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CARACALLA par Plume

CARACALLA

 

 

 

                                               CARACALLA

 

         Je fus un soir invitée par un archéologue de mes amis. Je me dirigeais vers cette réception avec un mélange de joie et de grande curiosité car, au retour de ses fouilles, il avait toujours à raconter des faits du plus haut intérêt. Il faut dire que sa profession l'avait entraîné dans des périples inouïs autour de la planète, qu'il connaissait non seulement les civilisations mondialement connues : Aztèque, Inca, Grecque, Romaine, mais bien d'autres encore plus modestes et mystérieuses, qu'au cours de ses voyages il avait vécu d'étourdissantes aventures, côtoyé les peuples les plus divers. Bref, il était d'une étourdissante érudition qui s'alliait à beaucoup de modestie, ce qui ne gâtait rien.

            Après s'être consacré durant toute une partie de sa vie aux fouilles terrestres, sans doute jugea-t-il que le temps était venu de changer d'horizons : sa quête se voulait plus insolite ; il s'orienterait désormais vers les recherches sous-marines. Bien que ce domaine fût déjà largement exploré, il espérait que sa bonne étoile le mettrait sur la voie de nouvelles découvertes.

            Dès lors, la Méditerranée devint son pays, les ports, ses gîtes. A bord d'un navire équipé pour ses investigations, il dirigeait toute une équipe de savants animés par la même passion : retrouver les vestiges encore ignorés de l'antiquité Gréco-Romaine dont cette mer reste à jamais le creuset privilégié.

            Un jour, après avoir doublé le cap Bon, goulet séparant l'Occident du Moyen-Orient, où se croisèrent et se heurtèrent tant de cultures, ils jetèrent l'ancre au large des îles Kerkenna...Revenu depuis peu de cette expédition, il brûlait, je m'en rendais compte, de nous la raconter ; je pressentais déjà qu'il nous réservait une surprise...Il en était souvent ainsi lorsqu'il prenait la parole, sachant ménager un certain suspense.

            -« Nous évoluions dans un labyrinthe : débauche de colonnes, de chapiteaux,  de portiques, de membres épars de statues mutilées, véritable cimetière sous-marin profané par un ennemi animé d'une impérieuse haine : était-ce l'instabilité des profondeurs secouées par des raz de marées, des séismes, des remous que ne trahit pas la surface même au cours des tempêtes d'équinoxe ou le résultat de tant de guerres ? A l'intérieur de mon scaphandre, je méditais ainsi sur la vulnérabilité des civilisations, ma faculté d'observation maintenue en alerte par ma curiosité. Eloigné de mes compagnons, je continuais à filmer...Soudain, mon projecteur auréola d'une éblouissante lumière une statue décapitée ; je m'approchai ; la perfection des proportions, les veines du marbre trahissaient un personnage important : proconsul, empereur peut-être ?...Inondé de perplexité et de joie, je me hâtai de rejoindre l'équipe de chercheurs ; remontés à bord, il fallut orienter le navire vers le lieu de la découverte, hisser la statue à l'aide de treuils et de poulies. Etendue sur le pont, elle nous parut plus imposante encore...Nous la palpions, la caressions religieusement.

            Ce soir-là, ce fut la fête ; le champagne déborda des coupes ; unis par la même ferveur, nous savourions ce moment privilégié. C'est dans de tels instants que l'on saisit véritablement la réalité d'une équipe.

            A Tunis, tout un aréopage d'historiens spécialisés dans l'Antiquité, de chercheurs, d'archéologues accourus du monde entier tint conseil durant plusieurs jours pour identifier notre découverte : discussions, controverses, expertises, contre-expertises se succédaient, les archives s'amoncelaient. Avec mes compagnons, nous suivions ces interminables palabres, passant sans cesse d'espoirs fulgurants à des déceptions abyssales ; mes nuits en étaient hantées. Cependant un jour enfin la conclusion indiscutable, confirmée arriva : il s'agissait du tronc de l'empereur Caracalla lui-même qui s'était présenté devant moi en ce jour béni.

            Je fus félicité, congratulé, mais tint à partager cet honneur avec mes camarades.

            Ici s'achevait le récit de mon ami ; je l'avais suivi avec un vif intérêt, mais lorsqu'il prononça le nom de Caracalla, je ressentis un choc : ces syllabes cascadantes éveillèrent en moi un écho .. .vague...confus dans un premier temps, mais qui bientôt évolua vers un souvenir se précisant dans le halo de ma mémoire...Je me gardai bien de laisser transparaître ces instants de distraction, remerciai chaleureusement, me retirai ; mais en fait, j'avais hâte de me retrouver seule pour lisser le champ libre à mes réminiscences.

            Lorsque je regagnai ma demeure, la nuit était déjà fort avancée mais je ne pus m'endormir.  De très anciennes images surgissaient tels des flashs éclairant la forêt de mes souvenirs : je me revoyais au cours d'un dîner, assise face à un miroir, littéralement fascinée par l'image qu'il me renvoyait : une tête de marbre d'une étrange beauté : regard cruel, traits acérés où se lisait une inextinguible soif de puissance, mais je me devais,  sauf inconvenance, de m'associer  à la conversation de mes hôtes.

            Le grand-père vint au devant de mes questions intérieures, visiblement heureux de relater ce qui lui tenait à cœur :

            _« Je me promenais seul, un jour, dans le souk de Tunis, mes yeux fouillant les échoppes où étincelaient les cuivres que martelaient les chaudronniers, où s'étalaient les tapis aux teintes moirées de sang, de sable chaud et de feuilles mortes, tentant vainement de chasser les hordes de petits « yaouleds » qui me harcelaient pour obtenir quelques dinars, lorsqu'une haute silhouette drapée d'une djellaba blanche les éloigna d'un geste impérieux et d'une menace gutturale. Ils se dispersèrent aussitôt...L'Arabe s'approcha de moi ; je remarquai alors que son ample manteau dissimulait un objet important.

            _ « Viens ! Suis moi ! » me dit-il.

            A demi rassuré mais influencé par l'autorité du ton, je lui emboîtai le pas..Il m'entraîna dans une ruelle aux portes secrètes, si étroite que l'on pouvait à peine s'y croiser.

            _ « Que me veut cet homme,  pensai-je, pourquoi m'en impose- t-il ainsi ?

            Il est vrai qu'avec sa djellaba qui évoquait pour moi la toge romaine, il ne manquait pas d'allure !...Docile et méfiant, je le suivis dans un café maure     qu'il m'indiqua du doigt ; nous nous assîmes dans le coin le plus sombre de la salle.

            _« Je t'offre le thé à l menthe ! »

            Refuser  ce rituel signe d'accueil aurait représenté une insulte... Et la palabre commença ; il parlait un français d'une parfaite correction : son âge me laissait à penser qu'il avait connu le protectorat...Il me tendit même son narguilé ; j'acceptai : les volutes parfumées embrumaient mon esprit d'une bienheureuse torpeur...Bercé par l'histoire de sa vie qu'il me livrait sans ambages, j'avais perdu la notion du temps, oublié même ce qui m'avait conduit jusque là.

            Sans doute avait-il préparé son coup avec l'onctueuse habileté des peuples orientaux...Lorsqu'il sentit que j'étais « mûr » pour ressentir l'effet qu'il voulait produire, il fouilla la salle des yeux avec méfiance...Vue l'heure tardive, nous étions seuls...Alors, ménageant son coup de théâtre, il souleva son manteau et déposa sur la table ce qu'il avait si longtemps caché : une tête en marbre, et, sans plus attendre passa au marché :

            _ « Cent dinars, ça te va ? »

            J'assurai ma voix tant bien que mal :

            _ « Oui, certainement. »

            En fait, j'avais le souffle coupé par l'authentique beauté de cette face insolite, ne doutant pas une seconde de la valeur qu'elle représentait. Indubitablement, je faisais une affaire mais me gardais bien de laisser transpirer mon contentement.

            _ "Allez ! Inch Allah ! tape cinq ! » conclut-il.

            Suivant la coutume, nous frappâmes dans nos mains et nous séparâmes les meilleurs amis du monde...Ainsi avec sa grande allure, mon homme avait besoin d'argent ! Lui aussi paraissait visiblement satisfait...Comprenant mon embarras, tel un prestidigitateur, il sortit de sa poche un grand morceau de haïk dans lequel il enveloppa le volumineux objet ; il avait tout prévu !

            Je regagnai mon hôtel, heureux certes, mais perplexe : « comment passerai-je la douane à mon retour en France ?...

            Heureusement, j'eus affaire à des douaniers « bons enfants » ! Ils n'ouvrirent même pas mon lourd sac de voyage lorsque je leur affirmai avec autorité que j'avais laissé beaucoup de dinars dans leur pays...Il faut dire qu'à cette époque, la fouille n'était pas aussi sévère qu'aujourd'hui.

            Rentré dans mes foyers, une autre aventure commençait : l'identification de mon trésor.  J'avais beau être féru d'histoire ancienne, je mesurais modestement mes lacunes. Dès lors, je fouillai archives, bibliothèques ; je me rendis même à Rome et là, je réussis à négocier l'emprunt d'un précieux ouvrage où figuraient les célébrités de l'Empire. Il ne pouvait être question de le sortir de la célèbre collection ; je passai des journées entières cloîtré dans ce haut lieu de culture, sachant que je n'avais pas droit à l'erreur...Un soir, alors que, découragé, j'étais tenté d'abandonner ma quête, les aspects d'un portrait, représenté sous différentes faces, me parlèrent enfin : c'était celui de l'empereur Caracalla. En parcourant l'histoire de sa vie, je compris pourquoi ses  traits  reflétaient tant de méfiante cruauté : son règne débuta par l'assassinat de son frère...Il s'acheva, juste retour de l'histoire, par son propre assassinat. »

            Ainsi se terminait la narration du grand-père

            Dans mon lit, ce soir-là, aux prises avec une irréversible insomnie, je méditais sur la double destinée de Caracalla...Je savais que le tronc impérial se trouvait déjà dans le musée du Bardo ; l'ensemble serait-il ressuscité un jour ? Qui pourrait l'affirmer ? En dépit des horreurs commises, Caracalla faisait tout de même partie de l'Histoire.

 

Caracalla : (188-217) ; Marcus, Aurélius,  Bastanus. Fils  de Septime Sévère. Son règne(211-217) débute par l'assassinat de son frère Geta. On lui doit la Constitution Antonine qui étend à tout l'Empire le droit de cité romain. Il fit construire à Rome les Thermes qui portent son nom . il mourut assassiné .     

 

 

                                   

       

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Coup de cœur : 9 / Technique : 8

Commentaires :

pseudo : princedudesert

Ton histoire d archeologue est tres passionnante .Moi aussi je suis archelogue et poete en herbe, je connais l valeur de cet empereur romain et son oeuvre monumentale en afrique surtt.On conserve son arc de triomphe ici a Teveste en Algerie, un magnifique chef d oeuvre d architecture.Bravo pour tes crits