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Il pleuvait. par Zarathoustra

Il pleuvait.

   La grisaille du jour tombe sur les toits de Londres, cette ville que je ne connais que trop bien. Celle qui m'a vue naître.  Mais je ne m'en amuse plus. Oui, c'est cela. Londres me lasse. Elle est triste et ennuyeuse.
   Ma fenêtre est ouverte et l'air est froid. Pourtant nous sommes au printemps. Le vent glacial frappe mon visage et me donne la sensation de l'entailler; comme si des milliers de petits morceaux de verres se brisaient sur ma peau. La pluie tombe sur les maisons avec un bruit sourd. On dirait parfois que tout va s'effondrer. Les pavés de ma rue sont recouverts d'eau et de boue. Je n'aime pas ce temps. Ici, même quand le soleil brille, il est froid. Non, je n'aime pas ce temps.
   J'observe le monde extérieur de ma fenêtre. Les énormes nuages gris menacent d'éclater. Peut-êre qu'eux aussi voudraient s'en aller et se trouver une distraction. Je m'ennuie. Les seuls instants qui soient un peu intéressants sont les réceptions et les bals que Mère organise pour me trouver un époux. Distrayants en cela que je tourne en ridicule chacun de mes prétendants. Il n'y a que l'argent de ma famille qui les intéresse. Je ne veux pas me marier. Mais Mère insiste et elle se fâche. Elle dit que je ne sais rien faire et qu'un mari m'aiderait à me faire respecter par notre entourage. Elle dit aussi qu'à ving-trois ans, je devrais déjà être mariée depuis longtemps. Tant pis. Qu'elle insiste, je ne me marierai pas. Je n'aurai pas le temps. Je partirai avant. Et je partirai loin. 
   Dans la rue, que je vois du second étage, les gens sont ternes. Ils sont tous vêtus de noir ou de gris. Ils ont tous un air triste. Comme si jamais rien dans leur vie ne les faisait sourire. Comme si leur vie était aussi terne qu'eux.
   Depuis la guerre, Londres n'est plus vraiment la même. Les gens se croisent sans d'adresser la parole. Ils ont peur d'être observés. Je me souviens des bombardements de 1942. Il y a six ans maintenant. Père et Mère couraient, suivis de mes frères cadets et de moi-même, afin de rejoindre la cave de notre manoir. Je ne sais combien de fois nous nous sommes réfugiés là, à attendre que les explosions au-dessus de nos têtes cessent. A regarder fixement le plafond, qui tremblait pendant des heures parfois, tendant l'oreille, espérant ne plus entendendre le ronronnement infernal des avions meurtriers. Puis, quand tout était fini, nous sortions. Les rues étaient enfumées, jonchées de pierres, de gravats, de morceaux de murs. Une fois, notre manoir a été partiellement détruit, et il a fallut que nous poussions la porte de la cave pour pouvoir sortir car elle était bloquée par un pan de mur qui s'était écroulé. Nous avons dû reconstruire la majorité du manoir et nous avons été contraints de vivre chez une de nos tantes qui habitait aussi la ville. Et quand la guerre fut terminée, je me rappelle que nous marchions dans les rues, silencieusement. Comme pour récupérer ce qui était à nous, ce qu'on avait voulu nous enlever. A mes yeux, je crois que c'était une façon de se réapproprier chacune de ses rues, chacun de ses boulevards. Une sorte de procession.
   Je ne sais pas à quoi pensent les gens dans la rue. J'essaie de me mettre à leur place et d'imaginer quels sont leurs souhaits. Certains rêvent de succès, d'amour. D'autres voudraient plus simplement partir en voyage et découvrir de nouveaux paysages. Moi aussi, je rêve. Je rêve du sable rouge et chaud du désert de Namib, d'une terre où la pluie est un miracle. Je rêve de dunes de sable fin, glissant entre mes doigts comme de la soie, d'un peuple dont la volonté de survivre dépasse tout autre désir. Oui, je rêve. Comment aimer cette vie que l'on mène, où tout est perverti par ce que l'on possède? Pourquoi vouloir ce qui nous est inutile pour l'unique raison que nous ne l'avons pas? Je souhaite partir. Loin. Je veux vivre ce que nul n'a vécu. Voir ce que nul n'a vu. Je veux remplir mes yeux des images de ces mirages qui auront peuplés ce voyage.  J'entends au fond de moi les tam-tams de l'Afrique. La vraie Afrique. Celle où le feu anime toutes les nuits de fêtes. Celle où rien d'autre que les rythmes des tambours ne raisonnent après le coucher du soleil. Je veux découvrir l'Afrique de la vie. L'Afrique de la joie, du rire. De quelques histoires aussi, mais avant tout où l'envie de vivre domine le peuple. Je refuse ce continent, construit, à l'image de l'Europe, de béton, de ces grandes villes, telles Le Caire, où règnent en maîtresses des lieux l'atmosphère étouffante du bruit de ces vieilles voitures rouillées et la pollution. L'Afrique ancestrale. Voilà ce qui, au fond de moi, fait battre mon coeur d'envie. Combien de fois dans mes rêves égarés ai-je foulé de mes pieds nus cette terre chaude? Je ne saurais le dire. L'envie de sentir la caresse du vent brûlant et parfumé sur ma peau, sur mon visage, devient trop ardente. Je partirai bientôt.
    Il ne peut en être autrement.

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Style : Nouvelle | Par Zarathoustra | Voir tous ses textes | Visite : 1051

Coup de cœur : 29 / Technique : 28

Commentaires :

pseudo : Cécile Césaire-Lanoix

Ta nouvelle est passionnante et très agréable à lire. Elle m'a fait voyager dans le temps. J'ai adoré tes superbes descriptions. Bravo pour cette nouvelle, remarquablement écrite.

pseudo : Brestine

C'est vraiment très chouette, une belle escapade dans une douce intériorité. Rêver permet de vivre mieux ; l'imaginaire précède toujours la beauté. Et l'on sent cela chez toi. Un parcours en train de se faire.

pseudo : PHIL

JOLI TALENT DE NARRATRICE

pseudo : L.

Une très très jolie balade, qui se lit comme s'écoute une... jolie balade ! (même si, paradoxalement, je ne suis pas certain du nombre de "l")... Félicitations ! Parfaitement mené !

pseudo : Youp

bravo pour ton talen c'est très joli et très agréable a lire

pseudo : Zarathoustra

Merci beaucoup! Ces commentaires me touchent réellement. J'adore écrire et c'est pour moi important d'être appréciée. =)