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Perfection par Rémi

Perfection

            J’étais sur le point de passer ma 4e heure de code en prévision de mon examen le lendemain. Ayant passé une mauvaise nuit puis des heures fortes peu distrayantes à entourer des lettres en regardant un écran, j’étais assez fatigué de la journée.

            Puis elle entra. Sur le moment, je n’ai sûrement pas prêté attention à elle, peut-être même ne l’avais-je pas vu arriver. Cependant, il n’y avait qu’une entrée et ayant souvent fait l’expérience de pénétrer cet endroit je me doutai bien avec quelle nonchalance elle s’y était pris. Observant le peu de places restantes, j’enlevai mon sac à dos posé sous la chaise à ma droite en pensant pouvoir lui libérer un endroit où s’asseoir, tout cela par simple politesse. Je ne sais si elle le remarqua mais elle n’en fit rien puisque la chaise de gauche fut sa dernière décision. À ce moment-là, rien de particulier ne m’avait altéré si ce n’était une légère vague de dynamisme qui passait en moi. La série de questions allait débuter, quelques-uns d’entre nous allumèrent le petit appareil , dont elle et moi, qui nous servait à sélectionner et enregistrer les réponses. Ainsi, la monitrice demanda à chacun d’entre nous s’il était correctement allumé en nous nommant tous un par un. Lorsque vint son tour, j’appris son nom. Judith. J’avais un sourire intérieur car j’aimais bien ce prénom. Elle devenait donc Judith. Puis, étant donné que j’étais entre Judith et l’écran, je me retournai vers celle-ci, dans ma politesse, lui demandant si je la gênais. Cependant, je ne parlais pas fort et comme elle ne devait pas s’attendre à ce qu’on lui parle, je suppose qu’elle ne prit pas réellement garde à mes paroles. Je réitérai donc ma question.

            « Je ne vous gêne pas ?

-       Non, c’est bon. 

Cette première réponse que j’obtins d’elle, aussi négatif soit le mot, me paru comme quelque chose de céleste. Était-ce un ange qui me parlait ? Sa voix était d’un aigue comme l’on entend rarement si ce n’est jamais. Ce n’était pas d’un aigue exagéré, c’était une sonorité pure, c’était un son angélique. Si parfait que nos simples mots humains ne pourraient l’exprimer tant sa beauté était inatteignable. C’est à ce moment que je compris qu’un ange reposait près de moi.

            La série de questions débuta. Ce qui devait m’agacer ne m’effleurait même pas puisque j’avais l’unique chance de le pratiquer en présence céleste. Alors, j’accédais à un autre degré de conscience bien plus haut que celui que nous, mortels, possédons. J’étais capable de garder toute ma concentration. J’avais la faculté de suivre la suite de questions, y répondre avec toute l’attention dont je pouvais y adresser tout en pensant à mon idyllique voisine. Je pensais, je me berçais, j’imaginais quelle suite l’histoire pourrait avoir ou plutôt quelle suite j’aimerais qu’elle ait. Avec moi, c’était toujours la même chose. J’imaginais des scénarios bien arrangeants, des histoires à l’eau de rose, mais il n’arrivait rien, évidemment. Je rêvais et les rêves sont faits pour ne jamais être réalisés, c’est bien connu. Alors l’heure passait et, tout au long, cette heure qui pour moi n’avait pas cette même valeur puisque aucune conception du temps n’avait le pouvoir de déranger mon idyllisme, étant agrémenté des paroles de l’Ange Judith qui répondait aux questions de la monitrice. Inutile de dire que chacun de ses mots prononcés, si doux, me comblaient de joie. Cependant, j’en arrivai peu à peu à la désillusion. Après toute découverte si inhumaine, il est évident que cette étape est douloureuse. D’autant que plus l’illumination nous rend heureux, plus la séparation est poignante. La peine allait  alors être aussi cuisante, si ce n’était plus, que la joie constatée auparavant. J’imaginais naïvement qu’en sortant, l’Ange Judith m’interpellerait et, pour une raison inconnue et dont aucun de nous deux n’aurait besoin d’expliquer, elle me proposerait de l’accompagner pour discuter. Douce illusion par laquelle je me laissais bercer et dont j’aimerais être bercé encore plus longtemps, encore et encore. Le désenchantement fut sec et brut. La séance se termina, j’allais quitter mon Eden, avec regret. On dit souvent « Toute bonne chose a une fin ». C’est absolument vrai mais tout à fait détestable. Je sortis. Il faisait bon, mais l’air me parut insupportable. Il était beaucoup trop lourd puisque qu’il ne comportait pas l’Ange Judith. Je pris le passage piéton et m’engageai sur le trottoir. À peine ais-je fait deux pas que le Messie exécuta sa parole. Il prononça mon jugement.

            « Excusez-moi ?

Je me retournai, et prit conscience de ce que je savais déjà. L’ange Judith se tenait devant moi et, de sa voix aussi douce qu’exquise, daigna m’adresser la parole.

-       Euh, oui ?

J’avais honte de vouer d’aussi vilains mots à l’être de mes pensées.

-       Et bien… Vous allez vous moquer de moi mais…

-       Oui ?

-       Accepteriez-vous de m’accompagner ?

-       Vous accompagner ? Où donc ?

-       Nulle part. Simplement m’accompagner. Peu importe l’endroit, c’est juste pour discuter. Je ne sais pas d’où me vient ce désir soudain, mais j’avais envie de vous le demander.

-       Euh… C’est-à-dire que…

Je ne savais que lui répondre tant j’étais ébahi. La réponse était naturellement positive. Ma réaction était stupide, mais elle était humaine.

-       D’accord, je comprends, désolée de vous avoir déranger.

-       Non, je suis d’accord. J’accepte votre proposition.

Elle eut l’air très étonnée. Je suppose qu’elle devait l’être de ma réponse mais pas plus que je l’étais de sa demande. C’était au-delà de mes espérances. 

 

 

            La vie avait suivi son cours. Les choses s’étaient enchaînées rapidement. C’était comme si tout se faisait sans que j’en aie un quelconque pouvoir, comme si ma vie était déjà écrite, quelque part. Après avoir fait une rencontre aussi divine, plus rien ne m’étonnait et je pouvais croire à n’importe quoi y compris à Dieu et tout ce qui en suivait. Pourtant, avant cela, j’étais athée. Cependant, que ma vie se soit déroulée avec ou sans mon contrôle, je n’en étais pas du tout gêné. Bien au contraire, j’aimais comme je n’avais jamais aimé ma vie. J’étais marié avec la femme que j’aimais, celle que j’adorais le plus au monde, Judith, et j’étais père de la plus adorable des petites filles qu’on avait nommé Angelica. Mon épouse et moi-même avions le même âge c’est-à-dire 35 ans. Notre fille en avait 10. Je me souvenais très bien de son accouchement, le plus beau jour de notre vie. Ca ne pouvait pas se passer de meilleure façon. Quelques jours avant la date fixée pour l’accouchement, Judith était déjà à l’hôpital et notre petite Angelica vint le jour prévu.

            Quelques années auparavant, j’avais rencontré Judith de façon originale, pendant les grandes vacances. Nous ne nous sommes plus jamais séparés depuis ce jour. Nous sommes allés dans la même université, et y avons passé tous les deux cinq années. Au fur et à mesure des jours, mon bonheur grandissait et j’avais toutes les raisons de croire que je rêvais. Ce n’était pas le cas, et je connaissais la chance que j’avais.

            Mon parcours a fait de moi un professeur de langues et civilisations plus précisément d’anglais et de japonais en lycée. J’aimais beaucoup mon métier et, sans vouloir me jeter des fleurs, j’étais un bon enseignant. Mes élèves me respectaient et je savais imposer mon autorité. Mon épouse, Judith, était médecin dans la ville où nous sommes nés, où nous avons toujours vécu et où nous allons, sans regret, sûrement finir nos jours. Nous avions donc un train de vie assez aisé. Nous n’avions pas à nous plaindre de ce que nous possédions et ne nous plaignions pas. Nous vivions heureux. Angelica, notre enfant unique qu’on aimait plus que tout et dont on s’occupait beaucoup était une petite fille épanouie. Elle avait toujours d’excellents résultats scolaires : elle était première de toutes ses classes de primaire. Sur le point de passer au collège, nous étions un peu inquiets car elle semblait bien jeune pour passer au stade supérieur mais elle ne nous avait jamais déçu alors le doute disparaissait vite. Ma femme était un docteur très respecté et les gens de la ville l’aimait beaucoup. Cette ville était d’ailleurs l’épicentre de la bonté humaine. Tous les gens y étaient francs et honnêtes, gentils et doux. Même si nous vivions une bonne période à échelle nationale, notre communauté jouissait d’une stabilité économique impressionnante et rassurante. Ainsi, le taux de pauvreté était très faible si ce n’était pas inexistant et le peu de gens défavorisés se voyaient souvent aidés par les habitants. Ces habitants faisaient preuves d’une mentalité très correcte et la ville était très bien entretenue.

            J’aimais plus que tout Judith. Si ma vie avait pris ce tournant si radieux c’était sans aucun doute grâce à elle. J’admirais ce qu’elle avait fait de ma vie. Lors de ma première rencontre avec elle, je l’avais comparé à un ange. C’était toujours mon opinion sauf que la routine s’y était mêlée. Habituellement, quelque chose est exceptionnel lorsqu’il n’arrive pas souvent et c’est ce caractère singulier qui plaît car l’être humain aime ce qui est nouveau. Aussitôt donc que l’accoutumance s’ajoute à cette chose ou cet événement inhabituels, sa conception devient moins exaltante. Cependant, ce sentiment de singularité est toujours resté en moi, même après toutes ces années passées aux côtés de Judith. Elle restait un ange, elle était mon ange.

 

 

            Les cours étaient terminés et il ne restait plus que moi dans la salle, classant quelques copies d’élèves avant de repartir pour mon havre de paix. Ou bien devrais-je dire mon havre de paix principal car cette ville entière était un paradis. Simplement, il y avait quelques contraintes – absolument nécessaires – alors que mon foyer possédait toutes les caractéristiques que je concevais d’un El Dorado. Alors que mon classement touchait à sa fin, un bruit de pas, de talon plus exactement, se fit entendre à la porte. Je levai la tête vers son origine pour apercevoir une collègue de travail. C’était le professeur de mathématiques, une femme sympathique et charmante. Elle s’approcha de moi d’une allure très lente. Elle était vraiment belle, mais sa tenue m’obligeait plutôt à utiliser le terme d’aguichante, celle-ci utilisant et mettant en valeur ses charmes féminins. En effet, elle était toujours vêtue d’une jupe n’allant pas plus bas que les genoux et d’une chemise à grand décolleté. Je n’avais aucun jugement à porter sur elle, je n’aimais pas juger les gens, néanmoins son attitude envers moi-même m’a toujours quelque peu embarrassé. Elle se montrait toujours affective voir même très proche et j’avais parfois l’obligeance d’intervenir pour calmer les choses. Ce fut le cas ce jour-ci, encore.

            -    Comment allez vous aujourd’hui ?

-       Et bien, comme toujours, je vais très bien.

-       Ma parole, vous n’avez aucun souci ?

-       Je suis un homme comblé.

-       Ah oui…

Ces mots sonnaient très provocateurs dans sa bouche et je n’aimais pas la tournure que les choses prenaient. Alors elle s’approcha de moi et mis sa main sur mon épaule d’un façon très douce. Ces moments, qui devenaient de plus en plus fréquents, me mettaient très mal à l’aise car j’éprouvais de l’attirance envers cette femme. J’imaginais même parfois des choses malsaines auxquelles je ne voulais pas penser. Je n’étais plus moi et cela me faisait peur. Très rapidement, je me dégageai de sa prise et lui adressai mon mal à l’aise de la façon la plus civilisée dont je le pouvais :

  1. -       Veuillez m’excuser, mais ce n’est pas une attitude que deux collègues de travail doivent adopter. La journée est terminée et ma famille m’attend                chez moi.

-       Oh… Avez-vous une vie après le travail ?

-       Évidemment, elle est chez moi avec ma famille ! Bonne soirée. »

Le retour à la maison était le moment que j’aimais le plus. Être réceptionné par ma fille et mon épouse était une véritable récompense.

 

 

            Si nous passions nos soirées entières dans le salon, nous n’étions pas toujours chez nous les week-ends et jamais pendant les vacances. Généralement, je me débrouillais avant les vacances scolaires pour rendre tout ce que je devais à mes élèves et j‘étais exempté de travail pendant celles-ci. Ma femme s’arrangeait quelques fois avec un collègue pour se libérer. Lorsqu’elle en était dans l’impossibilité, je m’occupais d’Angelica seul.

            À trois, nous partions faire du tourisme dans tous les coins du pays. Nous faisions découvrir beaucoup de choses à notre fille qui ne demandait que cela. Parfois, elle prenait elle-même l’initiative de se renseigner sur des lieux touristiques intéressants grâce aux livres ou bien avec Internet pour nous proposer des endroits à visiter. C’était une enfant très maligne et très curieuse. Judith et moi aimons notre fille autant l’un que l’autre et, de même, elle nous adorait. Pourtant, de par nos différences d’horaires avec ma femme, je passais plus de temps avec Angelica. Lorsque nous n’étions que deux, je l’emmenais en ville : shopping, cinéma, promenades dans les parcs, et tout le reste. Cela ne me dérangeait pas de passer tant de temps avec elle.

Nous n’étions absolument pas croyants, mais nous respections les opinions et croyances de chacun et nous avons toujours été honnêtes envers notre fille. Les gens ne devraient pas inculquer leurs opinions à leurs enfants ni à qui que ce soit. Une fois, lorsque nous étions assis sur un blanc public, Angelica vint me demander :

-       Dis papa, je peux te poser une question ?

-       Je t’en prie, ma chérie.

-       Est-ce que c’est vrai que Dieu existe ?

-       Ah ça, je ne sais pas, mon ange.

-       Je croyais que tu savais tout.

-       Qu’est ce qui te fait dire ça ?

-       Ben tu es professeur. Ça sait tout un professeur !

-       Oh, vraiment ? Je ne suis professeur que dans un domaine : les langues. Or, même dans ce domaine, je ne sais pas absolument tout.

-       Donc, tu ne sais pas si Dieu existe ?

-       Personne ne peut le savoir, ma chérie.

-       C’est sûr ?

-       Oui.

Un silence se fit, puis elle regarda autre part. Angelica regardait toujours attentivement le visage de la personne qui lui parlait. Je ne sais pas ce qu’elle y fixait mais ce qui était certain c’est qu’à chaque fois qu’elle regardait ailleurs, la conversation était terminée. Après quelque temps, je continuai :

-       Pourquoi cette question ?

-       Ben, un garçon dans ma classe dit que Dieu existe et que tout le monde devrait y croire sinon, on ira tous en enfer.

-       Ah, je vois.

-       C’est vrai qu’on ira en enfer ?

-       Encore une fois, mon ange, je n’en sais rien. Tout ceci ne peut être réellement prouvé alors, vois-tu, personne ne peut savoir la réelle réponse.

-       Mais moi je veux pas aller en enfer.

-       Oh, je suppose que personne ne le souhaite. Tu verras Angelica, tu te feras ta propre opinion des choses.

Angelica, de ses yeux bruns, me fixa quelques secondes, comme si elle cherchait une réponse, quelque part sur mon visage. Je ne sais ce qu’elle trouva.

-       D’accord.

De temps en temps, Angelica nous posait des questions « existentielles » comme nous les appelons couramment. Je doute cependant de cette appellation car même si ce genre de réflexion comme l’existence ou la non-existence de Dieu et de son paradis peut paraître importante dans notre vie, ce n’est pas le cas. Après tout, qui peut s’en soucier ? Certainement pas moi car, qu’il existe ou non, cela n’influence pas du tout ma réalité. S’il y a un paradis, il est ici, sur Terre.

 

 

            Ma femme et moi étions sur la même longueur d’onde et cela à propos de tout. Jamais une personne n’avait partagé autant mon avis. Depuis que nous nous étions rencontrés, nous pensions pratiquement toujours la même chose. Nos opinions nous semblaient tout à fait raisonnables et la vie ne nous avais jamais déçu. Concernant la religion, encore une fois, nous adoptions le juste milieu : peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Selon nous, il était aussi absurde de croire en un Dieu transcendant et unique qu’en plusieurs ou même d’en nier totalement l’existence. Cependant, nous respections les avis de chacun. Nous étions très tolérants, chacun avait droit à sa différence puisque c’est ainsi que la nature nous avait fait. Que quelqu’un soit homosexuel, bisexuel, ou autre, nous nous en moquions, tant que ceci le satisfaisait et qu’il en était heureux. Les gens n’ont pas le droit d’empiéter sur le bonheur d’autrui. Quant à nous, nous étions heureux. Ni trop, ni pas assez. Il y avait bien sûr des problèmes comme tout le monde en avait, il est absolument impossible d’être constamment heureux. Notre bonheur était tout à fait modeste et nous en avions conscience.

            Cette journée prenait une expression dangereuse concernant l’harmonie de mon bonheur. Je supposais que ce genre de moments était nécessaire pour que l’on puisse se rendre compte qu’un bien-être permanent est impossible. Toujours était-il que, tout comme la veille, j’étais seul dans ma classe à la fin des cours à trier quelques feuilles. La récente scène avec ma collègue, le professeur de mathématiques, se reproduisit. Toujours vêtue d’une manière provocante, elle s’approcha de moi et, après m’avoir salué posa sa main sur mon épaule. Je sentis cette sensation d’embarras à nouveau et je fis l’erreur de prendre un temps avant de lui enlever sa main. Temps dont elle tira profit pour, après quelques mots doux, approcher ses lèvres des miennes. Alors même que l’irréparable allait se produire, avant que d’un geste ma vie fût remuée, je pensai à Judith, je pensai à Angelica, et je pensai à tout ce que j’avais vécu avec elles. Tout cela se déroula l’espace d’une seconde et elle me suffit à tout arrêter. Au moment où, agrippant mes épaules, ma collègue allait commettre l’impardonnable, j’étais totalement paralysé et je ne comprenais pas pourquoi. En y repensant, il est presque certain que les circonstances faisaient que cette femme m’attirait incroyablement. C’était un fait naturel mais pas justifiable. Ainsi, penser à ma famille me sauva d’une situation indésirable. Je la repoussai d’une traite. Réaction qu’elle attendait tellement peu qu’elle manquât de trébucher.

-       Excusez-moi, nous ne pouvons faire ça ! J’ai une famille, voyons !

-       Dommage, moi qui pensais…

Sans même prendre la peine de lui dire au revoir, je sortis de la classe rapidement mais sans courir. Je pouvais être fier de mon acte, mais sans recul, je ne parvenais pas à m’en rendre compte et j’étais extrêmement embarrassé. Sur la route jusqu’à chez moi, c’est-à-dire dans la rue, j’étais plongé dans ma réflexion. Tant et si bien que c’était à peine si je prenais garde au chemin que j’empruntais. Je suppose que, par habitude, c’était le bon. Puis soudainement, je bousculai quelqu’un. Je levai la tête la première fois depuis que j’étais sorti de l’établissement scolaire. C’était un jeune homme habillé en cuir avec tatouage au bras. Il n’avait pas une allure rassurante, mais je ne m’en préoccupai pas et m’excusai avant de poursuivre mon chemin. Alors que je repartais par sa droite, il m’agrippa le bras assez brutalement. Je n’avais pas un corps d’athlète et, à dire vrai, la pression de sa main sur mon avant-bras m’était douloureuse. Il me lança :

-       Où tu vas, vieux ?

-       Je me suis excusé, vous ne m’avez pas entendu ?

-       Qu’est ce que j’en ai à cirer de tes belles paroles, connard ! Quand on me pousse, on rampe à mes pieds. Et encore, je suis gentil…

Sa pression devenait de plus en plus forte, mais je n’essayais pas de me dégager. C’eut aggravé la situation de toutes les manières.

-       Voyons jeune homme, nulle utilité d’en venir à de telles pratiques. J’étais distrait, je vous ai légèrement brutalisé par mégarde, je vous saurais gré de m’en excuser.

-       Et oh, tu crois m’impressionner en me disant tout ça ? Rampe ou je t’en colle une !

-       Mais, enfin…

À peine eut-je le temps d’émettre autre chose qu’il me poussa violemment contre le mur. J’avais mal au bras, mais la douleur au dos me fit oublier la première. Il me prit par le col et leva son poing, très serré. J’allais sûrement me prendre mon premier coup au visage. Comme par réflexe, geste très lâche, je fermai les yeux. Puis, je sentis que la contrainte sur mon col disparut, j’ouvrai les yeux et découvris mon agresseur pris au dépourvu par un agent de la paix, les mains dans le dos.

-       Hop, pris en flagrant délit. Tu ne peux pas t’empêcher de faire des conneries, hein !

-       Qu’est ce vous foutez, bordel ?! C’est lui qui a commencé !

-       Tu vas me faire croire que cet honnête homme aurait cherché des crasses à un voyou de ton genre ?

Puis, alors que je me rendais compte de la chance que j’avais qu’un policier interrompe mon agression, celui-ci se prit un mauvais coup à la tête et lâcha le voyou. Ce dernier détala comme un lapin, avec le policier aussitôt à ses trousses. Je restai quelques  secondes hébété, un sourire de soulagement au visage et repris ma route.

            De retour à mon foyer familial, je m’assis dans le salon, fatigué de ces épreuves aussi physiques que psychologiques. Puis, ma femme et mon ange de fille vinrent m’accueillir, comme à l’habitude. Le soir, après avoir couché Angelica, je parlai de ma journée à ma tendre.

-       Il t’est arrivé quelque chose ?

-       Oh, pas qu’une, si tu savais…

-       Raconte-moi.

-       Et bien, je t’ai sûrement déjà parlé de ma collègue, le professeur de mathématiques, non ?

-       Tu m’as parlé de tous tes collègues.

-       Alors, tout à l’heure, elle est venu me voir dans ma classe, après les cours.

-       Continue.

-       Judith, tu dois avoir une totale confiance en moi.

Elle me regarda attentivement, comme redoutant la suite de mon histoire. Puis, après quelques secondes de mutisme, me fit un sourire.

-       J’ai une totale confiance en toi.

-       Cette collègue a toujours eu une attitude provocante et indécente envers moi, et, bien entendu, je te le jure, j’ai toujours refusé ses avances.

-       Je te crois, ne t’inquiète pas, continue.

-       Cependant, aujourd’hui, elle a été beaucoup trop loin. Elle a essayé de m’embrasser et je l’ai vivement repoussée.

-       Je n’en attendais pas moins de toi.

-       Vraiment ?

-       Évidemment, tu es le plus fidèle des maris dont aucune femme ne puisse rêver. Tu sais, ce n’est pas si simple. Beaucoup d’homme n’aurait pas résisté à la tentation… Je suppose que cette femme était belle, non ?

-       Et bien, oui, elle l’était… Mais qu’importe, personne ne brisera notre bonheur.

Puis, Judith me contempla avec un grand sourire. Nous nous embrassâmes et elle commença à se mettre en chemise de nuit.

-       Non, personne. Tu sais, ce genre de situation m’est déjà arrivé, sans que ça aille si loin.

-       Ah, oui ?

-       Des clients, parfois, se montrent beaucoup trop affectueux envers moi et, très vite, je mets les choses au clair. Quelle attitude honteuse ! D’autant plus qu’avant de me consulter, ils savent très bien que je suis une « madame » donc que je suis mariée, mais ça ne les freine pas.

-       Oui, c’est intolérable. Comment peut-on à ce point vouloir détruire le bien-être des autres ?

Soulagé de mes troubles du jour, je dormis comme un bébé.

 

 

            Le lendemain, c’était samedi, j’étais en week-end, je restais donc plus longtemps au lit qu’à l’habitude. Ma femme, de même, ne travaillait pas le samedi matin. Pourtant, le réveil fut très désagréable. Mon lit, ordinairement très confortable, était très dur. Puis, au lieu de m’éveiller dans une atmosphère douce, il faisait froid. Je soulevai ma tête de ce qui devrait être mon oreiller mais il s’avérait que ce fut une table. Ce ne fut non la voix chaste de ma dulcinée qui me tira du sommeil mais une main plutôt fine, me secouant activement les épaules. En réalité, c’était bien Judith qui, de sa main, me réveillait. Cependant, quand j’aperçus son visage, elle avait environ une vingtaine d’année de moins, comme lors de nos premières années ensemble. Il manquait aussi cette expression reflétant la vie sereine que nous menions. En fait, il lui échouait toutes les jolies marques que ma vie commune à ses côtés lui laissait ordinairement. Puis, comme un étau au coeur, j’entendis une voix aussi calme que poignante me ramener à mon triste sort : « Oui, réponse A. Non, réponse B ». Je découvris les visages à expression moqueuse qui m’entouraient dans la pièce. Le filet de bave, que je remarquai en dernier, provoqua un éclat de rire dans toute la salle. Elle y compris. Celle qui me fit rêver m’emmenait à présent en enfer. Dans l’incapacité de supporter une telle situation, je pris la fuite sous les rires de tous.

 

 

            Histoire d’amplifier mon malheur, je loupai mon examen le lendemain.

 

 

 

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Style : Nouvelle | Par Rémi | Voir tous ses textes | Visite : 489

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Commentaires :

pseudo : Godon Vincent

ahhh je verrai plus les profs de math de la meme façon! bravo a toi remi, c'est un bon texte ça!surtout la chute tu a bien reussi l'effet de surprise!

pseudo : Rémi

Mais oui ! Pas seulement les profs, mais la science entière est le mal !! Bon... j'exagère un peu... Merci, si l'effet de surprise y est, c'est que ma nouvelle est réussie.