"Tu n'es pas une petite fille modèle!"

  Un reproche. Encore un, je t'avoue qu'elle ne les compte plus. Elle a l'habitude maintenant tu sais! Avant, ils lui faisaient mal, la touchaient en plein coeur, parce que comme tu aimes le dire elle n'était qu'une gamine, elle était faible, timide, et d'après toi beaucoup trop réservée. Alors oui, tes reproches l'atteignaient mais aujourd'hui tes remontrances la font rire. 
 Elle rit, pourtant je t'assure ce n'est plus une gamine, elle a grandi et elle n'a plus besoin de toi, d'ailleurs ta présence ne lui a jamais été indispensable. Elle n'avait pas besoin d'une personne qui lui mettent des bâtons dans les roues comme on dit, comme tu dis, tu l'aimes cette expression. Et ça te rends dingue de savoir qu'elle s'éloigne, et encore plus de savoir qu' elle va quitter tes domaines. Oui, comme tu dis, c'est vraiment dommage tu ne pourras plus l'empêcher de rouler, d'avancer, sous prétexte d'avoir de l'expérience, de savoir ce qu'est la vie. Alors tu deviens plus agressive tu veux profiter le plus possible des dernières heures en sa présence, tu ne lui laisseras rien, pas une minute, pas une seconde, rien. Tes reproches débordent de ta bouche que tu ne sais taire, et grouillent d'une inexprimable dureté. 
  Oui, elle rit, parce qu'elle a compris, tout compris, tu aurais voulu qu'elle sois face à la même vie que toi, aux mêmes douleurs, au même gâchis. Ta morale a pour but de saboter sa vie, tu n'as pas réussi la tienne, tu ne veux pas qu'elle réussisse la sienne, tu places tes souffrances en elle. Mais l'obstacle à ta manoeuvre c'est qu'elle n'est pas toi. Elle est elle, et elle ne ressemble à personne d'autre, pas plus à toi, qu'à quelqu'un d'autre. Non, elle  n'est pas une fille modèle, non elle n'obéit pas comme toi. Elle ne veut pas qu'on la dirige, elle a déjà trouvé sa boussole et elle sait s'orienter. Elle te déçoit, elle n'est pas obéissante et pour toi c'est tellement regrettable.
  Elle rit de tes reproches qui sont insignifiants pour elle, et elle rit de tes bêtises que tu n'entends pas. Cela l'amuse de voir qu'elle demeure au-dessus de tes conventions et qu'elle daigne t'affronter. Mais elle a peine aussi de deviner tes souffrances dont tu n'as peut être même pas encore conscience. Et elle a peur que tu te réveilles, que tu observes enfin où ton obéissance t'a conduite. Elle a mal quand elle l'entend te parler ainsi, quand elle les entend, eux aussi, te dire "merde", et elle a encore plus mal de constater que tu continues à obéir. C'est comme les reproches, obéir encore et toujours! Elle voudrait tant te voir tout lâcher, et t'entendre lui crier le plus grand et le plus glorieux "merde"... Elle voudrait tant te voir avec le sourire, l'envie, le goût de ne plus obéir.    

 Elle aimerait t'emmener là où on est maître de soi, où l'on n'obéit pas, où l'on se moque de ce qui nous entoure, où l'on n'est pas ces petites filles modèles, mais où l'on est les femmes les plus Sages, les plus Libres.

 Elle n'est pas la petite fille modèle que tu as essayé de façonner, parce qu'elle ne désire pas être un modèle, un archétype, un exemplaire, de plus, que l'on consomme, que l'on absorbe, et que l'on achève.