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La surprise par dextroman

La surprise

                                        

-   J’ai la tête lourde, je vais m’allonger un moment, fit Maude en plaquant une main sur son front.

-   Tu as raison ma chérie, répondit en Frank avec un sourire plein de compassion. J’espère que tu ne couves pas une nouvelle migraine ?…

-   Ne t’inquiètes pas, j’ai déjà pris un antidouleur.

Elle afficha un sourire espiègle :

-   Un peu de repos et je pourrai à nouveau grimper les murs !

Le visage de Frank s’illumina :

-   On les grimpera ensemble ! Tiens, pendant que tu te reposes, je vais en profiter pour aller faire quelques rangements chez moi en attendant la visite pour le salon.

-   Oui, tu dois préparer ton déménagement… Ou plutôt ta venue chez moi, fit-elle en l’enlaçant.

-   Et bientôt ce sera chez nous ! s’empressa-t-il d’ajouter en caressant ses cheveux et en plaquant ses lèvres contre les siennes.

 

   Puis il sortit du petit immeuble dans lequel habitait sa princesse qui depuis quelques mois illuminait sa vie et se dirigea d’un  pas enjoué vers sa voiture. Non seulement Maude était rayonnante de beauté, mais en plus ils avaient les mêmes centres d’intérêts, et, cerise sur le gâteau, ils étaient libres comme le vent, sans ex-conjoints au cul ou petits morveux à charge. À l’aube de leurs quarante ans, ils avaient encore toute la vie devant eux. Un bel avenir, qui, il en était sûr, rien ne viendrait gâcher.

Il démarra et obliqua sur la route principale en direction du Chef-lieu de la Gruyère.

Tout en roulant, une idée jaillit à son esprit et un sourire se dessina sur ses lèvres. Oh non ! Il n’allait pas tourner en rond dans son appartement à ranger quelques bagatelles, mais plutôt consacrer ces quelques heures à préparer une surprise à l’élue de son cœur ! Il l’avait averti à maintes reprises qu’il était plutôt nul en cuisine, ce qui était vrai, mais elle ne soupçonnait sûrement pas ses dons en pâtisserie. Il lui en avait vaguement parlé, en toute modestie, mais le moment était venu qu’il passe à l’action afin de lui faire goûter à cette chose succulente.

 

   Arrivé à Bulle, petite ville en pleine expansion frôlant les vingt-milles habitants, il bifurqua en direction du centre commercial et gara sa voiture sur le vaste parking extérieur. Il parcouru le magasin en fredonnant une chanson qui lui trottait dans la tête et sillonna les différents rayons afin de réunir tous les ingrédients pour réussir sa prouesse culinaire. Heureusement pour lui, il n’y avait pas grand monde dans cette grande surface en cette fin d’après-midi de semaine ; Il avait horreur de la foule. Une fois passé à la caisse, il s’empressa de rentrer chez lui.

 

-  Merde ! J’en étais sûr ! S’exclama-t-il avec dépit en ouvrant le frigo.

   Il ne s’était plus rappelé en faisant ses commissions que son frigo était vide, étant donné qu’il avait prévu de le dégivrer. Un énorme bloc de glace envahissait le freezer depuis quelques jours et menaçait de faire sauter la petite porte du compartiment à glace. Mais à vrai dire, il n’était pas pressé de tourner le bouton sur zéro et de voir ce glacier inonder sa cuisine en retournant à l’état liquide. C’est pourquoi il reportait à chaque fois au lendemain ce moment fatidique.

Dès lors, il n’avait plus une goutte de lait, ingrédient pourtant indispensable à sa préparation. Il décida donc de préchauffer le four et de foncer à la station service voisine afin d’acheter un demi-litre du précieux liquide blanc. Il s’empressa d’enfiler ses chaussures, verrouilla la porte d’entrée de son appartement, et fila en direction de la station.

 

   Quelques minutes plus tard, lorsqu’il revint, une mauvaise surprise l’attendait : Lorsqu’il enfonça la clé dans la serrure celle-ci refusa de tourner.

   « Allons donc ! Tu t’es encore trompé d’étage ! » pensa-il.

Il jeta un rapide coup d’œil sur la plaquette située juste en dessous du bouton de la sonnette, mais c’était bien son nom qui était inscrit. Son cœur s’accéléra et sa gorge se noua.

   « Allons, du calme ! » Le tambour n’est plus tout jeune, il suffit d’insister un peu ! »

Il retira et remit la clé plusieurs fois dans la serrure, tenta de la forcer à tourner à l’aide des deux mains, mais rien n’y fit.

  « Bon sang, mais c’est pas vrai ! »

Il se précipita dans le garage, s’empara de sa trousse à outils, et revint quelques instants plus tard, essoufflé.

  « À nous deux ! » Fit-il en brandissant une tenaille.

Mais il eut beau essayer de faire tourner la clé à l’aide de l’outil, celle-ci ne bougea pas d’un poil et était sur le point de plier.

Découragé, il laissa tomber la tenaille et demeura planté devant sa porte à fixer la serrure, les yeux hagards.

  « Ah tu voulais faire une surprise à ta bien aimée ! Eh bien tu l’as dans le cul et bien profond ! » Lui intima une petite voix.

Il songea à son four réglé à fond en train de surchauffer. Et pour couronner le tout, son téléphone portable était resté à l’intérieur. Impossible donc d’appeler un serrurier. Il se mit à tambouriner contre la porte avec l’infime espoir que cela débloquerait le mécanisme, lorsqu’une voix l’interpella :

   - Bonjour, un problème ?

C’était son voisin de palier, un homme basané, pas très grand, de corpulence athlétique. Diego Gomes, d’après le nom inscrit sur sa porte.

Frank leva les bras avec dépit.

  - En effet, je n’arrive plus à rentrer chez moi ! 

  - Sans blague ?

  - La serrure est coincée…

  L’homme s’approcha à son tour, de plus en plus intrigué.

  - Vous permettez que j’essaie ?

   Les deux hommes s’acharnèrent à tour de rôle après la serrure, sans succès. Frank observa bouche bée son voisin de palier faire entrer et ressortir la clé dans des mouvements de va-et-vient très rapides.

   « Purée, s’il met autant de vigueur au lit  avec sa femme, elle doit la sentir passer ! » Pensa-t-il.

   Mais celui-ci capitula à son tour.

   - Bon ! Je vais appeler le concierge, c’est un pote à moi, fit Diego avec son accent latin.

   - C’est gentil, mon téléphone est resté à l’intérieur, répondit Frank d’un air embarrassé.

 

   Après un cours échange téléphonique, le jeune Portugais raccrocha et afficha le sourire de quelqu’un qui vient de s’acquitter de sa bonne action de la journée :

   - Il va arriver d’ici dix minutes avec ses outils. Ne vous inquiétez pas, il a l’habitude !

   - Je ne sais pas comment vous remercier…

- Oh vous savez, entre voisins il faut s’entraider ! Bon, je vous laisse !

   Puis le petit homme se glissa dans son appartement et referma la porte derrière lui. Frank grimaça en entendant le tour de clé dans la serrure.

   « C’est pas juste, pourquoi ce n’est pas arrivé à lui ?»

   Puis il consulta sa montre. Dix-huit heures et deux minutes. Merde ! Avec ce contretemps, il en avait oublié la femme qui devait venir voir le canapé. Si elle était ponctuelle, elle devait être en train de poireauter devant l’immeuble depuis deux minutes.

   Il descendit quatre à quatre les marches de l’étage et se précipita dehors au moment où une jeune femme au visage crispé et à la démarche hésitante vint à sa rencontre.

   - Bonjour, vous venez pour le salon ? demanda-t-il poliment.

   - Oui…

   Il lui tendit la main:

   - Frank Keller.

   - Lena Borelli.

   Elle le dévisagea avec des yeux ronds sous ses longues mèches de cheveux  auburn, se demandant visiblement pourquoi il ne l’invitait pas à franchir la porte de l’immeuble. Au lieu de ça, il se dandina devant elle à la manière d’un enfant qui vient de commettre une grosse bourde et qui n’ose pas l’avouer à ses parents.

   - Euh, il y a comme un problème… Vous n’êtes pas pressée j’espère ?

   Il lui relata brièvement les faits et elle s’efforça d’en rire.

- C’est bien la première fois que j’entends un truc pareil !

- Oui mais ne vous inquiétez pas, le concierge va arriver d’une minute à l’autre.

   Il se mit à scruter la rue avec inquiétude tandis que la jeune femme sortait un paquet de cigarette de son sac à main.

- Vous en voulez une ? demanda-elle poliment.

- Non merci, j’ai cessé de fumer !

- Oh ! Et ça fait longtemps ?

- Presque un an.

- Bravo ! Mon père est mort du cancer. J’ai réussi à arrêter durant deux mois mais je viens de recommencer.

- Quel dommage ! fit Frank avec une grimace, incommodé par la fumée qui à présent le répugnait.

- Que voulez-vous, ce n’était pas le bon moment. Mon petit copain m’a plaqué et a emporté tous les meubles.

- Désolé !

- Vous n’y êtes pour rien ! Vous savez maintenant pourquoi je recherche un salon.

 

   À cet instant, une camionnette bifurqua lentement à l’angle de la rue et vint s’arrêter devant l’entrée de l’immeuble. Un homme de taille moyenne, assez maigre, en sortit. Il affichait un air inquiétant et faisait vaguement penser à Michael Myers dans Halloween.

« Le croquemitaine, il ne manquait plus que ça ! » pensa Frank.

L’homme fit le tour du véhicule, ouvrit la portière latérale et s’empara d’une boite à outils avant de venir à leur rencontre.

- Bonjour, fit Frank avec un sourire forcé.

Le concierge lui répondit d’un petit signe de la main.

- Quel étage ?

- Premier.

   Arrivé devant la porte, le gardien de l’immeuble fouilla dans sa mallette et en sortit un marteau et un burin. Frank le regarda avec stupéfaction tandis que la jeune femme se tenait un peu en retrait. Il s’était attendu à ce que le concierge opère avec une méthode un peu plus raffinée, comme par exemple en perçant des petits trous autour du cylindre, mais au lieu de ça il débarquait avec l’attirail d’un tailleur de pierres. D’un geste mesuré, il plaça le burin juste au dessous du tambour de la serrure et donna trois puissants coups de marteau, provoquant un bruit assourdissant. Puis la porte s’ouvrit enfin, lente et majestueuse, comme celle de la caverne d’Ali-Baba.  

Frank invita la jeune femme dans le salon tandis que le concierge ôtait l’ancien verrou.

 

- Je le prends ! fit Lena avec enthousiasme en se laissant tomber dans le vieux canapé en cuir. C’est exactement ce que je cherche !

- Vendu ! répondit Frank, qui était pressé de se débarrasser d’elle pour pouvoir enfin terminer sa tarte aux pommes.

- Je pourrais venir le chercher samedi à neuf heures ?

- C’est parfait, fit-il en la raccompagnant à la porte. Le « croquemitaine », qui finissait de monter le verrou de remplacement, gratifia la jeune femme d’un sourire de vieux carnassier. Puis une fois son travail terminé, Frank lui fila un pourboire et il partit à son tour.

 

- Ouf ! Enfin seul ! fit-il en regagnant sa cuisine d’un pas pressé.

   Il baissa la température du four, coupa les pommes en quartiers qu’il disposa soigneusement sur le fond de tarte, et mélangea les différents ingrédients pour faire la liaison.

Un large sourire aux lèvres, il déposa ensuite avec précaution sa pâtisserie dans le bas du four. Il se voyait déjà arriver chez sa bien-aimée avec sa tarte dans les mains, et le sourire qu’elle ferait en découvrant la chose.

 

   Une demi-heure plus tard, après avoir prévenu sa compagne de son retard, il sortit la tarte du four. Mais au moment où il s’apprêta à la déposer sur le buffet, celle-ci lui glissa des mains et tomba à ses pieds dans un bruit mat avec bien entendu la garniture côté carrelage.

Il lâcha un cri de rage et de désespoir :

   - La loi de Murphy, cette putain de loi de Murphy !

"Toute tartine beurrée livrée à elle-même tombera invariablement du côté beurré. Ça marche aussi avec de la confiture, et c'est encore plus efficace si vous avez un tapis en dessous »

  - Merde !

 

  D’un geste à la fois nerveux et délicat, il s’agenouilla devant ce qui restait de sa merveille culinaire et la retourna avec l’infime espoir qu’il pourrait encore sauver le coup, mais c’était peine perdue.

Il resta durant de longues secondes immobile à fixer le sol, ne sachant pas s’il devait rire ou pleurer, et se résigna finalement au fait que ce n’était pas son jour de chance.

 

   Puis, après avoir nettoyé le sol de sa cuisine, il grimpa dans sa voiture et fila en direction du village où habitait sa bien-aimée. Qu’allait-il lui dire pour justifier son retard ? Lui déballer ses piètres talents de cuisinier en accusant la fatalité ? Il aurait toujours pu lui offrir un bouquet de fleurs, mais à cette heure tardive tous les magasins étaient fermés.

Lorsqu’il parqua sa voiture devant le petit immeuble où elle résidait, le soleil n’était plus qu’une énorme boule de feu qui mourrait sur l’occident. L’été touchait à sa fin et l’automne pointait le bout de son nez avec sa symphonie de couleurs.

Il ouvrit la porte d’entrée et monta lentement les marches de l’étage. C’est alors qu’une douce odeur sucrée lui titilla les narines.

Lorsqu’il franchit la porte de l’appartement, Maude se précipita vers lui pour l’embrasser. Un parfum de vanille embaumait les lieux.

  - Alors, comment va ma princesse ? s’enquit-il.

  - Mieux ! D’ailleurs peu après ton départ j’ai eu tout à coup envie de te préparer une surprise… Viens !

 

   Elle le guida jusqu’à la cuisine et d’un geste espiègle ouvrit le frigo, découvrant ce qu’elle venait de préparer sous les yeux écarquillés de son amoureux :

Une succulente tarte aux pommes !

 

                                                                  FIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Coup de cœur : 9 / Technique : 9

Commentaires :

pseudo : quina

Une petite tranche de vie savoureuse... comme une tarte aux pommes...

pseudo : MOSFAN

Une histoire bien écrite et contée de façon très agréable,bravo!

pseudo : clo

trés beau texte merci et bravo..!!