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Rouge et noir par Manouchka

Rouge et noir

C’est elle. J’en suis sûr ! Mais cela fait des années.. Et pourtant je suis sûr que c’ est elle. Vite, je dois la suivre.

- Combien je vous dois ?

- Cela fera cinq euros tout rond, jeune homme, me dit le barman en m’accordant à peine un coup d’œil.

- Tenez. 

Après avoir jeté un billet sur le comptoir, j’attrape ma veste et bondis dehors.

Où est-elle ? Elle était là il y a une minute à peine. Je regarde autour. Rien. Je me rappelle la vision fugace que j’ai eu d’elle. Elle n’a pas changé. Toujours les mêmes éclats dorés dans les cheveux. Et ces yeux… Je suis sûre que c’est elle.

Là-bas, au coin de la rue ! Vite, je traverse, manque me faire renverser par une voiture. J’esquisse un geste rapide au passage, « Désolé! », mais cela ne semble pas calmer le propriétaire de cette guimbarde. Je m’en fiche, je suis déjà ailleurs.

Là, derrière la boulangerie. Je ne dois pas la perdre de vue. Il faut absolument que je lui parle. Cela fait tellement longtemps.. Mais j’ai du mal à la suivre, on dirait presque qu’elle court !

Arrête mon vieux, tu deviens parano, je ne vois pas pourquoi elle voudrait t’éviter. Et puis d’abord, il faudrait déjà qu’elle t’ai reconnu et tu as changé en quatre ans tu sais ? Oui, ça au moins, c’est une bonne vérité. Un peu moins de cheveux et quelques kilos en plus, je ne pense pas qu’on puisse appeler cela une réussite !

Je m’arrête devant la devanture de la boulangerie, regarde à l’intérieur. Elle n’y est pas. Mais un serpent rouge dans le reflet de la vitrine me fait me retourner et l’apercevoir entrer en face, dans la gare, son écharpe carmin volant autour de ses épaules. Je la reconnais bien là, ne puis-je m’empêcher de penser en souriant. Elle n’a pas changé. Un éclat de couleur dans la grisaille.

Enivré par sa présence toute proche, je m’élance vers la gare, un sourire toujours scotché sur les lèvres, frissonnant de bonheur à l’idée de lui parler, de la toucher. C’est elle. Et cela faisait tellement longtemps.

 

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Oh mon dieu. Pas lui. Pourquoi a-t-il fallu que je le croise. Ici et aujourd’hui ? Et je crois qu’il m’a reconnue. Pourquoi ? Si seulement… Pas le temps de ressasser le passé. J’ai l’impression qu’il me suit, je ne dois pas perdre de temps. La gare. Parfait. Il y aura sûrement du monde, on est en plein milieu de l’après-midi. C’est exactement ce qu’il me faut. Me fondre dans la foule et lui échapper. Ne pas le revoir. Oublier l’expression qu’il a eu en me voyant. Oublier ses yeux. Bleus, si bleus…

Vite, les escalators. Un coup d’œil rapide derrière mon épaule. Je ne le vois plus. Je crois que c’est bon. Il a du me perdre de vue. Tant mieux. Je n’aurai jamais pu affronter son regard de pitié. J’ai tellement blessé, tellement gâché. Et perdu tellement de temps. Je n’aurai jamais pu lui avouer ce qu’est devenue ma vie après mon départ. Cette vie de nomade, à dormir entre deux villes, à ne jamais me poser, comme toujours. Alors que lui, je suis sûr qu’il a fait quelque chose de sa vie. Qu’il a réussi, comme on dit.

Le kiosque à journaux. Je me glisse entre deux rayons et choisit une revue au hasard, plongeant mon visage entre les pages. Une larme glisse sur ma joue, et viens mourir sur le papier glacé. J’ai tout raté. Même lui. Je l’ai raté. On ne peut pas rattraper le temps perdu. Pourquoi a-t-il fallu que je le revoie, pourquoi ?

 

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« Hé, vous pourriez faire attention ! »

Je lance un regard surpris à la petite femme rondouillette qui m’a interpellé, et la dépasse, me fondant dans la foule et jouant des coudes pour avancer. Devant la file amassée sur les escalators, je me décide pour les escaliers. Dix marches plus tard, je regrette d’avoir tant fumé. Dix de plus et je décide d’arrêter.

Arrivé au sommet, je m’arrête, les mains sur les genoux, cherchant mon souffle et ma fugitive du regard. Elle veut me semer, j’en suis sûr maintenant. Mais je ne comprends pas pourquoi. J’ai tant de choses à lui dire, tant d’excuses à lui faire. Son départ m’a blessé bien sûr mais j’en étais en partie responsable. On ne met pas un oiseau en cage. Et moi, j’avais essayé. Je l’ai perdue. Et aujourd’hui pour la deuxième fois. Je me mets à marcher, déçu et triste, dans le hall, la sachant tout près. A l’affût du moindre éclat de couleur, je déambule, sonné, entre les gens. Toute cette foule me semble ne former désormais plus qu’une seule entité consciente, ondulant autour de moi délibérément, essayant de masquer à mon regard l’objet de ma course effrénée. Plus les minutes s’égrainent et plus je désespère. Rien. Pas la moindre parcelle de vie rougeoyante entre ces visages ternes. Pas la moindre étincelle au milieu de tant de morosité. Mon oiseau s’est encore envolé. Pourtant j’avais tant à lui dire. On avait tant à essayer. Moi qui n’ai vécu que pour cet instant depuis toutes ces années, je me retrouve errant entre deux halls de gare, confus et seul. Mon sourire s’est effacé en même temps que mes pas ont ralenti, me déposant auprès d’un banc impersonnel sur lequel je m’assoie, tremblant. Laissant tomber ma tête entre mes mains, je ne peux m’empêcher de l’imaginer, son rire résonnant encore en moi après ces quatre années.

Et si j’avais rêvé ? Si ce n’était pas elle finalement ? Arrête. Tu le sais. Tu le sens au plus profond de ton être que c’était elle. Et tu l’as encore laissée s’échapper. Sentant mon regard se troubler, je m’essuie les yeux d’un revers de la main, et me relève. Et, les épaules rentrées, le cœur serré, je me dirige vers la sortie de la gare, émergeant difficilement du doux rêve que j’avais eu le temps de forger en ces quelques minutes. Une fois dehors, je m’allume une cigarette, cherchant à me débarrasser du goût amer que j’ai dans la bouche, et reprends le chemin vers ma vie, triste et monotone vie. On aurait eu tant de temps à rattraper.

 

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Est-il encore là ? Je lève mon regard du magazine, et ose jeter un coup d’œil vers la foule de touristes et d’étrangers devant la boutique. Je replonge aussitôt le nez entre les pages. Il est là. Je l’ai vu. Il me cherche. D’un mouvement rageur, j’écrase les phrases humides qu’ont laissé sur ma joue mes larmes muettes et me maudis. Je maudis ma lâcheté et ma peur. Je maudis mes rêves et mes illusions. Et je pleure sur ma vie. Sur cette route que j’ai prise, et qui ne m’a menée nulle part.

Noyée dans mes regrets, je replie le magazine et le dépose sur la première étagère en face de moi. Il est parti. Je l’ai vu s’asseoir sur ce banc. Il avait l’air triste je crois. Mais c’est mieux comme cela. Il ne sait pas ce que je suis. Un monstre de solitude. Je réajuste sur mon visage le masque de l’indifférence et m’apprête à ressortir de la gare. Mais il est juste devant moi. Il s’arrête soudain. J’ai le cœur qui bat et je m’arrête aussi, maintenant la distance entre lui et moi. C’était juste pour s’allumer une cigarette. Je ne veux pas le revoir mais je ne peux m’empêcher de penser que s’il se retournait à cet instant, il me verrait. Il repart.

Et si… Et si pour une fois, je me donnais une chance, je nous donnais une chance. Il suffirait que je l’appelle. Que je crie son nom. Et nous pourrions peut être… Mais il est trop loin maintenant, il a traversé la route et s’en va je ne sais où. Je ne sais même pas où il habite, c’est sans doute ma - notre - dernière chance. Est-ce que…

Oh et puis zut…

 

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Je crois que je vais arrêter de fumer. Même cette cigarette n’a pas réussi à m’ôter cet arrière goût d’amertume. Et je crois que désormais toutes les cigarettes que je fumerai me rappelleront cet après midi. Comme quoi, il peut toujours sortir des bonnes choses d’où on s’y attend le moins. Je jette le mégot dans le caniveau et le regarde mourir sur la route. La fin d’une mauvaise habitude. De deux mauvaises habitudes même. Je l’ai attendue si longtemps. Je jette vaguement un coup d’œil des deux cotés de la rue et traverse la voie, atterrissant sur le même trottoir que j’avais emprunté tout à l’heure, souriant et pressé. Là je ne suis plus que vidé. Résigné, je me dirige vers le centre de la ville. Vers mon appartement. Vers mon travail et ma vie. Et je crois que je ne me suis jamais senti aussi triste.

Je fais quelques pas et me surprend à repenser à la fin heureuse que toute cette histoire aurait pu avoir. J’y pense tellement fort que je l’imagine même m’appeler. Un sourire vient effleurer mon visage. Ridicule. Je continue d’avancer et me rends compte que mon imagination est tenace. Je crois toujours qu’elle crie mon nom. Et quand je me décide à me retourner pour confirmer à mon cerveau qu’il est temps d’arrêter de fantasmer, je la vois. Elle est là. En face. Elle court et crie mon nom. Elle est vraiment là et m’appelle. Mon cœur bondit dans ma poitrine. Elle est si belle. Toute auréolée de son écharpe rouge. Mes jambes décident enfin de revenir à la vie et je me mets à courir pour la rejoindre. Je vois son visage s’illuminer quand elle a compris que je vais vers elle. Et tout ce que l’on ne s’est jamais dit se lit sur nos visages, là, en cet instant. Et je sais que je serai le plus heureux des hommes. Que ma vie ne sera plus jamais monotone. Que je ne retournerai jamais seul vers mon appartement, vers mon travail et ma vie. Que son éclat de rire illuminera désormais mes matins et mes journées. Elle court et je vais vers elle, vers nous. Elle s’apprête à traverser la rue et en un éclair, le monde s’écroule. Je m’effondre sur le trottoir, tombe à quatre pattes sur le sol froid et sale. Je me relève maladroitement, la vue brouillée de larmes et m’élance vers la route. Et dans un désespoir infini, je me jette vers elle, vers son corps qui vient d’être heurté violemment par une voiture. Je tombe près d’elle, lui saisis la main, et ne vois plus rien que ses yeux, ouverts et tournés vers moi. Hurlant de chagrin, je la vois m’échapper, s’envoler, et la mare de sang autour de son visage s’élargir, imbibant son écharpe rouge de taches sombres. Je l’ai encore perdue. Et je reste là, à pleurer sur elle, sur nous, sur ma vie. Des gens essaient de me relever mais je ne veux pas. Je veux rester auprès d’elle. Toujours. Je veux la garder dans mon cœur. Et j’ai si mal. Elle est partie. Et je pleure sur son corps, enlacé de sang et reposant sur le sol froid et sombre du bitume. Mon éclat de couleur dans la grisaille…

 

 

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Style : Nouvelle | Par Manouchka | Voir tous ses textes | Visite : 504

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Commentaires :

pseudo : nouni

chérie c un peu trste mé c magnifique sérieu la maniere dont tu la ecrite la superposition ;MON CHAPEAU!