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Play par Timedancer

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7:53

 

                « Mors au noir et au arabbes et surtou au juiffes! »... Deux yeux verts fixent cette phrase irrégulière écrite à l'indélébile au dessus de la porte coulissante. Un cri de haine? Probablement pas. Juste de la frime, à coup sûr.

                Il fait froid. Personne dans le personnel ferroviaire n'a penser à faire chauffer les wagons avant l'arrivée des élèves qui commencent maintenant doucement à s'entasser dans les cabines. Prévues pour six passagers, elles en contiennent bientôt une dizaine.

                Malgré le froid, que même la proximité de ces corps adolescents ne parvient pas à atténuer, les yeux verts sont toujours fixés sur cette même phrase. Ecrite pour la frime, la haine qu'elle suggère est pourtant bien assimilée...

                « Sauf qu'ils se trompent... ». Une voix dans un cerveau. Quelque chose que l'ont peut appeler conscience, ange gardien... Ou peu importe finalement. Juste une voix audible par son seul possesseur. Se forme alors une idée, une opinion. La haine ne peut être autant ciblée... « Après tout il y a des trous du cul partout... ».

                La machine se met finalement en route. Les voix se mêlent, certains crient. D'autres encore, se sentant probablement trop à l'étroit se mettent à courir dans le petit couloir. Mais le seul bruit atteignant le cerveau en pleine réflexion est la douce musique répétitive du train qui prend de la vitesse.

                Lorsque la musique a atteint sa vitesse de croisière, des images se superposent aux lettres noires au dessus de la porte. Un train justement, entrant dans un tunnel. Un jeune garçon est là qui jouait sur les rails, il s'est bougé au dernier moment le chanceux. Le train passe devant ses yeux, des mains dépassent des wagons surpeuplés, appelant à l'aide... Mais personne ne viendra...

                D'autres images suivent... Des images de l'enfance, calme, ensoleillée. Des images d'innocence, où tout le monde semble gentil et où les rares méchants sont punis. Un sourire ironique se dessine alors sur un visage pâle. Qu'on est con quand on est gosse!

 

8:03

 

                Une bonne bouffée d'air... Il était temps. L'air est piquant hors du train, mais il est le bienvenu. Après seulement dix minutes de trajet, l'air était déjà devenu moite et puant à l'intérieur.

                Le train, la phrase, les images, humidité et puanteur... « Des signes, ce sont des signes... Today is History. ».

                « Tu regardes trop la télé. ». Voilà ce que lui dirait sa mère si elle pouvait l'entendre penser. Elle avait en partie raison. Et en grosse partie tort. N'avait-il pas été, jusqu'à un certain âge, un petit garçon près à tout pour aider son prochain, tout cela en voulant imiter ses héros animés?

                Il le serait probablement resté, si la réalité ne lui était pas tombée dessus à plusieurs reprises, changeant sa perception des choses, lui faisant découvrir la peur, le doute, qui combinés mènent à la haine.

 

8:30

 

                Tout le monde dort encore, professeurs y compris. Le lundi est toujours un jour difficile et long. Seul un garçon au visage pâle, aux yeux verts, aux tâches de rousseurs à peine marquées à cause du manque de soleil et aux cheveux d'un fade châtain clair semble un temps soit peu éveillé. Ses yeux intelligents sont fixes. Il pense.

                Soudain, la porte s'ouvre. Personne ne réagit. Seuls les yeux verts se tournent dans cette direction. En retard et donc pile à l'heure. Un garçon au cheveux bruns, courts, qui auraient bouclés si on les avait laisser pousser assez longtemps entre, lance un bref mot d'excuse au professeur histoire de dire.

                « Ne t'ai-je pas vu dans la cours tôt ce matin? ». Un ton suspicieux. Le garçon hausse les épaule. Cela suffit dans cette école où le laxisme est une loi plus qu'une mauvaise habitude. Il s'assoit à côté de son pâle compagnon.

                Sur le banc derrière eux, une jeune fille réagit alors. Pas le genre de fille qui fait se retourner les gars dans la rue, mais avec un charme certain si on apprend à la connaître, à en observer les détails comme les yeux, les lèvres. Elle se penche en avant, et murmure... Pas que cela dérangerait quelque un... Mais pour le style.

                « Alors? »

                Le grand garçon ne se retourne qu'à peine, et murmure lui aussi. Son pâle compagnon, quand a lui, n'a pas bougé, ni parlé. Il n'est pas calme. Il bouillonne à l'intérieur.

                « Les baffles sont planqués derrière les poubelles aux deux coins de la cours. J'ai branché la chaîne hi-fi dans la salle de la photocopieuse, celle qu'on est devant la fenêtre à chaque récré. ».

                Le garçon et la fille échangent alors un regard complice et sourient. Le garçon pâle se décide alors à se détendre un peu. A ce moment, il ressemble à l'adolescent qu'il doit être. Sauf ses yeux qui sont toujours aussi fixes, neutres. Il se tourne vers les deux autres et sourit à son tour.

                « Baguette magique, Big Boy... »

                Le grand garçon ainsi dénommé ouvre fièrement son sac à dos alors que le chahut commence à se faire entendre. D'abord comme un bourdonnement de fond, mais qui ne demande qu'à grandir. Au fond du sac gît une télécommande Sony.

                « Ca va être génial! Au moins, il se passera au moins une fois quelque chose. ». La voix de Big Boy, du haut de ses seize ans, est déjà celle d'un adulte, clair et profonde, reflétant l'homme intelligent et élégant qu'il serait peut-être un jour. La jeune fille l'approuve d'un beau hochement de tête, déterminée. « On va les secouer un peu à coup de bonne musique. Une idée digne de toi, Mars! »

                Le garçon pâle lui envoie un clin d'œil.

 

10:00

 

                Deux yeux bruns voyagent frénétiquement de gauche à droite dans leurs orbites. Des poils noirs de hérissent à chaque fois que quelque un s'approche un peu trop près d'une des poubelles placées aux coins de la cours de récréation. Big Boy commence à se dire que cacher les baffles là n'était pas une bonne idée. « C'est dingue ce que les humains peuvent produire comme déchets! »... Un nouveau cerveau en ébullition. Si la haine était le sentiment dominant chez le premier, ici, c'est la peur qui est maîtresses des lieux.

 

11:32

 

                Tout le monde s'ennuie. La faim commence à faire bailler les bouches et gronder les estomacs. Seul trois de ces organes sont complètement noués. Ils sont assis l'un à côté de l'autre dans une classe dont les bancs sont disposés en U. Le professeur, un énorme bonhomme qui arrive à transpirer malgré la fraîcheur régnant dans la salle, pose brusquement son sac sur la table. Le dernier cours de l'avant-midi commence et une jeune fille sursaute.

                Big Boy rit. Son rire se veut rassurant, mais ne reflète que sa nervosité. « Oh, Scarlett, n'aurais-tu pas l'esprit tranquille? ». Sa phrase, grâce à sa voix hors du commun pour un adolescent, aurait pu passer pour la réplique d'un film des années 50.

                « Hé hé hé ».

                « Quoi hé hé hé? »

                « C'est le bruit qu'a fait ton rire... Tu es aussi tranquille que moi. Tu crois que c'est vraiment une bonne idée? »

                Big Boy haussa les épaules.

                « C'est que de la musique... Y a rien de mal . »

                Un sourire sur un visage aux tâches de rousseur fades. Le doute dans le troisième cerveau.

 

12:54

 

                Une boîte à tartine que la peur à laisser à son état initial se tient devant un grand garçon brun, au visage blême. Un visage aussi blême que son ami qui, à côté de lui, dévore littéralement son repas de la mi-journée. Une jeune fille regarde fixement se dernier, se posant énormément de question, picorant de temps en temps un quartier d'orange dans sa propre boîte. Mars lui avait souvent fait remarquer qu'elle posait bien trop de questions... Mais là, elle n'y tenait vraiment plus.

                « Vous voulez vraiment le faire, les gars? ». Les yeux verts se fixèrent sur elle. Il posa brusquement sa tartine dans sa boîte . Scarlett devint blême à son tour. Ils étaient maintenant tous comme frères et sœur. La lueur qu'elle avait brièvement vue dans les yeux de son ami lui donnait des sueurs froides. Mars lui sourit.

                « Et pourquoi pas? »

                « On va avoir l'air con. »

                « Ce ne sera pas la première fois. »

                Cette question idiote ne méritait que des réponses brèves selon Mars. Il repris sa tartine et l'acheva avant de remballer le tout dans son sac. Ils se levèrent. La télécommande dans le sac de Big Boy lui faisait l'effet d'un boulet.

                « C'est que de la musique... Y a rien de mal. ».

 

 

15:00

 

                L'heure de vérité. Trois sentiments différent quoi que parents ont eu le temps d'évoluer, de grandir, dans trois cerveaux bien différents eux aussi.

                Trois adolescents se tiennent devant la porte du secrétariat. C'est à Scarlett, la plus enjouée et la plus bavarde des trois de démarrer l'opération. Pas trop difficile car c'est quelque chose que la bande faisait à peut près toutes les semaines, cela ne semblerait même pas suspect. Trois coups sur la porte et un visage figé apparaît. Une dame qui a presque atteint la moitié de son espérance de vie, mais elle parait plus vieille à cause des rides de fatigue, ou probablement plutôt d'ennui, qui marquent son visage. Mais à la vue de la petite bande, ce dernier s'éclaircit.

                « Salut Vero! On vient proposer de remplir le distributeur de cannettes! »

                La dame sourit. Elle est leur complice involontaire. Elle leur tend un trousseau de clés. « Allez y et n'oubliez pas votre du... »

                Un regard bleu vers Big Boy... « Si tu as encore des photocopies à faire, c'est le moment Quentin... »

                Un visage pâle qui tique. Mars n'aime pas ces noms sans signification.

                Et voilà la première phase achevée. Le trio prend la direction du sous-sol, centre des opérations. Tout cela peut sembler avoir été préparé depuis des semaines, réfléchit à la perfection. Mais, comme on dit, les apparences sont souvent trompeuses. L'idée ne date que d'hier et a été lancée sur un coup de tête. « Juste pour rire un coup! » avait dit Mars.

                « Un beau bordel... ». Une voix cassée, lente, à l'accent prononcé. Un accent que l'on ne peut pas vraiment situer, reflet de ce pays aux multiples langues. On aurait dit qu'un ouragan était passé dans cette pièce aux murs gris. Une lumière pâle éclairait l'endroit, y pénétrant par les fenêtres placées au niveau du sol. Big Boy avait fait du bon travail ce matin, ce qui expliquait pourquoi il avait été aussi en retard. Seul quelque un sachant où regarder ou quelque un de très alerte pourrait remarquer les deux petits câbles noirs qui montent le long du mur jusqu'à sortir par la fenêtre entrebâillée Les câbles des baffles.

                Un bruit de feuille de papier jeté dans tous les sens et l'arme apparaît. Une chaîne hi-fi. Les main du grand brun tremblent. Un bruit de métal entrechoqué et Scarlett se dirige vers la sortie avec un cartons contenant les canettes. Elle ferme la porte derrière elle après un regard, qui ressemble beaucoup à un avertissement, à Mars. Ce dernier n'en a que faire. Ne pas avoir fait de plan concret signifie qu'avec ou sans elle, il trouveras toujours un moyen de continuer.  Une voix profonde le tire de ses réflexions.

                « Elle paye pas de mine, mais elle était facile à cacher... Les baffles feront le reste. C'est ceux de la chaîne de mon frère, la grosse. Les fiches collaient, c'est la même marque. »

                Un hochement de tête pour approuver. Mars sens sont estomac se nouer d'excitation, alors que son compère a le sien contracté de peur, il en a presque envie de vomir. Le cerveau de ce dernier se veut rassurant pourtant: c'est que de la musique, il n'y a rien de mal.

                Malgré tout, l'air propage quelque chose de malsain. Quelque chose que lui seul semble sentir. Il sursaute, mais ce n'est que Mars qui a appuyer sur le bouton « open » de la télécommande Sony.

                Ses doigts caressent le compact disc rugueux. Un petit dessin est répété mainte fois sur la surface: quelque chose d'abstrait, entre une fleur et un serpent, peut-être une sorte d'alien. Un dessin qu'il connais bien... Un bon et un mauvais souvenir à la fois.

                Mars se relève et il paraît plus grand aux yeux de son ami, comme s'il était rempli d'une énergie nouvelle. La télécommande semble une arme dans sa main. Le grand brun secoue la tête. La peur joue avec son imagination. Mars lui lance la télécommande.

                « Réveille-moi cette bande de larves, tu veux? »

                Ce n'est peut-être pas son imagination finalement. Ses yeux brun rencontre les yeux verts, intelligents et fixes de Mars. Parfois, ce dernier était pris d'une sorte d'explosion de parole où, lui, d'habitude silencieux et discret, se mettait à parler, sans presque respirer, pendant un quart d'heure à vingt minutes. Cela faisait toujours un drôle d'effet et Big Boy s'était amusé à imaginer qu'un petit bonhomme, dans ces cas-là, prenait le contrôle du cerveau de son ami et y faisait une grosse purge, en faisant glisser tous les fichiers qui s'y était accumuler sur une icône « corbeille ».

                Il ne trouve plus cela amusant maintenant. Cela fait en effet un bon moment que ce petit type microscopique n'a pas fait son boulot. Et si l'ordinateur avait un virus? Car Mars n'avait-il pas, ces derniers temps, fait preuve d'un humour noir encore plus sombre que d'habitude, n'avait-il pas manquer de se battre à plusieurs reprises avec l'un ou l'autres autres élèves qu'il désignait habituellement comme inutiles, inintéressants et inférieurs? Et puis ses yeux... Ses yeux avaient changés.

                L'ordre est bien donné, mais si la peur mène à la haine, elle peut aussi la freiner... Parfois. Le doigt de Big Boy touche le bouton « play » mais ne le presse pas. Un numéro un rouge sang clignote sur le petit écran démodé de la chaîne hi-fi.

                « Et après? »

                Un haussement d'épaules.

                « Qu'est-ce que j'en sais? »

                Réponse franche. Mars ne sais pas ce qu'il va se passer dans deux secondes, vingt minutes, une heures, demain... Il a perdu la notion du temps. Pour lui, la touche « play » est déjà pressée depuis longtemps.

                La réponse n'est pas convaincante, pas plus que rassurante. Il n'y a qu'une seule phrase à laquelle Big Boy peut s'accrocher maintenant: « C'est que de la musique... Y a rien de mal. ». Un courant électrique part alors des ses neurones, voyagent dans une multitudes de nerfs, trop nombreux pour être comptés, et arrivent finalement au bout du chemin. Les muscles de Big Boy se contractent. La touche « play » est enclenchée. Sa mission, terminée. Big Boy est mort.

                Quentin se relève et fait face à Mars, le visage inquiet et lui rend la télécommande. C'est le moment que Scarlett choisit pour revenir avec la caisse de cannettes, vide, alors que des applaudissements retentissent. Ils sont maintenant dix mille dans la petite salle. Mars entre en transe.  Les deux autres se regardent.

                Ils devraient être rassurés, leur part du travail est terminée, il peuvent s'en aller sans remords. Ils savent que quoi qu'il arrive, s'il y a le moindre problème et que Mars se fait prendre, ils savent que jamais il ne citera leur nom, question de fierté.

                Scarlett secoue la tête. Elle se demande pourquoi elle pense comme cela, comme si quelque chose de vraiment grave allait arriver. Comme l'avait si bien dis Big Boy un peu plus tôt, ce n'était qu'un peu de musique, histoire de réveiller un peu les autres, de les faire bouger, d'emmerder un peu le monde aussi... Et peut-être surtout, simplement casser cette routine, cette ambiance monotone qui les vieilli avant l'âge. Scarlett se rappelle un petit discours de Mars... Un des dernier qu'il ait prononcé se rend-elle compte: « On est trop calmes, trop sérieux... On se prend pour de jeunes rebelles, mais écoutez un rien vos parents quand ils racontent comment c'était de leur temps. Eux étaient de vrais rebelles. L'autre jour, un gars de deuxième année était tout fier parce qu'il avait dormi en cours... C'est pathétique. Dormir n'est pas se rebeller, c'est justement ce que les profs veulent: nous endormir, nous rendre apte à avaler n'importe quoi. »

                Et c'était vrai, il avait raison. C'était pour cela qu'elle s'était jetée avec enthousiasme dans cette aventure que les élèves des seventies vivaient tous les jours. Sauf qu'en quelques jours, peut-être quelques semaines, les données avaient sournoisement changé. Elle prend le bras de Quentin et le tire vers la sortie, sans vraiment qu'il y ait de raison. Elle n'a juste pas envie de rester là. Ils sortent.

 

15:15

 

                Marchera ou marchera pas? Mars scrute la cours par la fenêtre. Au début, rien. Rien que la musique. Il n'en a que faire que cela marche, que cela réveille les autres ou pas n'a aucune importance. Il attend sans savoir ce qu'il attend.

                Un regard vers la chaîne de Big Boy. Le son n'est pas à fond.

                « Couillon. »

                Il tourne le volume jusqu'à ce que le bouton tournant ne puisse plus aller plus loin. Alors quelque chose se passe. De bruits de pas précipités commencent à se faire entendre au dessus de lui. Une nouveau regard à la fenêtre et il aperçoit des têtes se pencher par les fenêtres de étages supérieurs du bâtiment d'en face. Il peu en reconnaître quelques un. Évidemment, ce son les plus « turbulents » qui ont réagit les premiers.

                Apparaissent ensuite les têtes de certains professeurs qui, probablement après avoir essayer de maintenir le peu d'attention qu'il y avait sur eux, se sont laisser prendre par leur propre curiosité.

                Un sourire à nouveau. De satisfaction. Cela aura au moins fait bouger un peu les choses. Mais son corps ne réagit pas. L'extase qu'il attendait n'est pas là. Ce n'est pas ceux qui vont le suivre qu'il attend. Il est détendu, il fait froid dans cette cave, et malgré cela, la sueur coule le long de son dos.

                Quelques minutes qui lui semblent des heures. Les larves mettent du temps à se changer en papillon. On en est à la cinquième chanson, et c'est sur celle-là que Mars compte pour faire exploser les esprits. Parce que celle-là, tout le monde la connaît, consciemment ou inconsciemment, tout le monde en connaît jusqu'aux paroles.

                L'esprit humain classique étant très prévisible, Mars n'est pas surpris de voir alors quelques adolescents débouler dans la cours. Certains commencent à danser, d'autres se rassemblent en petits groupes et parlent avec enthousiasme, se demandant probablement qui a eu cette idée bizarre, mais aussi d'où cela vient... Une seule chose est sûre, ils apprécient cette récréation inopinée. Les professeurs sont rassemblés eux aussi, mais au chaud dans le préau. Ils sont le reflet des adolescents discutant au dehors. Cela semble leur plaire à eux aussi.

                Il y a de plus en plus de gens dans la cours. Ils chantent, qui dansent. Et la porte s'ouvre derrière Mars qui ne bouge pas, il admire. Peut-être s'est-il trompé? Peut-être que jusque là, il n'a simplement pas eu de chance? Peut-être qu'après tout, c'est lui le problème?

                Une main se pose sur son épaule et il rencontre le regard brun décontracté et amusé de Big Boy pour poser ensuite son regard sur les merveilleuses lèvres au sourire éclatant de Scarlett.

                « On a été cons de stresser pour rien. Tout le monde s'amuse dehors. Les profs eux-même trouvent ça super de voir enfin  quelque chose se passer ici. »

                Le voix de Big Boy est fébrile. Le regard de Mars et perdu ailleurs. Scarlett elle aussi à son mot à dire.

                « Ils disent que si la directrice veut punir celui qui a fait ça, ils s'y opposeront. »

                Le rire puissant de Big Boy. Mars ne réagit pas et ne sourit plus.

                « Évidemment, y a toujours les profs trouble fête, mais ils sont en minorité ce coup-ci! »

                Un silence, que Scarlett rompt.

                « Alors on attend quoi pour aller en profiter? »

                Mars lance un coup de menton en avant, désignant quelque chose. « Ça ».

 

15:52

 

                Un garçon, pas très grand, aux cheveux rasés dessinant des formes sophistiquées, portant des chaussures de sport d'un blanc éclatant, un manteau, blanc lui aussi, fourré qu'il portera encore probablement en été et une casquette Dolce&Gabbana s'élance d'un groupe d'adolescents, tous habillés de la même façon. Ils se sont créer un look, une marque de fabrique, mais leur seul regard suffirait à les reconnaître.

                Le garçon traverse la cours en sprint, cela ne prend que quelques secondes, mais cela semble des années dans la tête de Mars. Onze ans ont passé lorsque  le garçon envoie valser la poubelle à la gauche de Mars d'un coup de pied, avant de s'attaquer au baffle pour le détruire. L'adolescent n'aperçois pas Mars dont le regard empli de haine est fixé sur lui à travers la fenêtre.

                L'adolescent à casquette est très occupé. Après avoir fait exploser le premier baffle, il court à nouveau pour aller s'attaquer au second. Les années sont passés en revues, l'une après l'autre dans la tête de Mars. L'énumération des faits avant de décider de la sentence. La musique s'arrête. Le deuxième baffle est mort. Tout le monde reste alors immobile, dans la cours, comme dans la cave. Alors, une clameur part du petit groupe de clone au fond de la cours. Ils acclament leur semblable qui a mis fin à cette manifestation d'une culture qui ne leur ressemble pas. Au même moment, au sous-sol, Mars s'acharne sur la trancheuse, sous les yeux exorbités de ses amis. Il troque sa télécommande contre la longue lame puis, les yeux fixes, il sort et claque la porte, laissant derrière ses amis, comme s'ils n'avaient jamais été là.

 

25 octobre 1991, 13:04

 

                Couché dans le noir, l'enfant attend son heure. Il tend l'oreille, attendant que les souffles autour de lui ralentissent, signe que les autres sont endormis. A trois ans, la haine n'est pas un sentiment permanant, mais se manifeste sous forme de pulsions. Et cette fois, le vieux dragon a réussi à en provoquer une. Il aura suffit d'un regard mal placé pour cela.

                Il est maintenant certain que tout le monde dort. Au sol, des autocollants colorés marquent les positionnement que doivent prendre les petits pendant les rondes. L'enfant se lève, et les arrachent lentement, un à un. A trois ans, il a compris l'ancestral concept de « vengeance ».

 

13 juillet 1994, 14:26

 

                Mars n'est pas encore Mars alors que le paysage monte et descend. Quelques cicatrices sont déjà visibles sur son petit visage enjoué. Elles sont la marque de fabrique des rêveurs que l'inattention mène souvent à l'accident. Ses yeux verts sont déjà fixes et intelligents, mais emplis d'innocence et de gentillesse. Les oiseaux répondent à la musique qui plonge l'espace et l'enfant dans un autre monde. Il ferme les yeux. Et s'en va...

 

01 févier 1995, 17:46

 

                Cela fait environs deux heures que cela dure. Des pleurs, des cris, des coups de feu. L'enfant se cache derrière le fauteuil où son père est assis, regardant un film. Cela doit être un très vieux film, car il n'y a pas de couleur, tout est gris. Ou alors peut-être que papa l'a trop regarder et que le film a perdu toute ses couleurs avec le temps.

                Il ne veut pas regarder, mais ne peut s'empêcher de passer la tête sur le côté du fauteuil de temps en temps. Cela fait des sensations bizarres dans l'estomac, la peur. Et parfois même, c'est amusant de ressentir ça.

                Il ne comprend pas de quoi parle le film... Parfois, deux monsieur, dont un dans un bel uniforme, semblent parler des heures. Puis à nouveau, cris, pleurs, coups de feu, cris, pleurs, coup de feu... Dialogue.

                Il ose un regard à nouveau. Un train s'en va, mais un train sans fenêtre, des bras se tendent par d'étroits passages, appelant à l'aide. L'enfant sais que personne ne viendra. Il connais ces images, il les a déjà vues, plus d'une fois, mais c'était dans un autre film.

                Puis tout semble se calmer. Il y a quelques clameurs et des rires. Puis des pleurs, mais pas des pleurs d'horreur, des pleurs de joie et de peine. Ensuite plus rien. Il tente un autre regard.

                Un homme est debout sur une chaise. Peut-être que c'est lui qui va dire le discours de la fin, comme quoi l'horreur est finie, que les méchants sont partis. L'enfant sourit, mais soudain, deux grands militaires approchent de la chaise, et donnent des coups de pieds dedans. Ils le pendent.

                Effrayé, l'enfant se retourne brusquement, essayant de reprendre son souffle. Cette image sera la seule dont il se souviendra.

 

17 Juin 1995, 9:23

 

                De gros chars passent devant la petite maison, des . La petite sœur se met à pleurer, effrayée par le bruit. L'enfant se précipite à la fenêtre et regarde passer les mastodontes. Il peut maintenant lire les chiffres et les lettres blanches ornant leurs flan. Sa mère le rejoint, avec la petite sœur qu'elle n'arrive pas à calmer. Le bruit des chars, les pleurs, les mots rassurants qui sonnent faux.

                « Maman, est-ce que c'est la guerre? »

 

03 septembre 1996, 21:57

 

                Il a peur, c'est presque permanent maintenant. Peur des autres, de l'école, de tout, de rien... Couché dans son lit, il a les larmes aux yeux. Son ventre lui fait mal. Ce n'est plus amusant du tout d'avoir peur. Il se lève, la veilleuse lui permet de trouver ce qu'il cherche directement, sans tâtonner. Il prend un petit lecteur de cassette pour enfant, rouge et jaune, il n'a pas besoin de vérifier si c'est bien la bonne à l'intérieur, il n'en a qu'une. Il l'emmène dans son lit, le prend contre lui comme n'importe quel enfant avec son nounours et appuie sur « play ».

 

26 octobre 1999, 20:26

 

                Il fait noir, il ne sais pas où il va mais il court... Son cœur bat la chamade, il est déjà essoufflé, mais pourtant, il ne ralentit pas. La peur le pousse jusqu'au bout de ses réserves. Il serait au moins un peu rassuré si le seul bruit qu'il pouvait entendre était celui de son souffle saccadé et de ses pieds frappant le sol... Mais ce n'est pas la cas. Pas loin derrière lui, des coups de feu éclatent. Trois garçons, de son âge, mais plus grand que lui, le poursuivent, armés de pistolets à pétards.

                Il est nouveau ici, et ses parents ont cru bon de venir prendre part au souper donné par l'école. Une petite école de campagne, pas beaucoup d'élèves... Mais c'était comme si toutes les jeunes crapules de la régions avaient été rassemblées en un seul endroit.

                Bientôt, il se retrouve cerné par les trois autres garçons qui, déjà, portent les premières marques d'une adolescence naissante. Il se retrouve par terre sans trop savoir comment. Les premiers coup de pieds tombent. Puis l'un d'eux ordonne au autre d'arrêter. Un genoux se pose au milieu de son dos, précaution inutile, l'enfant a déjà décider d'abandonner le combat. Il ne se débat plus, il attend, pensant à sa mère qui mange dans le bâtiment un peu plus haut, ne se doutant de rien. Il est dans le train, il tend les bras, appelant à l'aide, mais il sais que personne ne viendra.

                Les deux préadolescents, les suiveurs, s'en vont, laissant l'enfant seul avec leur leader. Ce dernier colle le canon de son fusil à l'oreille minuscule de sa proie. Et tire.

 

26 octobre 1999, 20: 32

 

                L'enfant remonte en titubant un peu vers le bâtiment. La main collée contre son oreille sifflante, il ne pense qu'à retrouver sa mère, la chaleur et la lumière. Mais il n'a pas besoin d'aller jusque là. La voilà qui arrive en courant, l'air inquiet. Quelqu'un aurait-il eu le courage d'aller dénoncer les trois garçons?

                « Oh te voilà! »

                Elle le prend dans ses bras et le serre contre elle. Il se force à retirer la main de son oreille douloureuse il ne l'entend que de son oreille valide. Il espère qu'il pourra réentendre bientôt avec les deux.

                « Deux garçons sont arrivés dans le hall et sont venu me dire que tu étais mort. J'ai eu peur! »

                « On... On jouait juste... »

                C'est à ce moment-là que l'enfant se promet que, jamais plus, il ne serait de ce côté-là du fusil.

 

08 mars 1999, 14:45

 

                Il est sortit de l'Enfer, de retour dans l'école où il a déjà passé ses quatre premières années primaires. Et il court encore. Mais cette fois, c'est lui le chasseur. Elle l'a nargué, cette fille, elle mérite une correction. Il a gagné en force en quelques mois. Ou plutôt, il a appris à se servir de ses petits muscles puissants. Il se rapproche, il bondit et mord.

 

08 mars 1999, 15:00

 

                Un gros bleu orne l'épaule d'une fille blonde. Le professeur gronde, sans pourtant crier, le jeune garçon aux yeux verts étrangement fixes. Il le force à demander pardon, et les deux enfants se serrent la main. Il vient de se faire sa première amie. Et ce par la force.

 

01 septembre 1999, 8:15

 

                Un nouvel environnement, de nouvelles personnes, une occasion de tout recommencer à zéro. L'enfant, qui n'en est plus un, se choisi le nom de Mars, Dieu de la guerre.

 

20:00

 

                Tout est blanc dans cette pièce. C'est étrange comme parfois, certains endroits sont exactement comme on les imagine. Ce n'est pas une cellule, mais les murs sont tout de même capitonnés. Mars est assis sur une chaise. Il plisse le nez pour essayer de faire tomber le sang séché de son visage qui commence à le démanger. Impossible de se gratter, ses mains son emprisonnées dans la camisole de force, qu'ils ont d'ailleurs trop serrée dans leur empressement.

                Pour oublier la démangeaison, Mars essaye de comprendre ce qu'il se passe dehors, quelle sera la prochaine étape. Mais il n'entend rien hormis sa propre respiration et le froissement de tissu quand il bouge un peu.

                Soudain, la porte s'ouvre et ses yeux verts se posent sur un homme grisonnant, dans la quarantaine probablement. Le regard de ce dernier est blasé. Pas de doute, il en a vu d'autre, et l'adolescent qui se tient là n'est jamais que le suivant avant le prochain.

                L'homme s'assied en face de Mars qui suis chacun de ses mouvements. L'adolescent sourit quand apparaît sur la table, un enregistreur à bande magnétique.

                L'homme appuie sur « rec ». Y aurait-il un nouveau chapitre à écrire?

                « Alors... Explique-moi pourquoi tu as fait ça. »

                Mars n'a aucunement perdu son sourire et lève les yeux de l'enregistreur pour les plonger dans ceux, gris, de l'homme. Il hausse les épaules.

                « Je n'aime pas le lundi. »

 

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Style : Nouvelle | Par Timedancer | Voir tous ses textes | Visite : 586

Coup de cœur : 12 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : obsidienne

ah, oui ! j'aime bien cette progression, j'aime bien l'imbrication du constat et de la narration.

pseudo : PHIL

J AI AIME MAIS JE SUIS UN RIEN ESSOUFFLE.