation pour que je ne ressemble pas à cette racaille d’aujourd’hui, qui n’y comprenait plus rien à la séduction et même pire, à l’amour.

Alors quand elle partait travailler, ou sortait faire les courses, grand-père et moi faisions la mine de ceux qui allaient bien se tenir. Mais une fois tous les conseils de ma mère prodigués et la porte franchie, grand-père se tournait vers moi avec dans le regard une espièglerie telle, je frissonnais d’impatience. A chaque fois il commençait de cette façon : ce qui va se passer reste entre toi et moi mon petit Charlie (ou dès fois il m’appelait « petit bonhomme » aussi), j’ai ta parole d’homme ? me lançait-il pour conclure, avec cette profondeur, cette virilité qui lui brûlait dans le fond des yeux, un peu comme un Gabin.

Je me sentais comme un grand, un jeune coq marchant auprès de son maître, près à tout pour devenir son orgueil. Je n’aimais pas trop les autres garçons à l’école, mon grand-père Anrï comptait plus que tout. Alors quand il est mort, c’est sûr ça à changé beaucoup de choses. Il serait encore là grand-père Andreï, il dirait sur ça mort que c’est la faute à pas de bol, ou encore que c’est un coup des Bosch.

Il y avait une machine à laver dans la cave de notre immeuble, une Bosch, alors je comprenais jamais pour quoi il en avait tant après les machines à laver. C’est bien après, dans les livres d’histoire que j’ai compris. Malgré cela, les machines à laver ont toujours eues à mes yeux un je-ne-sais-quoi d’infréquentable.

 

Grand-père Andreï aimait parler des filles et je sentais qu’il n’en avait pas encore tout à fait finit avec elles. Malgré son grand âge, il se faisait toujours séduisant au possible lorsqu’il sortait. Il s’habillait avec beaucoup d’élégance, mais ça n’était pas tout, il me répétait souvent que la tenue vestimentaire c’était quelque chose, mais que le plus important c’était la façon dont on s’accordait à soi-même de l’importance. Il fallait s’habiller comme un prince autant que possible, mais surtout, marcher et se sentir comme un prince.

Il en avait de l’allure quand il marchait, il prétendait souvent qu’il descendait d’une lignée noble de son ancien pays là-bas, en Russie. Enfin, il est mort maintenant et lors de son arrivée en France, il a prit comme nom de famille Gaston, pour mieux s’intégrer à la République. Pas moyen d’en savoir plus sur son origine. Et puis à quoi bon en savoir plus là-dessus, ça ne changerait pas grand-chose vu qu’il est mort et que je n’ai plus 8 ans.

 

Je pense à lui ce soir, assis au bord de ma fenêtre. Le temps s’est enfui au loin, emportant toute cette vie qui a été la mienne. Ai-je vraiment vécu cela ?  Me dis-je à moi-même par instant. Il semble qu’on ne mesure le poids l’existence qu’après coup, avec des regrets et quelques satisfactions. Ce soir j’en ai des regrets qui vadrouillent dans ma tête, et surtout des questions. J’étais petit, il y a bien des choses que je n’ai pas comprises dans leur vie à maman et grand-père Andreï.

*

 

C’était il y a bien des années, lorsque que je marchais encore dans les rues aux côtés de grand-père Andreï et qu’il procédait à mon éducation. Le plus souvent ses excursions urbaines nous conduisaient au bistro ou au parc. Il en connaissait du monde dans les bistros mon grand-père, j’aimais ça.

Quand on est petit, le monde est englué dans un genre innocence enchanteresse. Mais avec le temps ça se détériore alors dans la mémoire pour se sauver, on se représente l’enfance comme un quelque part  bibliquement serein. Un genre d’absolu dépassé, un jardin d’Eden dont on a été expulsé à force de savoir le monde dans lequel on vit, avec tout ce qu’il a de moche.

Grand-père Anrï aimait beaucoup les gens dans les bistros, il les regardait avec beaucoup d’attention les ivrognes assis devant leurs galopins, à prêcher leur innocence sur un peu tout et pas grand-chose d’intéressant. Ils racontent beaucoup de choses ces gens-là, j’aimais rester là et les écouter des après-midi durant. Quand on est petit, on ne cherche pas à démêler le faux du vrai, on écoute c’est tout. Alors c’est du pain bénit pour ces gens qui noient leurs peines dans des verres si petits. Leurs vie, leurs erreurs sont tellement insignifiante, pas même un clapotis dans une marre à canard, alors ils vous parlent de merveilleux voyage en Afrique imaginaire des colonies, avec des éléphants qui traversent sans regarder les chemins fait par les hommes dans la savane, et des rhinocéros qui chargent les jeeps de safaris.

Ils en ont des rêves meurtris ces gens là, des futurs qui ne se sont pas présentés comme ils l’avaient souhaité. Grand-père leur montrait beaucoup de respect à ces gens, il riait à leur blague et toujours prenait leur parti. C’était la faute des politiques si la France allait mal et qu’ils arrivaient bourrés au boulot.

Il y avait de la misère de mauvaise qualité dans ces lieux, de celle qu’on ne plaint pas et qui n’a rien de dramatiquement prestigieux quand on la raconte. Elle ressemblait à un tas de crasse accumulée dans un coin et que l’on laisse là s’étoffer par paresse.

Grand-père sortait toujours de là avec un sourire triomphant que je trouvais incompréhensible.

 

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Style : Nouvelle | Par Arthur Maury | Voir tous ses textes | Visite : 532

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Commentaires :

pseudo : Karoloth

C'est tout simplement splendide. Tu as toute mon admiration Monsieur Maury. CDC, CDC,CDC,CDC,CDC,...

pseudo : Iloa

Tes mots nous font aimer ton Grand père...C'est très très beau. Merci à toi.

pseudo : Lunaire

Magique , cdc