Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

Archibald par Elodie C

Archibald

Il avait traîné pour regarder plus longtemps le robot gris métallisé dans sa prison de plastique et carton. C’était le même que Léo, qui n’avait certainement pas eu à mouiller ses yeux pour l’avoir. Il n’avait pas repris la main de sa mère, pourtant insistante, quand elle avait refusé de jeter même un petit coup d’oeil sur ce que tous ses copains auraient demain, c’était sûr, et lui il serait seul au fond de la cour. Il la détestait, vraiment elle ne comprenait rien, elle trouvait tout inutile et cher. Impossible de discuter, il savait que c’était perdu d’avance. Comment expliquer à sa mère que tout est relatif, que l’inutile pour les uns est utile pour d’autres, que ce qui est cher ne l’est pas en comparaison du gain de popularité, d’estime et d’intérêt suscité auprès de ses copains, et qu’en plus, il s’en foutait complètement, lui, Archibald, de la cherté des choses. C’était le problème des adultes, pas le sien, et si ce jouet coûtait cher, c’était peut-être parce qu’ils étaient pauvres, ce qui était le plus triste dans cette histoire. Il haïssait ce discours, ne voulait pas être raisonnable, non merci, devenir comme eux qui croient savoir, qui pensent comme tout le monde, qui n’achètent pas de jouets à leurs enfants parce qu’ils sont chers, non, non, et non, il ne voulait pas devenir sage, et tant pis pour la gifle au milieu du rayon playmobile, alors qu’il avait encore une fois insisté, pensant que sa propre mère ne pouvait pas être si injuste avec lui, ce n’était pas possible. Mais si, tout est possible, même ça.

 

            Il regarda autour de lui et se vit seul, petit humain au milieu du plastique, grand conquérant du rayon jouets, seul, enfin, sans marâtre, quasi libre. Il attendit quelques instants, le ventre un peu serré quand même, hésitant entre la joie du fugueur et la honte de l’abandon, choisit la première sensation, par orgueil, et commença à déambuler parmi la foule. Les jouets formaient une allée somptueuse, dans laquelle il se sentit l’âme d’un général en revue. Il marchait droit en souriant à moitié. Il se dit avec commisération que les adultes étaient vraiment d’odieux pervers, qui refusaient d’acheter à leurs enfants des jouets qu’eux seuls pouvaient atteindre vu la hauteur des étalages, c’était pitoyable et puis rien d’autre. Sa mère était la reine de ce troupeau de vicieux, elle qui l’avait affublé d’un prénom aussi snob sans l’assortir des attributs nécessaires, que sont au minimum l’achat de ce robot, ainsi que celui de cette paire de tennis trop chouettes, qui sont dans la galerie marchande, à côté de l’entrée. Il grimaça, sentant se former en lui un ressentiment qu’il ne maîtrisait pas et qui l’agaçait tant il le trouvait vulgaire. Il ne voulait pas être vulgaire, ça c’était l’apanage des grandes jambes qui vous posent les mains sur la tête, croyant vous rassurer d’un geste paternaliste. La vulgarité, c’est d’acheter autant de bouteilles que lui ne boirait jamais, et de lui refuser ce robot. Les grosses fesses ne demandent pas l’autorisation pour acheter du superflu, alors pourquoi les enfants devraient-ils la demander pour acheter quelque chose de mille fois plus utile ?

            Archibald grimaçait douloureusement en échafaudant son raisonnement. Une femme l’interpella, pour lui demander d’un air bienveillant s’il avait perdu sa maman. Archibald ne répondit rien, et continua son chemin majestueusement, se demandant de concert s’il ne l’avait pas finalement perdue… sa mère. Son rictus se mua en un sourire radieux : l’évidence de la situation lui sauta à la conscience, et il se mit à marcher plus vite, pour s’éloigner du rayon jouet. Il leva les yeux et vit qu’il n’était plus du tout au rayon jouet, mais au rayon casseroles. Il bifurqua rapidement pour sortir d’un univers féminin d’où il pourrait voir surgir la sorcière aux talons qui claquent, et zigzagua parmi les tables et les chaises de camping exposées juste là. Il ralentit et considéra avec intérêt le décor animé des automates au jardinage : quelles paires de mollets poilus pouvaient bien s’intéresser à une mystification si grossière ? Eh bien il y en avait plein, toutes réunies pour admirer le dernier motoculteur autotracté, admirablement mis en valeur par une fausse pelouse plantée d’une mini fontaine, dans laquelle des projecteurs tentaient de reconstituer le mouvement et le bleuté de l’eau. Archibald contempla avec ses compagnons d’infortune la chose, alors que des voix nasillardes rappelaient à Michel, Robert ou Marcel que la liste des courses était encore bien longue, et qu’elles allaient pas se faire toutes seules et.... Archibald se détourna des mollets poilus en leur dédiant un sourire complice, et alla s’asseoir sur la balancelle solitaire qui trônait plus loin. Il se releva prestement en entendant son nom envahir le magasin. Une voix l’invitait à rejoindre la caisse centrale. Il s’étonna que sa mère cherchât à le retrouver, alors que lui-même avait si peu envie de la revoir. Il se retrouva au rayon des accessoires de voiture. C’était bien la première fois qu’il y allait, et Dieu qui n’existe pas sait pourtant (c’est là qu’il est fort !) le nombre de fois où il avait dû venir dans ce magasin où cependant tout est si cher. Il regarda avec curiosité de grandes jambes dénudées jusqu’à une hauteur vertigineuse, qui faisaient vis à vis aux essuie-glaces qui pendouillaient devant elles. Il eut aimé que sa mère ait les mêmes, au moins elle aurait eu quelque chose d’intéressant, digne d’apporter des circonstances atténuantes à sa bêtise. Il imagina un instant la chance du petit garçon qui avait une maman qui soit en même temps son papa.

            Il suivit les petits poils blonds sur quelques mètres, jusqu’au moment où il entendit :

            - Qu’est-ce que tu veux, toi ?

            Il leva les yeux et regarda ceux qui le contemplaient. Il s’entendit répondre qu’il cherchait une maman. Les yeux aux longues et jolies jambes corrigèrent l’indéfini en défini, mais la tête d’Archibald esquissa plusieurs aller-retour énergiques qui eurent pour conséquence d’agrandir l’ombre portée des cils qui le surplombaient.

            - Quoi, tu n’as pas de maman ?

            - Non.

            Deux iris auréolés s’abaissèrent jusqu’à lui.

            - C’est quoi cette histoire ? Viens, on va la retrouver. C’est quoi ton nom ?

            - ...

            - Allez, viens.

            Alors Archibald s’enfuit en courant, écoeuré que personne ne puisse comprendre à quel point il ne souhaitait pas revoir celle qui avait fait l’erreur d’être sa mère, pour qui la vie était trop chère, et qui s’acharnait à le retrouver pour continuer à imposer sa toute puissance insupportable.

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par Elodie C | Voir tous ses textes | Visite : 1105

Coup de cœur : 16 / Technique : 11

Commentaires :

pseudo : Martina

TRès beau texte .