Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

La Harpe par Timedancer

La Harpe

La Harpe

C'était le dernier jour d'école avant les vacances de Pâques et Jordan n'aurait jamais cru un jour penser ça, mais il n'avait pas envie que cette journée se finisse... Il se sentait plutôt bien ici, entouré de ses amis, loin du bled, loin de la solitude où, il le savait, toutes ses pensées se tourneraient à nouveau vers elle.

Mais les heures avançaient inexorablement et Jordan absorbait les délires et les paroles de ses amis comme une bouffée d'air en prévision d'une longue apnée... Il riait, déconnait tout comme les autres... Ils l'empêchaient de penser à elle, inconsciemment, et Jordan les remerciait intérieurement...

Fusse par fierté ou par peur de se faire encore plus mal en revivant cette histoire, Jordan n'avait pas raconté à ses potes la brève mais intense histoire d'amour qu'il avait vécu avec une fille du bled. Et puis de toute façon, que pourraient-ils lui dire? Jordan n'avait pas envie qu'on le plaigne...

Vint finalement, l'heure de quitter l'école. C'était passé trop vite. Jordan et son meilleur ami, un grand blond aux yeux bleus qui avait l'air plus Suédois que Français, sortirent de la classe en rigolant. Pourtant, Jordan sentait déjà un poids sur ses épaules.

- Hey! Ca te dirait d'aller boire un verre? J'ai pas envie de rentrer direct. Faut fêter le début des vacances, non?

- Sorry, faut que je fasse mes bagages pour rentrer en France, je pars à vingt heures ce soir.

Jordan le regarda en faisant sa tête de râleur, comme il savait si bien le faire. Il savait que ça amusait Alex.

-Tu fais toujours les trucs importants au dernier moment! Bon, c'est pas grave... Ce sera pour une autre fois.

-Ouais t'inquiète, il y a toujours des bons moments pour aller boire un verre.

"Ouais, mais pas quand on en a le plus besoin apparemment...". Après avoir salué son ami, Jordan se dirigea vers la sortie de l'école tout en mettant ses écouteurs dans ses oreilles. Quand il était seul, la musique était la seule chose qui lui permettait encore de penser difficilement à autre chose qu'à Masha. Il appuya sur play au moment où il débouchait sur la rue où les voitures passaient à un rythme modéré. La voix de Klaus Meine retentit sur les accords des musiciens du groupe Scorpions.

"Love of my life, you hurt me. You've broken my heart and then you leave me..."

Stop. Mauvaise idée. Après quelques minutes de recherche dans ses fichiers MP3, Jordan opta pour un petit "Wish You Were Here" de Pink Floyd... Il n'y avait rien de tel comme anesthésiant, comme porte pour un autre monde. Jordan le savait depuis tout petit et avait souvent recours à ce moyen quand il se sentait mal ou seul. Mais jamais il n'avait été seul à ce point-là.

Le pire allait se passer maintenant. Il fallait revenir au bled. Et pour ça, il fallait prendre le train. Jordan soupira. Depuis que Masha l'avait plaqué, les trois heures de train qu'il faisait chaque jour étaient insupportables... Trois heures de solitude intense, et il n'avait rien à faire d'assez fort pour le distraire, le détourner de ses pensées. Mais il fallait bien le faire, il n'avait nulle part d'autre où aller.

Après quelques longues minutes à attendre sur le quai, le train arriva. Jordan monta le dernier. Il n'était pas pressé de rentrer, loin de là.

Le train se remit en marche et le temps défila lentement au rythme du paysage qui passa de la ville, mélange de métal, de verre et de béton que Jordan trouvait si attirant, à un long, très long no man's land pour enfin s'arrêter sur le bled lui-même. Jordan retrouvait son vieil ennemi avec toujours cette même appréhension. Comme

d'habitude au moment où il posa le pieds sur la poussière ocre du quai, il répéta pour lui une phrase de Bernard Lavilliers: "Ici, tout le monde peut venir. Ici, il n'y a rien!".

Il se mit ensuite en route vers sa maison qui se situait à environs cent mètres de là... Il marchait tête baissée, essayant de se laisser emporter par la musique diffusée par ses écouteurs. Pink Floyd toujours, pour fuir, pour oublier.

En chemin, il croisa ce qu'il appelait ouvertement des zombies. Des habitants du bled, pour la plupart dépourvus de rêves, d'ambitions, ne croyant plus en rien depuis bien longtemps. Jordan regardait le sol, trop effrayé de voir dans leurs yeux à quel point il leur ressemblait en ce moment.

Puis la maison, autrefois un sanctuaire où des parents aimants, parfois un peu trop, l'attendaient ainsi qu'un petit frère et une petite sœur toujours prêts à rigoler et à jouer. Mais Jordan avait besoin d'un amour différent désormais. Ce dont il avait atrocement besoin, c'était de partir.

Le sanctuaire était donc devenu une sorte de cercueil ou de prison dorée.

Jordan rentra, salua son père et sa mère d'un ton qu'il voulait cordial, mais qu'il découvrit un peu distant. Il soupa en leur compagnie, ainsi que de celle des deux enfants, essayant de raconter quelques délires vécus quelques heures plus tôt avec ses amis. Ce faisant, il se posait des questions. Que faisaient-ils à cette heure? Faisaient-ils comme lui?

La réponse qui lui vint fut: non, certainement pas. Eux quittaient une ville pour une autre, des amis pour d'autres... Et c'était normal. C'était normal tout simplement parce qu'ils avaient 20 ans, comme Jordan, voire plus pour certains. La maison, c'était le kot, le bled, c'était la ville, la famille, c'était les potes!

"Et moi je rate tout ça...". Jordan, une fois son repas terminé, se leva et, comme les vampires dans les romans d'Anne Rice, descendit les marches qui menaient à sa cave pour s'enterrer en espérant qu'une retraite de deux semaines guérirait ses blessures psychologiques.

Une fois en bas, dans une jolie petite pièce aux murs en O.S.B qui diffusait un léger parfum de bois, il se laissa tomber sur sa chaise de bureau, laissant les roulettes le faire dériver légèrement. Il avait tout le nécessaire ici. Un ordinateur, qui serait probablement sa seule fenêtre sur le monde pendant ces vacances, une chaîne Hi-fi énorme et surtout, sa guitare et sa basse.

Mais cela n'était rien. Tout ça, ce n'était jamais que du matos. Il aurait préféré ne rien avoir, rien de tout ça, mais être près de ses amis ou encore mieux, savoir, simplement savoir, qu'une fille l'aimait et qu'il l'aimait tout autant.

Le regard de Jordan passa de sa basse à sa guitare et vis versa. Depuis quand n'y avait-il pas touché? Depuis quand durait ce blocage? Facile... Depuis que Masha lui avait dit que c'était mieux qu'ils en restent là. Depuis qu'il avait découvert pour la première fois ce que c'était d'aimer quelqu'un, et de le perdre.

Il soupira, ce n'était pas encore aujourd'hui qu'il y toucherait... Et pourtant Dieu sait combien il aimait jouer. Mais les dernières fois que ses doigts avaient couru sur les cordes de sa basse et de sa guitare, c'était pour elle. Il était maintenant incapable de jouer sans la revoir là, devant lui, entrain de lui sourire.

Il mit l'ordinateur en marche. Il allait vivre deux semaines au rythme de la respiration du disque dur. La seule chose qu'il pouvait encore faire, pour rester actif, vivant même s'il semblait mort, c'était écrire.

"Write To Live" furent les premiers mots qui apparurent à l'écran. Ça allait être long, très long. Du moins le croyait-il...

C'était sans compter sur une petite fille de six ans, énergique et pleine d'imagination. C'est sous cette forme, celle de sa petite sœur, qu'allait se manifester un espoir pour Jordan de prendre le dessus sur la situation.

Elle se manifesta prudemment. Timidité envers ce frère de quatorze ans plus âgé qu'elle? Sûrement pas. Il était par contre bien plus crédible qu'elle ait senti la faiblesse de son frère.

Deux coups, légers, retentirent à la porte. Elle avait probablement choisi son moment, quand la musique ne sortait pas à pleine puissance des enceintes. Jordan répondit comme d'habitude, d'un ton on ne peut plus neutre.

-Ouais...

Elle entra, semblant hésitante, ce qui perturba quelque peu Jordan... Elle qui était d'habitude tellement impulsive, brusque même parfois, était tellement calme. On aurait même dit qu'elle avait peur.

-Tu fais quoi, Jordan?

Jordan lui sourit. Il ne pouvait pas faire autrement, surtout après cette entrée surprenante.

-J'écris des trucs.

Elle avait dans les yeux toute l'innocence dont peuvent faire preuve les enfants à cet âge. De l'innocence oui, mais pas de naïveté.

-Tu écris des histoires?

Jordan la prit sur ses genoux, la mettant face à l'écran.

-Des toutes petites histoires...

La petite regardait l'écran, les sourcils froncés. Elle était à l'âge où l'on apprend à lire et elle se débrouillait déjà pas mal. Mais, pas de chance pour elle, tout était en anglais.

Jordan avait écrit une bonne douzaine de chansons maintenant, ainsi qu'une bonne partie d'une nouvelle dont il ne savait pas encore s'il trouverait une fin assez forte. Cela faisait deux jours seulement que les vacances avaient commencé. La musique aidant, de Pink Floyd à David Bowie en passant les Doors et Led Zeppelin, Jordan trouvait que le temps passait à une vitesse supportable.

Finalement, l'air perplexe, Sharon abandonna et se tordit le cou pour chercher le regard de son frère.

-Et c'est beau comme histoires? Parce que moi je comprends rien hein!

Ça y est, elle avait même réussi à le faire rire. Elle était vraiment trop forte.

-Non, pas vraiment...

Il regarda le titre de la dernière chanson: "I'm Falling Down"... Ca voulait tout dire... Sharon essayait de se retourner pour faire face à Jordan. Il recula un peu sa chaise pour qu'elle puisse le faire plus aisément. Quelque chose brillait dans les yeux de l'enfant.

-Papy m'a dit un secret...

Jordan devint d'un seul coup plus froid... Non, les contes de papy, ce n'était pas une bonne idée... Mais Sharon avait l'air d'avoir tellement envie de la raconter cette histoire, Jordan pouvait-il vraiment l'en empêcher?

-Ah ouais?

-Il m'a dit que, dans la forêt, près d'un ruisseau, on pouvait parfois voir une sirène qui joue de la harpe. Et même que quand tu l'écoutes, tu te sens heureux.

Jordan éclata d'un rire plein de sarcasmes. Il ne pouvait faire autrement, c'était tellement absurde... Il posa Sharon par terre, elle le regardait, l'air un peu vexée. Il se pencha en avant, la regardant dans les yeux.

-Écoute Sharon, ce genre d'histoire, c'est des conneries. Les sirène, les fées, les elfes... Ça n'existe pas! Il n'y a rien d'autre ici que ce que tu peux voir. Il faut que tu te mettes ça dans la tête: on vit dans un bled mort depuis longtemps.

Jordan ne s'énervait pas, il expliquait. Il en avait tellement marre de vivre ici. Le dire tout haut lui faisait du bien. La lumière dans les yeux de l'enfant, elle, s'était éteinte.

-Alors il n'y a rien d'autre?

-Non, rien.

-SHARON!

La voix de maman. Jordan se rendit alors compte, en regardant par la fenêtre, qu'il faisait déjà noir. La petite réagit instantanément, mais elle semblait toujours un peu pensive.

-Je dois aller dormir... A demain, Jordan!

Elle embrassa son frère et partit en coup de vent, gros contraste avec son entrée. Comme si elle était redevenue elle-même.

Et pourtant, alors que les pas de l'enfant résonnaient encore dans l'escalier, Jordan était déjà rongé par les remords. Pourquoi lui avoir dit cela? C'était uniquement grâce aux rêves, à son imagination, qu'il avait passé ici une assez belle enfance. N'avait-elle pas le droit d'avoir cette enfance elle aussi, même si lui n'y croyait plus?

Jordan attrapa la télécommande de la chaîne Hi-fi. Le disque sur lequel il jouait de la basse se mit en marche. Les cloches de son enfance résonnèrent dans la cave, et avec "High Hopes" lui revinrent les images, les rêves, les aventures qui lui avaient permis jusque là de voir sa vie et le bled autrement.

Il venait de faire une erreur. Il avait vu mourir la flamme dans les yeux de sa sœur. Et il prenait conscience que si lui vivait probablement ses derniers mois au bled, elle devait y passer encore bien des années. Et pour continuer, il lui fallait rêver, croire en quelque chose, même si cela semblait absurde. Mais pour un enfant, tout est permis.

Se retournant vers son clavier, Jordan se remit à écrire. Il tapa sur le rythme de la musique jusqu'à ce que, épuisé, il laisse tomber sa tête entre ses bras pour s'endormir.

Il se réveilla le lendemain, les deux bras engourdis. Faisant attention en les déplaçant, il se redressa pour regarder l'heure sur l'ordinateur resté allumé. Sept heures du matin. Sur le document ouvert, les mots:"Goodbye Zombie". Il était prêt à sortir. Pour Sharon.

Après s'être lavé et avoir préparé un sac à dos plein de provisions, il monta au premier étage. Sa mère et les deux petits dormaient encore, son père, lui, était déjà parti à l'usine.

Jordan entra doucement dans la chambre de Sharon. Sur les murs de la chambre, pas de posters de Walt Disney, pas de princesses en robe de soirée... Jordan venait rarement ici et ce qu'il découvrait maintenant le fit sourire. Accroché au dessus du lit de l'enfant encore endormi, il y avait des dessins, pas mal du tout pour une petite de six ans. Sur l'un, un bonhomme souriant jouait de la guitare, sur un autre, elle avait essayé de représenter le plus fidèlement possible la basse de Jordan, elle avait même réussi à très bien refaire les marteaux entrecroisés, symbole de l'album "The Wall", qu'il aimait tant. Presque tous ses dessins avaient un rapport avec la musique.

S'arrachant à sa contemplation des œuvres de Sharon, il se pencha sur elle. Il la secoua doucement.

-Hey... Sharon... Faut te réveiller si tu veux écouter de la harpe.

Elle ouvrit paresseusement ses yeux verts, tellement semblables à ceux de son frère. Mais elle eut vite compris et sourit.

-C'est quoi ces conneries?

-On a rien à faire d'autre, alors autant aller vérifier...

La petite sauta de son lit et couru prendre ses vêtements. Jordan fut ravi de la voir pleine d'enthousiasme.

-Habille-toi, je t'attend en bas.

Une fois dans la cuisine, Jordan ajouta dans le sac à dos deux boîtes en plastique pleines de Corn Flakes. Ce serait bien plus marrant de déjeuner dans le bois.

A peine avait-il refermé le sac qu'il entendit sa sœur descendre les escaliers. Bientôt, elle fut devant lui, vêtue comme lui d'un simple short et d'un t-shirt.

-On y va?

-Attend deux secondes, je vais laisser un mot à maman pour ne pas qu'elle s'inquiète.

Il prit un stylo et un morceau de papier qui traînait et griffonna quelques mots à toute vitesse.

-On est partis!

Le levé du jour était probablement le moment le plus agréable pour traverser le bled. Aucun zombie en vue, un soleil encore un peu froid, mais prometteur pour le reste de la journée, ça commençait bien, Jordan ne regrettait pas d'être sortit. Sharon trottinait à côté de lui, souriante.

Ils furent bien vite en dehors du bled et bientôt, le soleil filtra à travers les arbres de la forêt. Jordan venait rarement ici et pour une bonne raison: bien des gamins partis jouer dans le bois étaient déjà tombés nez à nez avec les cadavres d'habitant du bled ayant mis fin à leurs jours, le plus souvent pendus, et plus rarement par balle...

Le peu de fois où Jordan était venu seul dans le coin, il n'avait pas fait pareille rencontre, il espérait qu'encore une fois, la chance serait de son côté. Sharon mis fin aux réflexions macabres de son frère.

-On chante une chanson?

Jordan sourit, s'il savait faire chanter ses instruments, il était lui-même un bien piètre chanteur. Pourtant, sa sœur aimait souvent chanter avec lui. Et puis ça défoulait.

-Quelle chanson?

-"Time".

Et non, pas du traditionnel "Un kilomètre à pieds", ce que Sharon voulait, c'était du Pink Floyd. Jordan sourit encore plus car cette chanson parlait du temps et de la façon dont il passe pour les jeunes dans des bleds comme celui-ci.

Jordan compta jusque trois puis ils chantèrent ensemble, le garçon savourant

chacun des mots tellement vrais à ses yeux, la petite s'arrêtant parfois pour rire ou reprendre son souffle. Ils marchèrent longtemps, chantant leurs chanson préférées dont "Another Brick In The Wall" et "School" qui reflétaient tellement bien leur haine envers l'école.

Pendant ce temps, le soleil montait doucement dans le ciel. Quand Sharon demanda pour s'arrêter pour manger, ils s'assirent sur des souches et grignotèrent leurs céréales en regardant autour d'eux.

-Hey! Sharon! Regarde!

Elle se tourna vers l'endroit que lui indiquait son frère et pu voir un lièvre détaler à toute vitesse. Elle se leva, prête à courir après, mais il avait déjà disparu.

-Waw! Comme il court vite!

Peu après cette rencontre qui n'avait rien de macabre, ils reprirent leur route, étant plus attentifs à ce qui les entourait. Jordan apprit à Sharon à marcher sans faire de bruit sur les aiguilles de pins, à grimper aux arbres, à faire de la musique avec un brin d'herbe... Il riait, s'amusait, il en avait oublié son mal-être, Masha... En ce moment, rien n'existait hormis lui, sa sœur et toutes les choses merveilleusement simples que leur offrait la forêt.

Malgré tout, Jordan savait exactement où il allait, il connaissait quand même pas mal la forêt. Les plantations de pins avaient maintenant laissé place à des arbres feuillus bien plus beaux et à l'ombre rafraîchissante.

Jordan s'arrêta au milieu du chemin de terre.

-Écoute.

La petite s'arrêta elle aussi et tendit l'oreille comme le lui avait demandé son frère. Elle perçu un son léger, cristallin, la musique de l'eau qui coule.

-Le ruisseau! Je l'entends! On a trouvé le ruisseau Jordan! Comme papy l'avait dit!

Elle se mit à courir, se repérant à l'ouïe, laissant son frère derrière elle. Elle s'engouffra dans les fourrés où un sentier rudimentaire avait été marqué par le passage de nombreux enfants avant elle.

Jordan eu tôt fait de la rejoindre. . Des souvenirs lui revinrent. C'était avec son grand-père, celui qui avait raconté l'histoire de la harpe à Sharon, qu'il était venu ici la dernière fois. C'était il y avait de cela quelques années déjà. Jordan s'en voulu encore une fois d'avoir si mal réagit quand Sharon lui avait raconté l'histoire de la harpe à son tour. Demandant intérieurement pardon à son grand-père, Jordan posa la main sur la petite épaule de Sharon qui regardait l'eau couler d'un air émerveillé.

-C'est super beau ici!

-Ouais.

Il était presque aussi émerveillé que sa sœur. Il se rappela ce qu'il avait dit à cette dernière la veille. Qu'ici, il n'y avait rien, que tout était mort depuis longtemps, trop longtemps. Il se rendait maintenant compte qu'il avait tort.

Croisant le regard de sa sœur, il lui sourit, simplement. Il n'allait rien dire de plus, elle comprendrait. Les grands discours, c'était pas son truc...

Il y avait ici aussi plein de choses à découvrir, à apprendre pour Sharon. Ils voyagèrent le long du ruisseau en sautant de pierre en pierre, découvrirent de multiples têtards, grenouilles et petits poissons qui peuplaient les rives... Ils en oublièrent presque l'objet de leur quête... Mais un enfant ne perd jamais le nord.

-Jordan! Regarde!

Jordan regarda dans la direction que pointait la petite et pu apercevoir un point

lumineux, quelque chose brillait au loin. Sharon ne tenait plus en place.

-C'est la harpe! J'en suis sûre! On l'a trouvée!

Elle se mit à courir, encore plus vite que quand elle avait entendu le doux bruit de l'eau. Et, comme si l'euphorie de sa sœur était contagieuse, il se mit à courir lui aussi.

-Le premier arrivé!

Jordan laissa évidemment gagner la petite, mais là où ils avaient cru voir quelque chose, il n'y avait que les pierres, l'eau et l'herbe bien verte des rives. Sharon se tourna vers son frère.

-Y a rien ici...

Jordan se baissa pour ramasser une vieille canette de Coca toute rouillée.

-C'était ça qui brillait.

La lâchant, il shoota dedans avant qu'elle ne touche le sol, l'envoyant bien loin.

-Il est temps de rentrer Sharon.

En effet, le soleil était déjà assez bas dans le ciel, il devait être près de seize heures. La petite hocha la tête, l'air déçu et emboîta le pas de son frère. Jordan était triste de voir cette expression sur son petit visage, et pourtant, il aurait du prévoir que c'était ce qui devait arriver puisqu'il n'y avait pas de harpe. Ce n'était qu'un conte après tout.

Alors que Jordan pensait qu'ils n'avaient finalement fait que revenir au point de départ et qu'il sentait un poids retomber sur ses épaules, il se fit éclabousser par une Sharon à nouveau souriante qui avait profité de cet instant d'inattention pour aller dans l'eau, trempant ses petites baskets.

-C'est normal qu'on a pas vu la harpe, sois pas triste, Jordan... C'est comme tu m'as expliqué pour les lapins, on a fait trop de bruit en jouant alors la sirène s'est cachée.

Jordan la regarda d'un air tellement surpris qu'il en était comique. C'était fou comme les enfants pouvaient trouver des explications logiques à des choses pourtant totalement improbables à la base.

-Je ne sais pas... Par contre, ma chère petite sœur, je suis sûr d'une chose...

-Quoi?

-Tu vas rentrer à la maison trempée.

Et sur ces bons mots, Jordan rejoignit Sharon dans le ruisseau où il passèrent encore une bonne heure à s'amuser. Puis, ils prirent finalement le chemin du retour, leurs vêtements séchant lentement grâce à un soleil encore chaud.

Ils furent de retour chez eux peu avant l'heure du souper. Avant même que leur mère n'eut le temps de reprocher quoi que ce soit à Jordan à propos de l'heure à laquelle ils étaient rentrés, Sharon commença à raconter en détails et avec enthousiasme la journée qu'elle avait passée.

Finalement, Jordan n'eu à encaisser aucun reproche de la part de sa mère et échangea avec son père, encore couvert de béton de l'usine, un sourire satisfait.

Jordan passa le reste de ses vacances en compagnie de sa sœur, alternant ballades en forêt, écriture et dessin. Il n'y avait qu'un moment dans la journée où Jordan pouvait encore percevoir en lui les fantômes de ses blessures: le soir, quand Sharon, petite fille de lumière, le quittait pour aller se coucher. Là, il se retrouvait seul avec ses guitares, toujours incapable de jouer alors qu'il en crevait d'envie.

Ce blocage, il ne l'avait toujours pas surmonté quand vint l'heure pour lui de retrouver la ville et ses amis. Mais il préférait ne pas se focaliser là-dessus, se disant

que le temps aiderait, que ce ne serait plus très long...

Il pénétra dans l'enceinte de l'école avec dans les oreilles la voix mélodieuse de David Gilmour chantant "Coming Back To Life", ce qu'il était entrain de faire.

Dans la cour, il retrouva son ami Alex et ils se saluèrent en se tapant dans la main, une jeune fille se trouvait à côté de lui.

-Ah, au fait, Jordan, je te présente Victoria, une amie. Elle est à l'école ici, mais avec ces foutus horaires, je n'ai jamais eu l'occasion de te la présenter. Peut-être que tu l'as déjà aperçue dans les couloirs...

Un peu qu'il l'avait aperçue! Quand il la croisait, il ne pouvait pas s'empêcher de la suivre du regard. Jordan savait exactement ce qui lui plaisait chez cette fille: elle ressemblait étrangement à Kate Bush, une des plus belles voix que le rock ait connu. Jordan se sentit rougir.

-Ouais on s'est déjà croisés, à plusieurs reprises.

C'est à ce moment-là qu'elle parla et sa voix, même si elle était différente de celle de Kate Bush, ne déçu aucunement Jordan. Elle avait la voix grave mais douce et féminine d'une chanteuse de Jazz.

-Je viens de Paris, comme Alex, j'étais dans la même école que lui là-bas. Il me parle souvent de toi, il paraît que tu joues de la guitare et de la basse...

Jordan rougit d'autant plus...

-Heu... Ouais...

Elle sourit, peut-être avait-elle remarqué qu'elle lui faisait de l'effet... Ou peut-être était-ce naturel pour elle.

-Moi, j'aime beaucoup chanter...

Jordan regarda Alex, cherchant comme une bouée de secours. Mais son ami le regarda, souriant, l'air de dire "Démerde-toi...". Heureusement, le professeur des deux garçons arriva. Jordan fut à la fois déçu de devoir la quitter si vite et un peu soulagé car il ne savait pas trop quoi dire.

-Bon, ben, on doit y aller.

-O.k... Venez passer le temps de midi avec moi aujourd'hui les gars, ce serait cool et on pourrait parler musique.

Les garçons saluèrent Victoria, l'assurant qu'ils ne manqueraient pas de répondre à son invitation. Ils prenaient déjà la direction de leur classe quand la jeune fille interpella une dernière fois Jordan.

-Faudra que tu passes au kot avec ta guitare un de ces quatre!

Jordan passa une très bonne journée, sans même une appréhension à l'idée de rentrer chez lui. La pause de midi lui fut extrêmement agréable. Ils parlèrent de guitares et de leurs groupes favoris, Jordan jetant souvent des regards d'excuse à un Alex complètement largué mais qui semblait amusé de voir que son ami avait un si bon feeling avec cette fille.

Le soir, quand, particulièrement heureux, il rentra dans sa cave, ce fut pour prendre sa guitare, l'accorder en deux temps trois mouvements et se mettre à jouer. Malgré que cela faisait un petit temps que ses doigts n'en avait plus touché les cordes, il lui semblait n'avoir rien perdu. Les accords s'enchaînaient pour former la mélodie amusante, ressemblant un peu à une chanson pour enfant, de "Here I Go" de Syd Barrett. Une chanson qui collait très bien à ce que ressentait Jordan.

Il était tellement concentré qu'il n'entendit pas Sharon entrer. Ce ne fut que quand il eut joué la dernière note et relevé la tête qu'il la vit, assise par terre. Elle

l'avait écouté sans bouger. Un sourire pris forme sur son visage d'enfant.

-Alors, tu l'as trouvée.

Jordan répondit à son sourire, mais n'ouvrit pas la bouche. Commençant à jouer "Guitar And Pen", il pensa que c'était vrai, absolument vrai.

 

 

 

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

 

 

Chansons citées:

"Love Of My Life" de Scorpions sur l'album "Acoustica"

"Wish You Were Here" de Pink Floyd sur l'album "Wish You Were Here"

"Sertaõ" de Bernard Lavilliers sur l'album "Gentilshommes De Fortune, Rêves et Voyages"

"Write To Live" texte à moi.

"I'm Falling Down" texte à moi.

"High Hopes" de Pink Floyd sur l'album "Division Bell"

"Goodbye Zombie" texte à moi.

"Time" de Pink Floyd sur l'album "The Dark Side Of The Moon"

"Another Brick In The Wall (part 2)" de Pink Floyd sur l'album "The Wall"

"School" de Supertramp sur l'album "Crime Of The Century"

"Coming Back To Life" de Pink Floyd sur l'album "Division Bell"

"Here I Go" de Syd Barrett sur l'album "The Madcap Laughs"

"Guitar And Pen" des Who sur l'album "Who Are You"

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par Timedancer | Voir tous ses textes | Visite : 336

Coup de cœur : 10 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : princedudesert

Trop long pas de remps de lire, mais j y reviendrai.Amitiés

pseudo : cabotine44

On a tous dans nos vies des elfes et des fées.. Ou des anges...Des personages irréèls auxquels chacun de nous prête vie.. C'est ça garder une âme d'enfant.. Jolie nouvelle... Merci...

pseudo : etoilefilante

Je suis d accord avec princedudesert c est trop long dommage Amitiés

pseudo : malenky

j'aime tout simplement...

pseudo : camyste

Belle histoire, j'ai bien aimé.