Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

L'Amélie par cinammon

L'Amélie

 

 

 L'Amélie 

Amélie vivait dans une maison où les nuits, comme les repas, avaient quelques longueurs, notamment sur leur fin. Autour de la maison, un jardin tout aussi rempli, se laissait bordé d’une clôture peinte de blanc. Ce collier de larges piquets en chêne, donnait un petit air de coquetterie au jardin. Toutefois, cet extérieur n’était qu’un mince aperçu de ce que les charmes du parement de la maison réservaient au visiteur.

A l’intérieur, chaque pièce diffusait une senteur qui se fondait, en entrant, dans l’ample bouquet de fleurs des champs. Et c’est de cette singulière floraison qu’avait été écrit les noms de bouton d’or, coquelicot et bleuet, sur chacune des trois portes qui découvraient le cœur d’une fleur embaumée. Au fond, les portes s’ouvrant sur ces chambres étaient au gai visiteur les revers de pétales, cachant des pistils timorés. C’était une maison, où de nuit en nuit, le dormeur se laissait prendre dans les volutes d’un sommeil enivrant, et ne se réveillait qu’au son de la rosée matinale.

Une maison à la douceur de ces couleurs vives, qui ont été longtemps bercées par la lumière. Cette composition parfumée aux petits murs de minces pétales, n’avait rien de ces chaumières, qui dès l’hiver arrivé, se font enfumées par un nuage grisonnant.

Et jamais, la mélancolie, de saisons précoces ou inachevées, ne venait troubler la tranquille gaieté de cet havre coloré. En une harmonie de parfums, on se sentait s’y bien vivre dans la maison d’Amélie.

Amélie, chaque soir, chaque midi même, quand sonnait la cloche; la jeune fille passait le blanc portillon. Son visage porté avec entrain, on ne l’avait jamais vu, passer la clôture, tête baissée. Car ce qu’elle quittait de l’extérieur, Amélie le retrouvait dans sa maison. Ainsi, c’est une vie en bouquet que menait la jeune fille, moins jeune par moments. Pendant ses ballades, Amélie aimait à se rendre sur les hauteurs; sommets qui avaient fait de son jardin, un coin d’herbe gai, posé sur une colline. Il faut dire qu’Amélie en connaissait des hauteurs, et que cette tranquille passion lui avait donné quelque réputation de bonne marcheuse. La première excursion, dont elle s’était fixé le sommet pour objectif, la mena par le chemin de cailloux aux nez de marches boisés. Vers les rondeurs d’un petit monticule rebondi, Amélie accomplissait une valse de jambes élancées. Et c’est ainsi, que plusieurs journées de repérage la conduisirent au jardin public dont l’embonpoint faisait le sommet du monticule.

D’entre ses escapades passées, Amélie se penchait par-dessus les bosquets, et son regard vif porta ses attentions vers une hauteur, plus élevée encore. Alors, de nouvelles journées déroulant leur passage, le long de touffes apprêtées; Amélie d’une main tendue, cueillit les boutons d’or juvéniles. A midi, le soir aussi pour dîner, cela lui fit, plus d’une fois, la brillante compagnie d’une fleur enjouée.

Des regards en coin, s’échangeaient des sourires, qui ne pouvaient se contenir sans éclater en rires; démonstrations enfantines si spontanées qu’elles étaient des éclats de murmure, dans la maison. Ces détentes animées ne pouvaient s'éterniser sur ces morceaux regroupées de la journée, où l’on allait trotter par les chemins. Et les journées passaient, les journées avec le parfum des fleurs, qui avait cette simplicité de rêve inventé. Et de nuit en nuit, les rêves perdaient leur ton vif d’antan; de ton en ton, les rêves se dégradaient. Si bien qu’il arrivait des matins où le souvenir des parfums de l’aventure nocturne passée, ce souvenir s‘était effacé. Amélie songea à ce qu’il était temps de changer de chambre, mais cela ne devait pas suffire.

Alors, pour aller à la recherche de couleurs nouvelles, dont elle étalerait la teinte jusqu’à l’intérieur même de ses nuits, dans le creux de ses rêves; Amélie redoubla d’efforts. Le long de ces journées passées, le chemin caillouteux s’était goudronné; et les contrebas, eux, terrasses en pente où grandissaient les bosquets, les contrebas s’étaient laissés grillager. Sur ce chemin aménagé, passaient maintenant des chiens en laisse. Amélie, elle, se laissait mener par cette asphalte citadine, et d’une main, ou d’un bras peut-être, on la conduisit vers un des sommets de la ville de Paris.

Cette hauteur nouvelle n’avait rien de la rondeur des monticules en banlieue. Ici-haut, une cour de café emménagée en jardin à la française. Sur les carreaux de gravillons assemblés, des guéridons de fer-blanc aux coussins moelleux mais rebondis. Et par-dessus les mignonnes petites tables, une fleur dans un vase, un écho romantique aux tons vifs des jardinières alentours. En tête à tête avec un coquelicot, Amélie restait sagement assise, sans même penser à sauter ici et là. Une danse peut-être, parfois; alors, Amélie se levait et tendait le bras pour un tango de charme, à la mélodie hispanisante. Puis, il fallait de nouveau se rassoir, sans bruit, et sans le quitter du regard, le coquelicot aux rougeurs ardentes. Mais, comme chacun sait, le coquelicot une fois cueilli, est une fleur qui ne survit pas même baignée à l’eau d’un vase; fleur éphémère qui finit quand s’éteint la flamme d’une passion.

De la rosée brouillant la clarté verte de ses yeux, Amélie passa le portillon, les paupières lourdes et baissées vers le chemin. Sur les bords du passage qui, de pierre en pierre, l’avait tant fait sautillé, les coquelicots fleurissaient à côté des boutons d’or.

Depuis le cadre d’une fenêtre, Amélie plongea son regard dans cette courbe florale, et lui trouva quelque aspect rassurant. C’était comme une belle image que l’on regarde, en souvenir du passé. Amélie souriait à nouveau, et se retournant vers les trois portes du couloir, Amélie décida qu’elle changerait de chambre, à la nuit tombée.

Et de soir en soir, de matin en matin sans le souvenir des rêves, les journées passaient.

Le temps, parfois s’assombrissait, et quelques saisons mais de rares saisons, restaient inachevées; quand d’autres arrivaient, si précocement, qu’elles passaient des journées, à la suite desquelles Amélie laissait s’échapper un nuage grisonnant de fumée, au dessus de la cheminée. Ces humeurs déréglées du temps, poussaient leurs soupirs gelés, qui laissaient les fleurs transies. De ces mauvais tempéraments, les vents violents venaient agiter les nuits d’Amélie; des petites gélules, le soir, avait déjà remplacé les tisanes apaisantes aux sachets pleins de fleurs.

Une mauvaise nuit de trop avait poussé Amélie, le matin, à la poignée de son portillon; elle la prit en main, et s’en alla dans la petite automobile, postée devant la clôture. Par les routes goudronnées, Amélie s’en alla, et vint garer son véhicule au pied d’une hauteur nouvelle. Le Sacré-Cœur parisien plantait au départ du funiculaire des bleuets dans les jardinières. Là-haut, Amélie alluma, de son briquet, une ronde bougie en forme de cierge. Cette petite flamme aux teintes bouton d’or et coquelicot, semblait se dégrader sur les bords en ces tons indigo qui s'étalent sur les bleuets. Une prière repliée vers les grands carreaux du sol, une digitale cueillie en silence par la fenêtre du funiculaire, un coup de vent par-dessus le wagon.

A l’arrivée, Amélie s’était éteinte, et le pourpre d’une mauvaise fleur sur ses doigts flétris.

 

 

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par cinammon | Voir tous ses textes | Visite : 384

Coup de cœur : 9 / Technique : 8

Commentaires :