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Elle est morte par tevenn de kerscao

Elle est morte

« – Alice est morte. »
Alice est morte ce matin, ou hier soir ? Je ne sais plus. Je ne comprends plus ce qui se passe. Hier je lui téléphonais, je déclinais son invitation, et maintenant c’est elle qui décline. Je n’y comprends rien. Mais pourquoi me l’avoir dit ? Pourquoi m’avoir torturée ainsi ? Qu’est–ce que j’y peux, moi, toute seule contre cette mort ? Contre ce destin ? Je suis trop petite pour comprendre et lutter contre ces larmes qui m’agressent depuis des heures. Depuis des heures au moins. Je ne contrôle plus rien du tout. Je ne sais plus parler espagnol. C’est trop dur de discuter avec ces étrangers chez qui je suis maintenant. Je comprends leurs regards de pitié et de compassion. C’est tout ce que je comprends d’ailleurs, mais qu’ils les gardent pour eux. Je ne sais plus lire l’heure. Le temps vient de s’arrêter. Sa vie aussi. Mais non, ce n’est pas vrai, ça ne peut pas l’être : je lui parlais hier.
On m’explique qu’elle a eu un accident de voiture, qu’elle se trouvait à l’arrière et qu’elle n’avait pas attaché sa ceinture. Elle a traversé le pare–brise pour mieux traverser le miroir. Et moi ? Je reste toute seule du mauvais côté… mais c’est impossible, je ne sais pas faire ça, moi ! Je ne sais pas marcher toute seule. Je ne l’ai jamais su.
J’ai mal au cœur et ma vie tourne autour de ma tête, la vie de l’univers entier tourne autour de ma tête. Laissez–moi maintenant, vous qui m’avez annoncé la nouvelle. Partez ! Sortez de ma vue et de ce qui reste de vie en moi ! Mais, allez–vous–en ailleurs porter la Nouvelle. Mais, n’ayez plus le culot de vous dire mes amies. On ne fait pas ça à ceux qu’on aime, on ne leur annonce pas de telles nouvelles. Ce n’est pas possible. Et d’ailleurs on ne meurt pas quand on aime, alors, allez la chercher, je veux qu’elle revienne immédiatement.
Quand elle a sauté à travers le pare–brise, pourquoi personne ne l’a rattrapée ? Olivier le preux, le vaillant, était pourtant devant, …quoi ? Il dormait, d’accord. Mais la fée Morgane était là aussi ? Elle conduisait… c’est sûr, on ne peux pas être à la fois l’assassin et le sauveur. Ce n’est pas ce que je voulais dire, pardon. Ou plutôt si, c’est exactement ce que je pense. Je ne vais tout de même pas m’accuser moi–même d’avoir brillé par mon absence ! Ce serait un comble ! A vous entendre les absents ont toujours tort ! Alors, c’est elle la plus coupable de tous. Le seul argument qu’elle pourra maintenant avancer pour sa défense, c’est ce silence de mort.
Arrêtez de me dire qu’il faut que je dorme car je n’ai pas sommeil. Je ne veux plus jamais m’endormir. On ne sait jamais, elle pourrait avoir envie de revenir, alors je ne veux pas me comporter comme le courageux Olivier, je veux être là pour l’accueillir. On n’est jamais trop prudente. Je ne vais pas dormir avant qu’elle ne revienne. Laissez–moi, il faut que j’appelle ma maman. Il faut que je lui explique tout ça. Elle pourra m’aider. Je lui dirai, « Alice est morte, Alice est morte ce matin ». Elle me dira que ce n’est pas vrai. C’est ce qu’elles font les mamans quand on a fait un mauvais rêve. Alors je pourrai enfin dormir.
Mais même ma mère me dit la vérité ! C’est horrible une mère honnête. Je veux qu’on me raconte des histoires. Je veux qu’on me dise qu’elle est partie faire un long voyage, ce long voyage dont elle rêve depuis si longtemps. Je veux qu’on me dise qu’elle a tout laissé tomber pour faire ce long et beau voyage. Alors dites–le ou je meurs aussi, là devant vous, comme ça, sans bouger. Personne ne me le dit, et pourtant je ne meurs même pas. J’ai mal au cœur, à la tête et au cœur. Je crois qu’il faut que je dorme. Laissez–moi maintenant je vais fermer les yeux sur ce monde puant de vérité. Je vais rejoindre Alice pour quelques heures dans ce monde où même la mort est une amie. Je reviens plus tard, je ne vous laisserai pas tomber, moi au moins je sais que lorsqu’on aime, on reste, quelques soient les pare–brise qu’on rencontre, les virages que l’on rate ou la vitesse du temps qui s’enfuit. Quand on aime, on ne quitte pas.

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Style : Nouvelle | Par tevenn de kerscao | Voir tous ses textes | Visite : 550

Coup de cœur : 11 / Technique : 7

Commentaires :

pseudo : hadjer

Oui ,il n'y a pas plus terrible et plus cruel que la mort Mais il faut savoir la contrer, déjouer ses ruses et ses pièges en avançant toujours et encore vers la vie ,car c'est la vie qui panse nos douleurs et oblige le temps d'effacer un peu notre malheur Texte trés émouvant et trés bien écrit A d'autres textes Tevenn

pseudo : cha

waou!! quel texte poignant!!! Beau témoignage d'amour face à la mort que l'on ne veux pas accepter, alors fermons les yeux pour les revoir encore.Un coup de coeur l'argement mérité!

pseudo : tevenn de kerscao

Merci pour vos commentaires. Olivier, j'espère que tu as reçu mon message : le tien m'a émue jusqu'aux larmes. J'en suis encore bouleversée. Fais-moi signe que je puisse enfin découvrir le texte dont tu m'as parlé.