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LA TRANCHEE par hoogewys patrick

LA TRANCHEE

 

                                                     LA TRANCHEE

 

 

 

 

Toute la nuit une pluie d’obus était tombée sur le champs de bataille, labourant la ligne de front tel un énorme soc de charrue.

        Le soldat s’était recroquevillé dans un recoin de la tranchée, chantonnant à tue tête pour se donner du courage. A chaque sifflement annonçant le passage d’un obus il se tassait un peu plus dans son trou. De temps en temps lorsqu’une explosion se faisait un peu trop proche et lui lançait une pluie de terre, il regardait au dessus de lui s’attendant à voir un fossoyeur en charrier des pelletées pour recouvrir son corps, mais bien sur il n’y avait personne au dessus de sa tête, pas plus qu’à ses côtés. La tranchée était désespérément vide.

                         Au matin l’averse de plomb cessa aussi rapidement qu’elle avait débutée, le soldat la tête enfouie entre ses genoux, les mains plaquées sur ses oreilles mis un certain temps à s’en apercevoir. Avec le jour naissant, un brouillard épais s’était levé si bien que l’on n'y voyait pas à un mètre. Le soldat se releva, hésitant, titubant, abrutis par l’enfer de la nuit. Il regarda ses mains, elles étaient couvertes de sang. Il regarda son corps s’attendant à y trouver une blessure béante d’ou aurait pu s’échapper sa vie mais il ni vis rien, son corps était intact. Il s’essuya les mains sur son pantalon puis les remis sur ses oreilles qui le faisaient souffrir. Quand il les regarda, elles étaient redevenues rouges.

                           Etait il vraiment seul dans sa tranchée, il ne pouvait le savoir qu’en la parcourant sur toute sa longueur. Les tympans crevés il ne pouvait que s’en remettre à sa vue mais avec une telle purée de pois il avait l’impression d’être sourd et aveugle, de plus en partant exporter cette tranchée sans visibilité et dans l’incapacité de percevoir le moindre son qui sait si l’ennemi ne le prendrait pas par surprise.

                            Le temps s’écoulait lentement et plus il s’écoulait plus le brouillard devenait opaque réduisant la visibilité à moins de vingt centimètres, une angoisse sourde lui vrillait l’estomac, il avait l’impression d’être l’appât attendant l’arrivée de quelque monstre carnivore

                             Il n’avait pas bougé de la matinée cloîtré dans son recoins de tranchée ne sachant quelle décision il devait prendre. Y avait il un espoir de trouver d’autre survivants, peut être était il le seul à n'être point trop blessé et dans ce cas il fallait qu'il porte secours à ses camarades. Telle était son indécision.

                             Ce fut la faim qui le décida de bouger, avec mille précautions, il longea la tranchée le dos plaqué à la paroi avançant à tâtons dans la direction ou il savait trouver les cuisines. Ses pieds s'enfonçaient dans le sol fangeux, et bien qu'il ne put les entendre, il s'imaginait le bruit de sussions qu'ils faisaient en s'arrachant de ce sol qui l'aspirait, énorme bouche affamée de chair humaine.

                                Il passa devant la cuisine sans la voir obstruée qu'elle était par un amoncellement d'éboulis, il s'en rendit conte en parvenant au quartier général de la section. Faisant demi-tour, il refit le chemin en sens inverse sur une dizaine de mètres.

                                 Sur sa droite un monceau de gravas et de bois de charpente bouchait ce qui quelques heures plus tôt avait été la cantine. Il commença par déblayer les plus gros morceaux, ses mains étaient activées comme si elles avaient été douées d'une vie propre, la faim décuplait ses forces. Lorsqu'il eut dégagé le passage pour un homme, il s'écroula épuisé restant de longues minutes allongé sur le dos, trempé de sueur, frissonnant de fièvre, les muscles tétanisés par l'effort.

                                  Au bout de ce qui lui avait semblé une éternité, il se mit à ramper à travers l'ouverture pratiquée. Avançant à petits pas, les mains colées à la parois, ses pieds percutèrent un objet qui produisit un son métallique. IL se baissa ramassa l'objet et quand il l'eut dans ses mains le parcourus de ses doigts pour l'identifier. C'était une lampe à pétrole et comble de bonheur un briquet y était fixé. Quand il eut réussit à allumer la lampe il dut vite déchanter, la plus grande partie de son carburant s'étant répandu sur le sol.

                                  Des boites de conserves jonchaient le sol parmi un fatras d'ustensiles de cuisine et de chaises renversées. Sachant le peu de lumière qui lui restait, il s'empressa de ramasser quelques boites qu'il mis dans ses poches, et c'est en ramassant une de ces boites que son regard fut attiré par un indicible mouvement provenant de derrière une table renversée. IL s'en approcha et vit un bras s'agiter mollement comme un appel. Son cœur se mit à faire des bonds dans sa poitrine, il n'était plus seul, il avait trouvé un rescapé tout comme lui.

                                   Il se précipita de l'autre côté de la table et là ses jambes se dérobèrent sous lui et le peu qu'il avait dans son estomac lui remonta en une brûlure acide, franchit le barrage de ses lèvres, et vint maculer ses vêtements et ses chaussures d'un liquide chaud et nauséabond. La vision et l'odeur de son vomis n'étaient pourtant rien à coté du spectacle qui s'offrait à ses yeux. Ce qu'il avait pris pour de la vie, n'était en réalité que l'illusion de la vie. Un homme était étendu sur le sol et autour de son corps des dizaines de rats faisaient ripaille. Visiblement dérangés ceux-ci se mirent à couiner et regardèrent l'intrus d'un air menaçant. De l'homme, certainement le cuisinier, les rats avaient consciencieusement vidé les orbites de leurs yeux et dévoré la partie droite du visage. Ce fut à cet instant que la lampe décida de rendre l'âme. Les couinements se turent.

                                    L'estomac du soldat fut repris de spasmes, mais vidé de tout contenu ne put rien récurgiter. La peur commença à le gagner puis se transforma en panique lorsqu'il sentit les rats frôler ses pieds.

                                    Cloué au sol, ne pouvant esquisser le moindre mouvement, une sueur froide coulant le long de son dos, le cœur battant à tout rompre, il se serait bien effondré en sanglots sur le sol s'il n'avait été mordu au mollet. Cela éveilla en lui l'instinct de conservation et, l'instant d'après, il fonçait tête baissée vers le minuscule trou de lumière qu'était la sortie se cognant ça et là à des obstacles épars qui jonchaient le sol. Les rats sentaient sa peur elle suintait par tous les port de sa peau, ils s'agglutinaient autour de lui sautant sur son dos, plantant leurs dents au travers de ses vêtements, certains plus hardis le mordirent à la nuque. Ce n'était plus de la peur mais de la panique, si bien qu'il perdit la notion de l'espace et se mit à courir en sens opposé à la sortie. Les rats de plus en plus vaillants se battaient entre eux pour avoir la priorité du festin.   Ce ne fût qu'un pur hasard s'il retrouva la sortie.    

                                      Lorsqu'il se retrouva à l'air libre son corps était meurtri, son genou gauche le faisait souffrir d'une douleur lancinante et ses membres étaient couverts de morsures d'où suintait de petits filets de sang frais.

 

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                                    Ce fut d'abord une forme évanescente qui s'approcha, baignée d'un halo de lumière, puis la forme pris consistance. Le soldat ferma les yeux puis les réouvrit, une jeune femme était penchée sur lui et lui souriait. Au vu de sa tenue il reconnu un membre du service médical, elle lui tendit la main et l'incita à la suivre, mais ses muscles douloureux refusèrent de le porter et il retomba lourdement sur le sol. La jeune femme s'approcha de lui, lui prenant les deux mains le relevant du sol avec une aisance peut appropriée à la morphologie d'une si frêle jeune fille. A son contact il fût parcouru d'une vague de chaleur intense. Elle l'entraîna dans les méandres de la tranchée, se retournant de temps à autre pour encourager d'un sourire sa douloureuse progression.

                                   Depuis combien de temps marchaient ils, la jeune fille ne semblait pas etre affectée par la fatigue, au contraire c'est elle qui le tirait sans cesse. Ils finirent par atteindre une casemate creusée dans la tranchée qui avait été épargnée par les obus et qui dans cet enfer ressemblait à un îlot de paix. Exténué le soldat se mit à la recherche d'un endroit ou il pourrait se reposer. Un lit métallique en parfait état s'offrait à lui, il s'y allongea avec volupté. La jeune fille se trouvait au milieu de la pièce, toujours souriante ses vêtements d'une blancheur immaculée malgré leurs péripéties dans la tranchée, les paupières du soldat lourdes de fatigue se voilaient de plus en plus. La jeune fille s'avança vers lui, il la vit s'approcher comme portée par un nuage de brume, leurs deux visages étaient près à se toucher elle souriait toujours, ses yeux étaient deux lacs d'un bleu profond, les effluves de son parfum lui rappelaient l'odeur du santal et ses lèvres pulpeuses et d'un rouge profond à des cerises bien mures, ses cheveux longs et d'un blond paille lui caressaient le visage. Quand leurs lèvres se soudèrent il ferma les yeux et fut assailli d'une vague de chaleur telle celle qu'il avait ressentie lorsqu'elle lui avait pris les mains. Il était au paradis.

                                   En un instant cette sensation de bonheur disparut pour laisser place à une impression d'étouffement, l'impression que sa bouche était remplie de terre, il rouvrit les yeux et fut rempli d'effroi, à la place de la jeune fille se trouvait un être difforme dont les membres étaient couverts de plaies pestilentielles et dont un œil pendait au dehors de son orbite, des mains dont la moitié des doigts avaient disparu se tendaient vers lui mais le plus horrible dans cette vision de cauchemar c'était ce sourire un sourire fait par une bouche aux lèvres en décomposition ou grouillait un monceau d'asticots. Le soldat poussa un hurlement à réveiller tous les morts de la terre.

                                   Son cri le réveilla, il était toujours devant l'entrée de la cantine, épuisé il s'était endormi et avait rêvé et son rêve s'était achevé lorsqu'il tomba la tête la première dans une flaque d'eau ce qui avait bien failli le noyer.

Il eut beaucoup de mal à retrouver son souffle, de l'eau avait pénétré dans ses poumons ce qui lui arrachait des gémissements de douleur à chaque respiration.

Lorsque la douleur se fut un peu estompée il voulut se mettre debout mais ses jambes refusèrent à le porter et il s'affaissa comme un pantin désarticulé.

                                     La luminosité avait changé, et bien que le brouillard ne se fut pas atténué de la journée il devina que le soleil commençait à décliner vers l'ouest et que la nuit allait bientôt l'englober de son linceul noir, il fallait qu'il trouve un refuge pour ne pas mourir de froid. Combattant son désir de rester allongé sur le sol il se releva péniblement. Chaque mouvement était pour lui une torture et chaque pas était une montée de l'Everest. Il marcha ce qui pour lui parut etre des heures alors qu'en réalité cela ne dura que quelques minutes avant de découvrir une casemate dans la tranchée qui avait été épargnée par les bombardements, il en fit le tour à tâtons redoutant que ce ne fut un repaire à rats, mais il n'en était rien et l'endroit était plutôt sec, il se recroquevilla dans un coin et s'endormit aussitôt.

                                      Il dormait profondément, et son sommeil le ramena en des jours meilleurs, des jours d'avant la guerre, des jours ou l'on se promenait le dimanche au bord de l'eau. Elle était la sa rivière, allongé dans l'herbe il la regardait couler paisiblement, sur l'autre rive, à perte de vue, des champs de blé murs pour la récolte, le ciel était clair et il n'y avait pas un souffle de vent. Le soleil d'été réchauffait son corps, il se sentait bien. Il serait reste ainsi pendant des heures à la contempler. Il n'y eu aucun bruit, mais il sut qu'elle était juste derrière lui… l'infirmière de son cauchemar. Il n'eu pas besoin de se retourner pour voir qu'elle lui souriait mais cette fois c'était un sourire triste, le sourire de quelqu'un qui a connu la souffrance. Il était assis sur une chaise roulante, une de ces chaises que l'on trouve dans les hôpitaux et l'infirmière le poussait sur un chemin de terre qui longeait la rivière,  il était en pyjama et le bas de son corps recouvert d'une épaisse couverture ne laissait pas voir ses membres inférieurs, ses bras étaient plâtrés des poignets aux épaules et son cou enserré d'une minerve mais il ne ressentait aucune douleur.                                                        _ Voulez vous que je vous fasse la lecture lui proposa t'elle

C'etait la première fois qu'il entendait le son de sa voix.

_Je voudrais marcher quelques pas

_Vous savez très bien que vous ne pouvez pas

_Suis-je paralysé?

_j'ai les journaux du jour voulez vous connaître les nouvelles du front?

_Suis-je paralysé s'il vous plait?

_Si vous entendez par paralysé que vos jambes ne vous son plus d'aucune utilité j'en conviendrais.

 


                                   Chaque méandre de la rivière lui était connu, c'est la qu'il avait passé son enfance, chaque arbre, chaque pierre lui faisait remonter une foule de souvenirs .

_Pourquoi suis-je ici?

_Parce que vous allez mourir .

La réponse était sortie sans intonation particulière, on n'y ressentait ni peine ni joie, simplement le ton de l'évidence.

De gros nuages noirs se formaient à l'horizon et le vent s'était levé. Il allait bientôt pleuvoir.

_Je veux rentrer

L'infirmière poussa le chariot vers le bord de la rivière.

_Que faites vous? Je vous ai demandé de rentrer.

Sans répondre, elle continua son chemin.

_Soyez sage c'est l'heure de votre bain.

Se penchant sur lui l'infirmière souleva la couverture.

                                       Il avait les jambes arrachées à la hauteur des cuisses et sur les plaies putréfiées grouillaient des milliers d'asticots, l'odeur était insoutenable, une odeur de charnier. Dans une dernière poussée l'infirmière fit rouler le chariot dans la rivière.

L'eau était froide et il coulait inexorablement, il aurait pu se laisser aller, mais il ne voulait pas mourir du moins pas de cette façon. Sa volonté fut la plus forte, il se débattit pour remonter à la surface, ses plâtres et sa minerve avaient disparus et sous lui il sentait le battement de ses jambes qui le propulsait vers la surface. Ses poumons brûlaient dans sa poitrine. Sa tête creva la surface au moment ou il sentit que son cœur allait exploser, l'air pénétra en lui comme un ouragan. Il nagea vers la rive, la pluie tombait drue et le vent soufflait en tempête faisant plier les arbres comme de vulgaires roseaux. La berge était détrempée et ne présentait aucune aspérité ou se raccrocher. Ses doigts s'enfonçaient dans la boue, chaque tentative pour se hisser hors de l'eau se soldait par un échec, la pluie était de plus en plus forte et le courant de la rivière de plus en plus important. Les membres tétanisés par le froid, les doigts gourds il avait l'impression qu'il lutait depuis des heures contre cette satanée rivière. Il n'en pouvait plus, il se laissa glisser dans le courant espérant que la mort serait rapide et qu'il ne souffrirait pas. Il flotta quelques instants avant de sombrer dans les profondeurs, quand il manqua d'air il ouvrit la bouche, laissant pénétrer en lui une eau au goût métallique, il perdit connaissance

                                     Le soldat se dressa sur son lit improvisé, sa respiration était haletante, et il était transi de froid, la fièvre s'était emparée de son corps et de grosses goûtes de sueur perlaient à son front. Devant l'entrée de la casemate se tenait une silhouette aux contours indistincts, éclairée en contre jour, le soldat se demanda si il était encore endormi. Une chose dont il était certain, c'est qu'il n'avait pas peur. Tant bien même serais ce la mort qui viendrait le chercher, tout vaudrait mieux que cette insupportable attente dans la solitude et le désespoir, alors il referma les yeux et s'endormit.

                                      Dans l'embrasure d'une porte une femme laissait couler ses larmes comme elle les laissait couler depuis cinq ans, depuis que son mari était revenu de la guerre, depuis qu'il était interné dans cet institut et depuis qu'elle savait que plus que les murs de l'institut c'est sa tête qui jusqu'à son dernier jour serait sa véritable prison.

 

 

 

 

 

                                                         

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Style : Nouvelle | Par hoogewys patrick | Voir tous ses textes | Visite : 623

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Commentaires :

pseudo : margoton

Magnifiquement écrit, ce cauchemar qu'est la guerre , des horreurs dont elle vous éclabousse et des abominables conséquences sur des hommes (et des familles) qui n'en sont pas responsables