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L'article de journal par Damien R. Melody

L'article de journal

    J'avais une station expérimentale à l'est du Groenland. Elle était située au bord de la mer. Quatre cent kilomètres en dessous, c'était l'Islande. Je ne savais pas vraiment pourquoi j'étais là. Je savais juste que j'aimais mon travail, j'aimais le froid, les glaciers, la neige et la couleur blanche.

    Ça faisait quatre mois que j'étais seul dans la station. Un convoi de ravitaillement devait arriver dans la semaine, j'avais tout prévu comme d'habitude. Un peu de compagnie me faisait du bien.

    Quand les hommes sont arrivés, je les ai trouvés bizarres. Comme si ils n'avaient pas envie de parler avec moi, comme si j'étais un étranger pour eux. Pourtant, ces types étaient formés spécialement pour me soutenir dans ma mission. Même le psy était distant.

    Ils sont repartis en laissant une brochure de journal. Je faisais la une. Le célèbre explorateur Jean-Baptiste Victor est mort au Groenland, dans le paysage de ses rêves. Le célèbre explorateur, c'est moi, mais je n'étais pas mort. J'ai lu un jour que quand un homme apprend qu'il va mourir, il réagit selon un schéma bien précis.

    J'ai d'abord cru à un canular. J'ai refusé de croire qu'on m'avait déclaré mort. Bien entendu, je me suis mis en colère. J'étais furieux, indigné, exaspéré. Ensuite, selon les spécialistes, j'aurais dû entrer dans une phase de marchandage. Avec qui je pouvais bien négocier un truc pareil ? J'aurai bien voulu appeler le rédacteur du journal et lui demander des explications. J'aurai pu demander à Dieu, si j'y croyais. Mais je n'avais rien à faire.

    Pendant de longs mois, je suis resté couché dans mon lit. J'ai mangé, j'ai bu pour survivre, je ne pensais plus. Je ne pensais plus à rien. Si bien que je ne m'étais même pas aperçu que le convoi de ravitaillement n'était pas venu. On ne m'avait pas appelé depuis une éternité. Je n'avais pas de nouvelles de la civilisation. Pour la première fois, j'étais réellement seul. La dernière phase du mourant, dit-on, c'est l'acceptation.

    Je devais accepter que l'opinion publique me déclare mort, que l'humanité me condamne à ne plus exister. Si j'acceptais cette idée, alors j'étais libre. Je suis resté quelque temps encore entre deux états de conscience. Je dormais quasiment tout le temps. Ma vie n'était qu'un long sommeil.

    Je me suis mis à rêver de l'océan. Dans mon rêve, je tombais du ciel. Toujours. Je tombais toujours du ciel. En dessous, il n'y avait que de l'eau, jusqu'à l'horizon. J'aurais aimé voler, mais je n'y arrivais pas. Mon corps était lourd, j'étais attiré vers la mer, vers l'océan. Quand je m'écrasais sur la surface de l'eau, je ne sentais rien. Simplement, j'avais terriblement froid, si froid que mes membres ne me répondaient plus. Sous l'eau tout était noir. Mes mains ne bougeaient plus et mes bras étaient engourdis. C'était le rêve que je refaisais chaque fois que mes yeux se fermaient.

    Enfin, je suis devenu las de mon existence de fantôme et un jour, je suis parti de ma station, comme ça, pour explorer un peu les alentours. Je ne suis pas revenu. Je me suis simplement allongé dans la neige j'ai imaginé le désert. Le sable chaud. Quand je me suis endormi, j'ai refait mon rêve. Et quand j'ai touché l'eau, mes membres se sont cassés. J'étais congelé.

    C'était il y a longtemps, quand je suis mort de froid à cause d'un article de journal.

 

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