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quoi faire... par obsidienne

quoi faire...

Elle adorait aller chez le coiffeur. Enfin, elle adorait se faire coiffer chez le coiffeur, parce que pour ce qui est d’attendre son tour ou de payer, elle trouvait toujours que c’était du temps et de l’argent perdu. Elle avait pris l’habitude de confier sa tête à Roberto, coiffeur atypique, pas du tout efféminé, c'est-à-dire un coiffeur qui avait échappé au mimétisme sévissant dans ces salons pour la raison simple que les employés y sont aussi captifs que les clients et qu’ils sont bien obligés d’échanger des propos d’une telle banalité que pour comprendre autre chose que ce qui se dit, il est nécessaire d’adopter en même temps la structure mentale de leurs interlocutrices.

Donc, elle aimait les gestes virils de ce garçon, trop brusque pour certaines mais elle, ça lui allait bien. Elle se faisait tout un cinéma ; tout d’abord, elle s’habillait spécialement pour ce rendez-vous. C’était un vrai rendez-vous. Avait-elle besoin de mettre cette robe si légère qu’on aurait pu la confondre avec une nuisette, avec en plus quelques galons qui masquaient les endroits sensibles de sa poitrine mais qu’il était aisé de laisser glisser pour aiguiser le regard des esthètes ? Fallait-il aussi ajuster sur ses petites fesses cette culotte qui ressemblait plus à un double string, ouverte qu’elle était et devant et derrière ? On eût dit à chaque fois qu’elle finirait la séance dans une étreinte amoureuse, dans un salon vide, déserté par les autres clientes et la patronne, abandonné aux chaleurs conjuguées de son coiffeur et de ses envies. En tout cas, elle se l’imaginait à chaque fois, se reprochant, à chaque fois, d’échafauder un fantasme typiquement masculin, ce qui ne laissait pas de lui poser la question de savoir comment il lui était venu. Il faudra qu’elle surveille les propos de son promis, euh, commis…

Quand elle s’asseyait sur le fauteuil, elle s’asseyait sur ses genoux et les petites imperfections du fauteuil que ses cuisses sentaient étaient autant de plis de pantalon, de boutons de jeans, de tirette éclair, voire pour les bosses les plus souples de chair vive et vivante qu’elle prenait un malin plaisir à masser dans des gestes lascifs mais déguisés, en tout cas escamotés dans des toux singulièrement claires et étouffées. Voilà comment elle occupe cette partie du corps que Roberto, malheureusement, ne touchera jamais. Pour ce qui est de la tête, il venait de poser ses mains dessus, doigts bien écartés, avec une douceur qui changeaient son crâne en boule de noël, en bulle de cristal en lui demandant de sa voix chaude mais douce et qui contrastait avec ce qu’on pouvait attendre de ce géant ténébreux : « alors, Hélèeene, - il traînait sur la deuxième syllabe de son prénom, comme tous les parisiens -  je vous fais encore plus belle ? » Et là, là, elle s’évanouissait littéralement. D’ailleurs elle ne répondait jamais, non qu’elle n’eut pas envie d’être encore plus belle, mais toutes les sensations physiques qui la traversaient associées à cette idée qu’il la trouvait belle (il le disait, elle n’avait même pas envie de se demander si c’était vrai) la bâillonnaient, la muselaient comme l’aurait fait un baiser de cinéma. Ses doigts l’électrisaient ; ailleurs, dans un autre contexte, une telle décharge électrique aurait été une vraie torture. Mais sur ce fauteuil, c’était l’énergie qui la changeait en femme, en vamp, en bombe sexuelle. Elle regrettait à peine le choix (crétin) de sa robe qui montrait bien que sa poitrine réagissait, elle frissonnait. Les doigts de Roberto lui faisaient un casque de massage, lui tiraient un peu la tête en arrière, pour la positionner gentiment sur le plan de lavage. Un peu d’eau tiède, il fallait qu’elle lutte pour ne pas s’endormir immédiatement. Mais elle attendait la suite avec trop d’impatience : le shampoing.

Il lui faisait un shampoing sur tout le corps, sans s’en douter d’ailleurs. Elle sentait bien ses mains qu’il remplissait avec toutes les parties qu’elle lui offrait, reliées par ce sourire béat d’une femme presque heureuse ou qui n’en était pas très loin. Son ventre se soulevait, ses seins pointaient, ses cuisses se tétanisaient et entre ses cuisses, quelques palpitations irrépressibles la transformaient en un cœur géant qui fleurissait. Elle s’offrait sans retenue, exsudant de chacun de ses pores un désir d’une animalité sauvage. Les racines de ses cheveux, que Roberto massait méticuleusement étaient reliées à tous ses fantasmes et la douceur de ce moment faisait d’elle la proie consentante de tous les amoureux de la terre. Elle prenait une autre mesure de son corps. En souriant intérieurement, elle pensait « il me prend par les cheveux ». Elle en était là, sans honte aucune, fardée par la fierté de jouir de ce moment comme d’autres épuisent des hommes d’un soir. Son être tout entier s’agrippait à son coiffeur, il venait en elle avec une facilité extrême épousant chaque envie, chaque souhait avec cette force maîtrisée des amants généreux. Et elle s’abandonnait totalement, sans pudeur, dans un échange d’une beauté rare parce qu’ils se reconnaissaient, ils s’aidaient, ils avaient besoin l’un de l’autre, ils se respectaient et dans cette offrande partagée s’instruisait le procès des gens qui n’arrivent pas à communiquer.

Un frôlement encore, un dernier coup de ciseau, un dernier balayage, Roberto range son attirail.

La caissière lui sourit :  « il vous a bien réussie, (et à voix basse) il adore vous coiffer »

Hélène paya, sortit et se retrouva sur le trottoir, un peu désemparée, comme abandonnée.

Pour éviter de pleurer, il a fallu qu’elle se persuade qu’elle aurait le droit de le revoir, à chaque fois qu’elle le voudrait…

 

 

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Style : autre | Par obsidienne | Voir tous ses textes | Visite : 736

Coup de cœur : 10 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : clo

j'ai adoré ton texte obsidienne...! du début jusqua la fin sans m'aréter...! j'ai pas voulu perdre une miette...!o soulagement d'héleeene qui aura le plaisir de revoir roberto...merci et bravo

pseudo : misa

WOUAW !!!! J'ai tout simplement A.D.O.R.E. !!! Quel texte magnifique, si plaisait à lire, je l'ai dévoré de mes yeux !

pseudo : VIVAL33

Hum, ça m'a rappelé des séances d'osthéopathie cranienne... Dis, ste plaît, tu peux me donner l'adresse de Roberto? ... (j'ai un petit faible pour eux)...

pseudo : scribio

Roberto c'est du chaud !!!! un texte que l'on dévore, quelle frustration pour cette cliente fidèle !!! il ne saura probablement jamais cet orage qu'il déchaine en elle !!! une suite peut-être ? si si j'en veux une.

pseudo : nani

pour ma première lecture de ce dimanche.... je suis envoûtée par le charme de Roberto,le "Mâle"dans toute sa volupté.... quel plaisir, merci....

pseudo : ifrit

Hélène et Roberto, une histoire qui prend racine, même si un peu tirée par les cheveux ? Non, impossible, pas avec toute cette sensualité, ce désir permanent de l'héroïne, ce texte est un récit de l'orgasme amoureux ! Allez, je file lire la suite, j'ai hâte ! Cela faisait trop longtemps que je ne t'avais pas lu.