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Le Romantisme - 2/2 par L.

Le Romantisme - 2/2

La suite... A l'intention exclusive de Phil, il semblerait ; )

2.  
 
 
Le Romantisme est donc bien « expression de soi », mais en cela, est-il vraiment différent des courants qui l'ont précédé comme de ceux qui lui ont succédé ? Car en définitive, qu'en est-il de l'écriture elle-même ?  
Tout acte créatif est à la base « expression de soi », qu'il se revendique ou non comme tel. L'écriture - quelle qu'elle soit - est un mensonge. Si beaucoup d'auteurs ont dépensé une énergie considérable à nier cet état de fait pour s'inventer une respectabilité, le Romantique ne se donne pas cette peine : plus lucide qu'il ne le laisse paraître, philosophe à ses heures, il n'ignore pas les limites de son art et plutôt que de s'en affliger, en tire parti et les exploite autant qu'il peut, les plaçant au centre de son esthétique. De cette façon, il touche à l'essence-même de ce qu'est l'écriture au lieu d'essayer de la faire paraître ce qu'elle n'est pas et ne sera jamais.  
L'homme étant par définition un « sujet », il ne peut en effet pas appréhender le monde de manière objective. Sa nature imparfaite le contraint à ne pas être capable de retranscrire fidèlement une réalité dont il ne pourra donner qu'une lecture subjective et personnelle. En s'attachant à dépeindre non une réalité transcendante objective qu'il ne peut pas appréhender mais la réalité telle qu'il la perçoit, l'écrivain se place donc dans une démarche d'honnêteté vis-à-vis de son art comme de son lecteur. En sa qualité d'être humain, tout ce qu'il peut prétendre essayer de décrire convenablement, ce sont les émotions que fait naître la réalité telle qu'il la conçoit car s'il y a bien un « vrai monde » extérieur à l'individu, celui-ci ne peut le connaître et se retrouve donc condamné à évoluer au sein d'un monde intérieur vécu comme une réalité, un monde d'interprétation, de ressenti, de subjectivité ; précisément : un monde « romantique ». 
 
 
3.  
 
 
C'est à ce monde intérieur virtuel qu'il entend donner corps à travers l'écriture, et c'est peut-être en cela qu'il se montre vraiment « narcissique », « égocentrique ». En effet, si « écrire » revient à s'approprier empiriquement le monde et à le recréer à son image, sans doute l'écrivain espère-t-il transformer le mensonge du monde tel qu'il le perçoit en œuvre d'art pour imposer celui-ci à ses frères humains, extirper ceux-ci de leurs univers personnels pour les faire intégrer le sien et ainsi, lui donner plus de crédit, plus d'authenticité, de faire en sorte que le temps d'une lecture, « sa » réalité prime sur toutes les autres. Ce n'est pas seulement le monde qu'il fait sien mais aussi ses semblables. 


Il n'est pas pour autant question que de fièvre démiurgique, d'une part parce que le rapport écriture-lecture n'a jamais été complètement unilatéral, et d'autre part parce qu'il a toujours été sous-tendu par une notion implicite de « partage ». Si l'écriture « impose », la lecture se « ré-approprie ». Si l'écriture « invente », la lecture « ré-invente », « ré-écrit » ; et jamais lecteur n'aura plus été amené à réécrire, à s'approprier l'œuvre que par le Romantisme. Celui-ci traitant essentiellement de ressenti, il impose moins celui de son auteur qu'il ne renvoie le lecteur au sien propre, aussi sûrement que ne le pourrait la madeleine de Proust. S'il est si riche d'évocation, il le doit principalement au caractère personnel, malléable et presque abstrait de son contenu, sur lequel chacun peut plaquer ses propres émotions, ses propres expériences et crier son « Moi » aussi fort que le crie l'auteur.  
Ainsi, quand un romantique décrit un coucher de soleil, il ne décrit pas le coucher de soleil lui-même mais l'impression que celui-ci produit sur sa personne, et cette impression renvoie inévitablement le lecteur à la sienne. Une fois de plus, l'auteur s'efface devant une chose qui le dépasse : son lecteur, c'est-à-dire, l'« Autre ». 


Considérée sous cet angle, l'écriture romantique se révèle paradoxalement être aussi la plus « altruiste » qui ait existé, dans le sens où elle ne décrit ni ne raconte véritablement, dans la mesure où elle se consacre tout entière à la sensation et à la sensation seule : les mots comptent moins que l'effet souhaité, l'effet souhaité compte moins que l'effet produit. 


Or, qu'est-ce que ce ressenti si ce n'est la chose la plus intime, la plus fragile, la plus authentique et la plus précieuse qu'un être humain puisse posséder ? Au-delà : la seule qu'il puisse réellement partager ? Dans un monde où le paraître est au centre de toutes les préoccupations, l'écriture romantique revient à avancer sans masque, sans crainte d'affirmer qui l'on est au mépris des jugements et des hypothétiques railleries. En partageant la seule chose qui lui appartienne véritablement, c'est-à-dire : lui-même, l'écrivain crée un lien « humain » en invitant son lecteur à faire de même. D'individualités éparses, il fait temporairement une somme, il réunit, il transforme le « je » narcissique en « nous » collectif auquel il donne une dimension supérieure. Ainsi, il donne à l'humanité l'opportunité fugitive de pouvoir tutoyer l'immensité de l'infini, de ne pas avoir à courber l'échine, de faire bloc face au néant. L'œuvre se fait ciel pour que chaque être humain qui en est une étoile cesse d'être une étoile isolée, pour devenir une part de firmament.  
 
 
 
Conclusion. 
 
 
Pour toutes ces raisons et bien d'autres, le Romantisme est sans nulle doute le plus ambigu des courants littéraires, une oxymore à lui tout seul, une somme de contraires qui, loin de se contredire, se complètent admirablement, un fascinant paradoxe artistique où le grandiose côtoie le grotesque, la prétention l'humilité, le doute la foi, l'immensité la petitesse. Selon comment nous l'abordons, nous y lirons de « l'égoïsme » ou de l'altruisme. Nous y verrons une naïveté touchante ou la plus sombre, la plus crépusculaire des lucidités. Nous serons aveuglés soit par sa lumière, soit par son obscurité ; nous y trouverons de l'espoir ou de la résignation ; nous y trouverons des raisons de nous émouvoir ou de nous affliger ; nous y retrouverons des choses que nous ne devrions jamais avoir perdu ou y perdrons le peu de choses qu'il nous restait encore.  
Si le Romantisme est un mouvement trop souvent réduit à un vague semblant de caricature, y compris par ceux qui s'y intéressent, qui l'étudient ou l'apprécient ; de tous les mouvements à ce jour, il est a contrario celui qui échappe le plus à toute possibilité de réduction parce qu'il n'est pas qu'une question d'écriture, pas plus qu'il n'est une question d'« Art » ou de prétentions créatives.  


En effet, le Romantisme est avant tout question d'« individus » ; de personnes qui, comme nous, ont un jour levé les yeux vers les astres pour s'en émerveiller, ont ouvert grand les bras pour savourer l'imperceptible caresse de l'air sur leur peau nue, et qui, comme nous, ont sincèrement, infiniment, désespérément désiré que ces instants si fugaces puissent durer toute l'éternité tout en sachant qu'il n'en serait rien. Il y est question non d'écrivains mais d'hommes, de femmes qui ont un jour aimé : aimé vivre, aimé respirer, aimé écrire, aimé pleurer et aimé rire, et qui ont tant aimé l'amour lui-même qu'ils n'ont pas pu se résoudre à le laisser disparaître comme un rêve au terme de leur vie, parce qu'ils ont vu dans cet amour quelque chose de bien supérieur à ce « Moi » qu'ils voulaient crier, quelque chose de si beau qu'ils ne pouvaient pa 604 s se résoudre à le laisser mourir le jour où ils mourraient ; aussi ont-ils usé de l'écriture pour lui donner un peu de cette éternité qu'eux-mêmes n'auraient jamais.  


Si Novalis n'a jamais pu vraiment aimer celle qui aura touché son cœur, par le rêve matérialisé à travers l'écriture, il l'aura retrouvé aussi touchante, aussi radieuse, aussi vivante qu'il l'aurait désirée et bien que tous les deux soient morts depuis des siècles, ils s'aiment encore, et encore, et encore, au détour des Hymnes à la Nuit.  


C'est finalement ce qu'il y a de si remarquable et de si douloureux dans le Romantisme : cette volonté profonde, triste, sincère et faussement naïve de croire si fort à un mirage. C'est aussi peut-être précisément là qu'est la raison de toutes les controverses à son sujet : dans le fait qu'il ne s'agisse pas réellement de littérature, ou en tout cas pas seulement ; et qu'en définitive, l'auteur romantique ne se revendique pas comme « écrivain » ou comme « artiste » mais simplement, uniquement, passionnément comme « Etre Humain ». 
 

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Style : Réflexion | Par L. | Voir tous ses textes | Visite : 505

Coup de cœur : 10 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : Brestine

Comme "Etre Humain", mais peut-être avant tout comme un "Etre de passion", non ?

pseudo : PHIL

SUPERBE REFLEXION. JE SUIS SCOTCHE VILAINE EXPRESSION.MAIS TA REFLEXION SUR LE ROMANTISME EST UNE OEUVRE ACCOMPLIE DANS CE SENS QU IL Y A PEU VOIR RIEN A AJOUTE.ET OUI LE FAIT D ETRE SIMPLEMENT ET ENTIEREMENT "HUMAIN" AU VRAI SENS DU TERME FAIT DE VOUS UN ROMANTIQUE. ET JE TROUVE QUE CET ETAT EST BON A ASSUMER MEME DE NOS JOURS. FELICITATIONS.AMITIES

pseudo : ifrit

Je n'en attendais pas moins, après avoir lu la première partie. Je suis comblé par une analyse si fine et si magistralement portée. Je n'ai pas grand chose à ajouter au premier commentaire, si ce n'est que j'admire cette dissertation. Mais tu l'auras compris implicitement, j'en suis certain. À très bientôt.

pseudo : L.

Ravi de voir que malgré le côté un peu répulsif du fond et de la forme, certain(e)s y ont trouvé leur compte ! Ouf (soulagement !)... Je ne faisais là que précher pour ma paroisse, et peindre l'idée que je me fais du romantisme. Une idée romantique, forcément. Merci à tous, et veillez bien, comme écrit Brestine, à rester des "êtres de passion !"