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Histoires de Sirènes et de Tritons dans l'eau -5- par VIVAL33

Histoires de Sirènes et de Tritons dans l'eau -5-



Histoire de l'exil de Maître Pare (2ème partie)


La fatidique 35ème journée de Maître Pare.

                                                                                               ( déconseillé aux - 12 ans )


 

Dans cette communauté, tous les 35 jours, la parole est donnée aux dangereux Polémistes, interrompant les discours des initiateurs, remettant en cause les raisonnements des Maîtres, pour essayer de dévoiler les parts d’ombre. Ce qui est arrivé au Boîteux.

Mais écoutons plutôt ces gens discourir  au forum du Grand Rocher. Et laissons-nous guider par la voix ondulée des émules qui ponctuent chaque phrase de l’orateur, par des AAAHHH de jouissance extrême…

 

C’était l’épreuve des Enseignants. Ce jour là, Sole, la Simulatrice apparut aux côtés de la Polémiste en chef. C’est cette dernière qui prendrait la parole. Pour essayer de déstabiliser le Maître. Ce qu’elle fit.

 " - Maître Pare, dites-nous, comment concevez-vous l’amour ?

 Le Boiteux sourit, il se détendit, soulagé. Il redoutait toujours le moment où les fougueux Polémistes entraient dans l’arène, essayant de démonter les propos des Supérieurs. Alors quand il avait vu la Polémiste en chef, la plus redoutable, s’avancer vers lui, il avait soudain appréhendé l’échange. Mais là, l’épreuve n’allait pas être bien terrible. Il maîtrisait ce sujet sur le bout des doigts. Ce qui le chagrinait un peu, tout de même, c’était la présence de cette Sole, une de ses anciennes conquêtes, ou plus exactement c’était l’étrange sourire qu’elle affichait… Mais il n’avait pas grand chose à perdre. The Lord of ocean. Tout était limpide autour de lui. Si clair…

 - Comme l’explique si judicieusement Anémone Lotte, dans son ouvrage La Métaquatique, que je vous invite d’ailleurs à relire, le pilier de notre monde. Une autre approche, tout aussi intéressante, de René Lacarpe, dans son Discours du gastéropode,  sur cette lumière qui ouvre notre conscience…

 La Polémiste l’interrompit.

 - Oui, Maître, nous ne pouvons que constater votre érudition… mais expliquez-nous, je réitère ma demande, comment , vous-même, en premier lieu, concevez-vous l’amour ? J'aimerais comprendre pourquoi vous dissociez l'acte de la parole... en effet, comment pouvez-vous enseigner ce que vous ne respectez pas ? Et: pourquoi ne respectez-vous pas les règles ?

 Maître Pare, n’aima pas cette série de questions masquant de tranchantes assertions, il resta perplexe : mais où donc voulait-elle en venir ?

 - Qu’est-ce-à-dire ? répondit-il

 - Pourquoi vivez-vous seul et sans descendance, pourquoi ne respectez-vous pas la règle essentielle de la procréation établie par les Hauts Dignitaires de Tripodie? 

 Ah oui, elle remettait ça, les sempiternels reproches… de ces femelles

 - J’obéis, je vous le dis encore une fois, à ce qui m’a été dicté par Neptune. J’obéis, avant tout, aux Commandements, qui doivent, je vous le rappelle, demeurer incontestés des Tritons.

 - Pardon Maître, si j'entends bien, ces Commandements, vous seraient dictés par la Divinité? Ne serait-ce pas plutôt par vous-même ? Vous ne pouvez nier que vous vous devez d’avoir une descendance, comme chacun de nous. Et je sais que ce n’est pas votre partie Divine qui vous guide vers ce choix. Alors : pourquoi évitez-vous les sirènes lorsqu’elles sont en période procréative ?

 Le Boîteux commença à s’échauffer, et perdit un court instant son calme. Combien de fois avaient-ils évoqué le sujet… mais bon, cette Polémiste devenait trop hargneuse, c’était la première fois qu’elle osait remettre en cause sa place d’élu.

 - Je vous l’ai déjà dit, ma nature profonde ne réagit pas à leurs stimuli, j’écoute simplement ma partie essentielle, l'être lumineux qui m’inspire ces propos… je suis relié à…

 C’est alors que Sole, toujours silencieuse, s’était avancée, tenant entre ses mains une proie ensanglantée. Elle l’avait jeté à ses pieds. Morte.

 - Maître, pouvez-vous nous expliquer quel est cette "chose" ? ironisa la Polémiste

Le Boîteux blêmit.

 - Heu, je crois…

 - Maître, appartient-elle à notre communauté ?

 - Non

 - Alors pourquoi vous a-t-on surpris avec cette "chose", à vous livrer à …?

 

Erreur regrettable. Il pensait ne pas avoir été suivi.

Il pensait que personne n’en saurait rien.

Jamais.

C’était un de ces jours où la communauté l’avait chargé d’une mission.

Un jour où il était parti à la recherche de la Guerrière, cette sirène malade qu’on lui avait demandé de ramener à la raison, à la maison, l’égarée, mal couvée, la déséquilibrée. La folle.

Il la savait résidant près des côtes, là où elle pouvait prendre en chasse les marins.

Pendant des jours et des nuits, il l’avait cherché, pénétrant méthodiquement chaque anfractuosité rocheuse accessible, inlassablement, jusqu’au jour, où…

Moment qui restera à jamais gravé dans sa mémoire.

Arrivé à la grotte bleue, son regard avait été attiré par une forme blottie au fond d’une faille, protégée par la pénombre,  quelque chose d’intriguant.

Un remous quasi imperceptible.

Qui s’était mué en apparition.

Le frémissement de ce magnifique appendice caudal, et une peau, comme il n’en avait jamais vu : épaisse, lisse, visqueuse à souhait, avec d’étranges et indéfinissables reflets. Alors, troublé, il avait pris sa voix la plus douce pour l’approcher, la sentant si farouche et agressive. De sa longue courbure svelte émanait un charme ravageur. Pas de souvenirs de son visage (d’ailleurs il ne s’était jamais souvenu de leurs visages…), simplement de ses si fines dents, si longues, de sa mâchoire, reflet d’une puissance sauvage, instinct animal qui émanait d’elle. Instant animal. Il était entré dans la cavité pour se livrer à la parade nuptiale, découvrant lors de grandioses étreintes de nouvelles sensations, anormales. Puis revenant à lui, reprenant ses sens, il s’était rendu compte que personne ne comprendrait. Donc que personne ne saurait. Il était reparti, l’abandonnant. Se forçant d’oublier cet instant alchimique. Ne se sentant même plus la force de vouloir sauver la folle Guerrière. Encore déboussolé par le torrent bouillonnant de sensualité dans lequel il venait de se revigorer.

Dans la grotte bleue.

En cet instant illuminé.

Ce qu’il n’avait pas vu, senti, c’est que quelqu’un l’avait épié.

 

 - alors, c’est quoi ? Je veux te l’entendre dire

Il l’avait dit, murmuré :

 - C’est une murène…

En cet instant, Sole, enfreignant le protocole, prit la parole :

 - Et c’est avec cette murène que je t’ai surpris à effectuer la parade nuptiale, que tu as copulé !

Tu ne mérites plus ton titre de Maître, vieux fou déviant, pervers! "

 

Sole, vengée, victorieuse, s’était enfin tournée vers la foule ahurie, médusée.

Et les méduses atterrées.

Elle venait d’avoir la peau du Maître.

Oui, elle l’avait suivi, en secret…

Ayant assisté à la scène. Mais comment avait-il pu se livrer à pareil acte, avec cette "chose" ? Alors que quelques semaines auparavant, ils étaient encore lovés dans les bras l’un de l’autre ? Ecoeurant…

Ce fut lors de cette 35ème journée, lourde d’un soudain silence que Pare, dit "le Boîteux", quitta définitivement la place publique… n’ayant rien à dire, regrettant simplement que Sole (la jalouse, pensa-t-il) ait tué celle qui lui avait donné tant d’un plaisir si peu commun

Il n’avait plus eu sa place dans la communauté.

Qu’il quitta, avec un coeur chargé d'une amertume incommensurable contre ce monde peuplé d’êtres ignares.

Alors que, s’essayait-il à raisonner, se justifier, c’est certain, irréfutable, il avait été enfin en phase, lui semblait-il, avec son enseignement, un amour indiscutable, permettant d’aller au delà des frontières et des apparences, le grand œuvre, s’ouvrir à l’imprévisible, à l’inconnu… Peut-être une nouvelle espèce aurait-elle du naître de cet accouplement ? Il l’avait toujours su qu’ils ne le comprendraient pas.

Vieil aveugle qui ne voulait pas admettre qu’il s’était égaré, trompé.

Maintenant il se sentait las et vieux.

Sur les hauteurs de Tripodie.

Et toujours ce goût de varech dans la bouche, oui il devait avoir mauvaise haleine.

Ce goût de la médiocrité...



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Style : autre | Par VIVAL33 | Voir tous ses textes | Visite : 666

Coup de cœur : 15 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : clo

quelle plaisir de se plonger dans ces eaux profondes.. de vous lire.. bravo et merci

pseudo : VIVAL33

Merci clo pour ce très gentil commentaire! Amicalement

pseudo : Ombres et lumières, une vie

J'ai adoré dès l'abord ces "ahhhhhhhhhhhhhhhhh, de jouissance extrême" Grand sourire, vous avez un vrai talent ! (Je veux dire notamment par là que je suis bien bien loin de pouvoir esquisser l'ébauche d'une prétention à pouvoir en faire autant !)

pseudo : Ombres et lumières, une vie

Heu, me revoilà, j'avais oublié le coup de coeur et la technique ! Bravo des six nageoires, Vival33 !!!

pseudo : VIVAL33

Merci beaucoup ombres et lumières pour tes encouragements!!! Amitiés ;-D ( pour les nageoires, je ne savais pas... ;-))