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LE TALISMAN par Plume

LE TALISMAN

 

 

                                   Le Talisman.

            Ils avaient raison, mes parents quand ils me répétaient : « Ne pars pas, ne les écoute pas, ceux qui te disent que Paris, c'est si beau, qu'on trouve du travail...Et les papiers, tu crois que t'en auras, toi ? ». «Vous en faites pas,  je suis sûr d'avoir la «  baraka » avec moi, que je leur répondais »

            Oui...mais voilà...je pouvais pas leur dire ...pourquoi, je voulais tant partir...pourquoi ...elle serait de mon côté, la « baraka »....je pouvais pas leur dire que je partais pour retrouver quelqu'un : une femme, une « roumi »,..pas n'importe qui, une femme unique par sa beauté...

         Je me souviens... Son quatre- quatre arrêté sur la piste...près du point d'eau où buvaient mes chameaux...elle descend, laissant son mari seul dans la voiture ;...sa chevelure blonde comme le soleil envoie dans mon cœur des rayons de lumière...Pourquoi elle me demande mon nom? Pourquoi elle me dit : « Hassan, tu es très beau, tu peux compter sur moi...ta photo, je te l'enverrai. »...Jamais on m'avait parlé comme ça...Jamais on m'avait photographié...C'est comme si elle m'appelait à Paris...Je suis forcé de désobéir à mon père.. Avec mon talisman dans ma poche, je suis sûr de la rencontrer...

            Mon talisman..j'oublierai jamais...c'était le soir du mariage de ma cousine dans la grande rue de mon village :...les parents, les amis, je les voyais plus...les costumes de fête.. oubliés,...les odeurs de miel des gâteaux...évaporées dans l'air frais de la nuit ;...mes oreilles, ...  devenues sourdes à la musique aigre des raïtas, aux youyous des femmes, aux battements des tambours, c'étaient ceux de mon cœur qui les couvraient...Mes yeux étaient attachés à le jeune fille qui dansait, seule au milieu de la rue ; le glissement de ses petits pieds nus, les ondulations de son corps, de son ventre, de son bassin, les arabesques de ses bras sous l'auréole de la lune me donnaient le vertige...Dans l'obscurité claire, comme son ventre lisse brillait !...Sous le nombril...Non,...je me trompais pas...une émeraude entrait dans la danse...Ensorcelé, je pouvais plus partir...Seul avec elle...seul dans la rue désertée...

            Pourquoi le lendemain, à l'aube...pourquoi je retournai sur la place ? Oui...c'était la main d'Allah qui me guidait...Ce galet poli qui luit sur la terre battue, parmi les objets oubliés..c'est l'émeraude...Une voix me dit : « cache la,..et surtout, surtout,...ne dis rien à personne ,.. elle devient ton secret, ton talisman..Sans elle, tu seras voué au malheur. »

            Et pourtant, à mon arrivée à Paris, j'en ai passé des heures à chercher du boulot...Quand on a faim,... il faut bien se contenter de ce qu'on trouve !.... Laveur de vitres...c'est mieux que rien...

            Du haut de mon échelle, tout en bas, ce grand Boulevard  grouillant de fourmis...Mais pourquoi j'ai le vertige ? Pas de risque pourtant avec mon harnais...Bien sûr, c'est le ramadan...J'ai l'estomac creux.. .Dans mon oasis, à Laghouat, j'étais le champion pour cueillir les dattes...Le vent du désert pouvait souffler, les palmiers se balancer, jamais je n'avais le tournis.

            Mais qu'est-ce qu'ils ont tous ces gens pour être si pressés ?...Peur d'arriver en retard ?... Ils n'ont jamais envie de se reposer un peu sur un banc, de s'arrêter pour causer ensemble ?...Moi, je faisais comme mes chameaux : quand j'étais fatigué, je m'allongeais...Et dans les stations de métro, c'est encore pire ! Courir en sautant les marches des escalators, ça peut causer un accident...Je voudrais le leur dire, mais ils vont se moquer de moi, me prendre pour un froussard...Y a que les vieux qui paraissent plus calmes...A l'intérieur des rames, silence pesant, regards vides...Et de nouveau, la précipitation durant les arrêts brefs..  Cette perpétuelle agitation...J'ai du mal à m'y faire...

            Chez moi, je vivais à  l'heure du soleil, en suivant son chemin dans le ciel par-dessus les dunes...Ici, j'ai été obligé d'acheter une montre...Dans les rues, le soleil, on le voit pas ; il fait presque toujours gris, et lorsque le temps est beau, il est caché par les hautes maisons.

            Renvoyé...le patron, y trouve que je suis trop lent...pas  « rentable » paraît-il...de toutes façons, sans papiers, je peux que la boucler...Ici, il faut se transformer en machine ;...moi, c'est encore le rythme du berger...est-ce que j'arriverai, un jour à faire tout vite, vite, comme les autres ?...

            Deux nuits, j'ai couché sous les ponts...Enfin, j'ai rencontré mon cousin, ils sont nombreux chez lui,...je dors sur le sol ; ça me gène pas trop...chez nous, c'était sur des nattes...oui, ...mais ici, il fait froid...

 

         Pendant la journée, je marche,...je marche...certainement, je vais « la » retrouver.. .C'est pourtant pas les filles qui manquent ;.. comme je  les trouve effrontées !.. Chez nous, jamais une jeune fille se permettrait de regarder les hommes comme ça...Et leurs jupes qui s'arrêtent au ras des fesses !..C'est moi qui ai honte,..moi qui baisse les yeux !.

         Heureusement, je suis patient !..  Je savais que la chance reviendrait vers moi !...ça sert d'être beau et typé : ça m'a valu une embauche de serveur dans un restaurant traditionnel berbère...En m'habillant : sarouel, djellaba,..il me semblait que j'étais au pays...Là, les clients discutent tranquillement ...ils doivent dépenser beaucoup d'argent pour leurs vêtements...Quand je me promène dans ce quartier et regarde les mannequins dans les vitrines, je n'arrive même pas à transformer les prix en dinars... Je vois les gens sortir des magasins avec des sacs chargés de « fringues », comme disent les copains.

        Tiens ? une jeune femme seule s'installe à une table...Comme elle ressemble à celle que je cherche depuis si longtemps !.. ;Comme elle me regarde !...C'est drôle ce que je ressens :...cette douce chaleur qui se répand dans mes entrailles...je sens que je rougis...Heureusement...ça se voit pas sous ma peau bistrée...C'est peut-être parce que je serre très fort mon émeraude dans la main que la belle jeune femme m'a remarqué dans le restaurant ?...Mais je me trompe pas...elle me fait signe...personne s'en est aperçu, je crois...

          _Veux-tu venir avec moi ?...Je suis si seule !  Si tu savais comme c'est triste !  

           Bien sûr...mon cœur bondit..bien sûr...il dit oui !

         Il est tard,... je me sens bien dans cette voiture qui glisse comme un bateau sur la mer calme du Boulevard Haussmann désert !...et cet appartement, ...je crois rêver....Douces, les lumières de la chambre...douces, les mains qui me déshabillent...je n'ai pas envie de parler..je ne peux que me laisser faire...mais je sens qu'elle devine...encore...encore !...La chaleur tiède de son corps m'enveloppe...la même que celle de ma mère lorsqu'elle m'endormait...

        ....Le lit est bien glacé, ce matin ?...Tiens...une lettre sur la table :

          Chéri,

         Je dois partir au travail. A bientôt.

         Comme c'est sec...sec comme ma bouche :...le miel des baisers a disparu...Mais moi aussi, je dois me hâter...où sont mes vêtements ?..Ah oui ! C'est elle qui m'a déshabillé hier soir !...pas de voiture pour rentrer au resto...Je vais avoir l'air  de quoi dans mon costume berbère ? Immigré sans papiers déguisé ! d'ici qu'on m'arrête !...je vais raser les murs...mettre les mains dans les poches de ma djellaba...Mais .. qu'est-ce qu'il m'arrive ?...l'émeraude n'y est plus...

          Non !.. C'est impossible !...Tant de mensonge ...tant de trahison...Jamais plus je pourrai croire une femme...L'autre, aussi,.. elle m'avait menti ;...elle s'était foutue de moi avec sa promesse de photo !

          Dépouillé de mon talisman,...c'est fini...Plus droit à la chance...au bonheur !...Ah ! le regard du patron,...des autres,..je comprends tout de suite..Renvoyé...j'ai commis une faute :...pas le droit de sortir avec un client.

            Perdu ...Oui, je suis perdu, ..plus que jamais...rejeté par cette ville qui ne veut pas de moi...Il ne me reste plus qu'à me fondre dans l'oued de cette foule toujours en crue...qu'à me laisser couler dans ce monde où je suis un minable...

            Est-ce que quelqu'un viendra mon secours ?...Oui...mon cousin...j'avais jamais réalisé : il me veut du bien...Il insiste pour que j'accepte de me faire embaucher avec lui sur ce chantier ....ça m'enchante pas pourtant d'aller trimer comme un forçat...c'est ça ou rien..et pas mal payé...

             Je sais que je suis costaud ;...il le faut pour être accepté...C'est pas des mauviettes qu'on va prendre pour soulever le marteau-piqueur, endurer à longueur de journées ses trépidations...je me sens comme un chameau rétif,..je dois me mâter...

          « Ici, me secoue mon cousin,...t'es pas à Laghouat !...tu peux pas te laisser vivre ! »Bien sûr ...lui...il est habitué !...Et puis...on l'a pas dépouillé de son talisman !...

            Je comprends pourquoi on a pas droit à l'erreur :... Nous travaillons sur la place Vendôme...une des plus belles de Paris...Dans les vitrines des joailleries qui l'entourent..des fortunes que je sais pas compter !

           C'est pour ça sans doute, que les contremaîtres sont si durs ;....ils ont des ordres :.. cette belle architecture ne doit pas rester longtemps bousculée...Pour ça que nous sommes rangés comme des soldats à l'armée...

         Mais ils se rendent pas compte que nous sommes sourds ?...Que nos casques...le bruit, couvrent leurs hurlements ?....Je ne vois que leurs gesticulations .. Mon corps devient marteau-piqueur..  ébranlé par le poids, les secousses..abruti par le vacarme....

        « Soulève ! Retombe !...Soulève ! Retombe !. »...Comme elle fonctionne bien..la machine automatique de la troupe au bout d'une heure !. .La fatigue, elle la sent pas..  .Tout le sol de la place vibre ...On dirait un tremblement de terre...

         Qu'est ce que cet éclatement soudain ?.. Une bombe ?. ...Non !...Une vitrine en face de moi qui a explosé...Sans m'en apercevoir, j'ai lâché mon engin...Je rêve :...Au centre, dans un écrin de velours noir...une émeraude...La mienne..j'en suis sûr...

Mais pourquoi ces sirènes ?...Ces policiers qui nous écartent ?..Ils vont nous arrêter ?

 

                                                          

                                                          

             

                                                            

 

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