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Elle par Minifaye

Elle

 

Elle portait une robe rouge dans le jour évanescent. Goutte de sang échappée sous l'habit d'émeraude de la forêt. Ses mains fines et fermes empoignent le guidon de son vélo d'enfance.

Elle ressemble à un coquelicot éclaté dans le soleil qui s'efface. Les couleurs s'étalent sur la palette du ciel, entre le bleu cobalt, le jaune nankin et le fushia.

A travers les branches, elle observe la bande carmin qui filtre sur l'azur rosé les mouvances de violet zinzolin. Comme une fenêtre ouvrant sur l'univers.

Un brusque coup de vent soulève sa robe pourprée dans l'intimité de la presque nuit, comme des pétales s'ouvrant délicieusement pour mieux savourer la chaleur déclinante du soleil.

Elle accélère le pas. Les premières étoiles éclosent. La bise la fait frémir, et le duvet sur sa peau s'hérisse légèrement. Un bleu marine velouté perce la voûte des nuages, la lumière blonde s'est fanée dans le firmament. Elle sourit au globe de feu tombant à l'horizon, aux oiseaux chantant la nuit qui s'éveille.

Les dernières feuilles des arbres tourbillonnent et périssent sur l'humus. Elle ralentit, se délectant du son des fanes qui craquent sous ses pieds, comme chaque jour depuis toujours.

Vide. La ville s'ouvre à elle, lui révélant ses rues étroites dénuées de sens. Elle erre, de son aura parfumée, au milieu de la nuit de jaie, éclairée par des réverbères imbéciles. Le vitrail de lumière et de nuances de la cathédrale Nature n'est plus que cendres. Elle hait la ville, cette si belle nuit gâchée par la lumière artificielle. Pourtant, c'était un soir magnifique. Mais elle ne le savait pas encore. Elle monte sur son vélo, lassée. Au détour d'une ruelle, elle aperçoit une ombre singulière sur les pavés. Elle descend. C'est un homme, là, qui l'observe de son palier.

Il la dévisage du haut de son perron, dans une obscurité complice qu'elle ne craint pas. Au contraire.

Les couleurs autour d'elle semblent s'estomper.

Ils remarquent à peine la brume qui embue leurs yeux étonnés, leur coeur qui tangue sur une mer soudain trop agitée. Immobile. Comme une plume attendrait le prochain mot, suspendue au dessus du papier.

Elle aimerait y écrire son nom, nommer le séraphin qui lui a sourit dans une chaleur feutrée. Mais elle ne dit rien, et il reste muet.

La plume effleure à nouveau le grain, continue son histoire, après cette plissure dans l'aquarelle du temps. Sans déchirure ni amertume.

Les couleurs se refondent dans sa pupille.

 

Elle pensera souvent à lui dans la fraîcheur moite du matin, pour mieux aimer le jour.

Elle esquissera longtemps ses contours, aux comptoirs des ports, dans la rue ou ailleurs. Avec le souvenir de lui, d'elle, d'eux. Ce tableau flou, figé au creu de sa mémoire.

Seule, perdue au milieu de tous et de personne, elle le dessinera, mais pas trop. Parce qu'au fond, sa féminité lui appartient.

Elle est peintre.

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Style : Nouvelle | Par Minifaye | Voir tous ses textes | Visite : 580

Coup de cœur : 11 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : Déméter

Les couleurs de la vie s'animent ici pour nous conter une rencontre, un regard saisi, compris...une présence qui sera matérialisée sur la toile avec toutes ces ambiances colorées ressenties. Un texte très visuel.