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Liftoff par Timedancer

Liftoff

Le couloir était long. Trop long.

Les portes se succédaient, l’air était lourd, et l’odeur de désinfectant et de nourriture de seconde zone ne faisait rien pour arranger cette sensation.

                Johan, quinze ans, avalait les kilomètres les uns après les autres, entouré de sa famille composée de son père, sa mère, et ses deux jeunes frère et sœur, tout deux les yeux rivés sur l‘écran de leur console portable. Son père portait un paquet soigneusement emballé dans du papier rouge et or, mais l’adolescent n’arrivait plus à se rappeler ce qu’il contenait. Et il s’en souciait d’ailleurs peu.

                Son esprit était perdu ailleurs, ses yeux verts étaient vides et il était tout engourdi, au point qu’il ne sentait pas son cuir chevelu qui se hérissait par vagues.

                Quelque chose n’allait pas.

                Premièrement, le couloir ne devait pas être si long, il était déjà venu ici et cela n’avait pris que cinq minutes pour arriver à destination. Il n’y avait pas autant de portes la première fois, il en aurait mis sa main à couper! Mais le pire restait cette odeur… Âcre et lourde, trop présente, comme si elle était là pour en cacher une autre, comme celle des bombes de déodorant pour W.C.

                Il ressentait chaque pas avec une intensité inquiétante. Il pouvait sentir le petit courant électrique envoyé par son cerveau afin de donner le message aux muscles de ses jambes d’avancer. Dans son esprit, ce courant prenait la forme d’un petit facteur, tout de blanc vêtu et au corps aérodynamique d’une émission de son enfance qui avait pour sujet le fonctionnement du corps humain.

Allez Gérard! Tend-toi un petit coup que le petit puisse mettre un pied devant l’autre!

                Les sons semblaient venir de loin, comme à travers un long tunnel. Il y avait des bruits de voix étouffés venant de derrière les portes, le grincement d’une desserte poussée par une infirmière qui fut bientôt derrière lui… Quelqu’un toussait, encore plus loin. Tout ces bruits s’élevaient, disparaissaient puis finissait par revenir. Un seul était persistant, le tic-tac d’une horloge accrochée au mur saumon au début du couloir…

                Les secondes prenaient une dimension effrayante de compte à rebours.

Ground control to Major Tom

Ground control to Major Tom

Take your protein pills and put your helmet on

                Johan réussi à esquisser un sourire ironique. Vu la desserte que poussait l’infirmière il y avait de cela des heures plus tôt, les pensionnaires de cette maison de repos avaient plus qu’assez de pilules pour faire un million de fois le trajet de la terre à la lune aller et retour.

Sauf que s’ils y vont, ils y restent.

                Sans s’en rendre compte, il s’était retourné pour regarder en arrière et suivre l’infirmière des yeux. Elle disparu bientôt derrière une porte, mais il continua à entendre le grincement des roulettes. On aurait dit des petits rires, mais qui n’avaient rien de joyeux. Plutôt les rires sadiques de minuscules créatures qui, tapies dans les moindre petits coins sombres du couloir, le regardaient, attendant quelque chose. Il pouvait entendre leurs petites voix, qui aurait pu paraître enfantines si elles n’avaient pas eu cette pointe de méchanceté.

On a une surprise pour toi, Johan.

                Johan se tourna instantanément vers l’endroit d’où venait cette voix effrayante. Son frère s’exclama alors de joie.

-Je t’ai eu enfoiré! Tu peux te la garder ta surprise!

                Si Johan n’avait pas sentit le moindre petit poil de son corps se hérisser, il les sentit revenir dans leur position normale. Il décocha un regard à son frère dont la colère qui y brillait n’était là que pour masquer la peur. Malheureusement pour lui, il n’eu même pas la chance de croiser les yeux du jeune garçon, il avait pourtant espéré pouvoir déclancher une dispute qui, au moins, aurait peut-être fait disparaître son malaise. Son frère venait d’entamer le niveau suivant.

                Cela eu tout de même l’effet bénéfique de remettre les choses à leur place pendant quelques secondes: le couloir aux murs saumon était bien le même couloir que celui qu’il avait arpenté un mois plus tôt, l’air n’était pas si lourd que ça et l’odeur de nourriture n’était pas si dégoûtante, quoi que ça ne devait quand même pas être terrible.

Et puis il faut bien te dire que ceux qui sont ici s’en foutent, la plupart a certainement presque perdu deux ou trois sens sur cinq et dans ceux là, il y en a encore cinquante pourcent qui ne s’en rendent même pas compte.

Bobonne n’est pas comme ça.

                Non, elle n’était là que pour un court passage, pour se rétablir et puis elle rentrerait dans son appartement et tout redeviendrait normal. Mais Johan avait peur.

Mais peur de quoi?

                Le compte à rebours avait repris. A croire que le Major Tom avait quelque chose de vraiment important, et de vraiment urgent, à faire dans l’espace.

                Brusquement, l’adolescent fut pris de l’envie de se retourner, et de revenir sur ses pas, d’emmener avec lui sa famille, de reprendre la voiture et de rentrer à la maison. A moment où il eu cette pensée, l’odeur qui l’oppressait déjà devint pire encore, et cela n’avait plus rien à voir avec une odeur de nourriture, ni même de désinfectant et de médicaments. C’était une odeur légère, à peine perceptible, un peu cuivrée, semblable à celle de la peur, mais encore une fois différente.

                Et il la connaissait.

Ground control to Major Tom

Commencing countdown, engines on

Check ingnition and may god’s love be with you

 

Ten, nine, eight, seven, six, five, four, three, two, one, liftoff.

 

                Cette odeur ne venait pas du couloir, ni de la chambre dont Johan et sa famille s’approchait, et finirent par dépasser, et dont le porte était ouverte. Non, cette odeur était une illusion crée par son cerveau, il n’en savait pas plus sinon que c’était un signal d’alarme.

                Il avait de nouveau cinq ans, et il était assis sur un tabouret trop grand pour lui. C’était chouette d’aller au travail de Maman, parce que ça signifiait qu’il avait gagné, qu’il n’était pas allé à l’école. Maman ne résistait jamais bien longtemps à une bonne crise de larmes.

                Il était tranquillement assis dans la petite salle d’exposition du funérarium, nettoyant depuis un quart d’heure le même petit pot de fleur en plastique avec une concentration dont seuls les enfants peuvent faire preuve. Un cercueil était posé à côté de lui, en position couché. Lorsque personne ne passait l’arme à gauche dans le petit village, la pièce servait à stocker quelques cercueils.

                Johan était fasciné par l’endroit, mais n’en avait pas peur, même si il gardait quelque chose de mystique. Après tout, étant l’ami de la fille des patrons de la petite entreprise, qui faisait également office de quincaillerie et de fleuriste, il avait nombre de fois joué à cache-cache entre les cercueils. Cela dit, jamais au grand jamais, il ne s’était glissé dans l’un d’eux, même si cela semblait être la meilleure planque du monde et que la tentation était forte.

                Rien ne semblait alors pouvoir ébranler sa fierté, son calme et sa concentration. Et pourtant, tout bascula. Tout cela à cause d’une simple odeur. Elle lui était venue d’un seul coup, écartant l’odeur pourtant presque suffocantes des fleurs.

                L’enfant leva brusquement la tête et ses vertèbres craquèrent. Quelque chose était là. Avait toujours était là, tapie quelque part.

                Il le sentait.

                Toc. Toc.

                Qui est là?

                Il se mit à courir se laissant aller à l’instinct. Il ne respirait pas. Il passa quelques portes, les poussant tellement fort qu’elles allaient cogner violemment les murs.

                Ce bruit était venu du cercueil, il en était sûr! Il s’était simplement trompé et on avait probablement juste oublié d’allumer les deux lanternes à l’extérieur qui, habituellement, signalaient qu’un macchabée avait élu résidence au funérarium, du moins pour un temps.

                Il arriva, après une course qui lui avait semblé durer des heures, et dont il n’avait pas idée qu’elle se reproduirait dix ans plus tard, dans la section fleuriste du magasin. Sa mère ne se tourna vers lui que quand elle entendit la porte claquer contre le mur. L’enfant était immobile, la regardant avec ses yeux écarquillés. Elle s’inquiéta de savoir ce qui se passait. Mais aussi vite qu’elle était venue, l’odeur s’en était allée, et la raison de Johan repris le dessus. Tout cela lui semblait un rêve maintenant.

-Rien… Y a rien… Je peux avoir un autre pot?

 

                Mais cette fois-ci, l’odeur, non contente de persister, s’amplifiait.

                Le tic-tac de l’horloge était désormais plus proche d’un battement de cœur que de la réelle respiration d’une mécanique bien huilée. Et…

Il est irrégulier!

                Son père ralentit, alors que Johan pensait qu’il était impossible d’aller encore plus lentement. Il se plaça face à une porte. Et frappa.

Toc. Toc.

Qui est là?

La chambre 237... Tu as rendez-vous avec la chambre 237 et la vieille femme va se lever de la baignoire, aussi nue qu’au jour de sa naissance, sauf qu’elle est morte.

Tu regardes trop de films!

                Pas de réponse.

Bobonne ne venait pas ouvrir, elle ne leur disait même pas d’entrer. Papa frappa encore une fois, mais entra ensuite presque instantanément.

Il l’a sentit aussi!

                C’était l’impression qu’il lui avait donné, mais son père devait malheureusement le décevoir. Ils entrèrent, l’un après l’autre, Johan se plaçant courageusement entre sa mère et son frère et sa sœur, toujours plongés dans leurs jeux.

                Bobonne était assise sur son fauteuil, les pieds étendus et couverts par une couverture. Les yeux fermés, la bouche ouverte, Johan savait que c’était fini. Il recula sous le coup de…

De quoi? Je ne suis pas surpris! Je ne suis même pas surpris bordel!

La peur. Il fit reculer du même coup les deux plus jeunes et fini par se tourner vers eux.

-Retournez dans le couloir.

Ils levèrent vaguement les yeux et, sans plus de curiosité, quittèrent la pièce. Johan sentit une partie du poids quitter ses épaules.

                C’est alors que son père le déçu. Il secoua sa grand-mère et essaya de la réveiller. Johan fut pris d’une envie de crier.

C’est fini! Terminé! Major Tom s’est fait la malle dans l’espace et il l’a prise avec lui! Jamais elle ne reviendra!

                Mais il se retint et se contenta de regarder son arrière-grand-mère de la tête au pied. Elle avait l’air de dormir, il ne pouvait pas en vouloir à son père. Elle portait ce genre de robe large à motifs imprimés auxquelles les vieilles dames semblaient si attachées.

Ground control to Major Tom

You’ve really made the grade

And the papers want to know whose shirts you wear.

Now it’s time to leave the capsule if you dare

                Finalement, après avoir secoué, appelé et vérifié, en plaçant sa main devant la bouche de sa grand-mère, si elle respirait encore, son père se tourna vers sa mère et lui. Le bruit de battement cœur qui avait suivit Johan dans le couloir s’était arrêté. Quand? Il n’aurait su le dire, mais les seuls bruits qui lui parvenaient maintenant venaient des consoles de son frère et sa sœur, dans le couloir.

                Son père avait pâli.

-Aller dans le couloir. J’appelle une infirmière.

Ils obéirent, Maman plaçant un bras autour des épaule de son fils, celui sur le visage duquel elle avait vu, dix ans plus tôt, la même expression pâle que celle que son mari venait d’avoir.

                Johan ne se retourna qu’une fois, avant de se laisser entraîner par sa mère.

                Planet Earth is blue and there’s nothing I can do.

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Chanson: Space Oddity, David Bowie.

 

 

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Style : Nouvelle | Par Timedancer | Voir tous ses textes | Visite : 692

Coup de cœur : 9 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : Tihia

Le texte mélange les sensations , d'ondes parallèles ficelé par quelques bout de Bowie ... Tout se supperpose ici et a la fois paradoxalement s'isole de l'espace vital ... A relire .