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Mon Histoire Vraie - 6 - Mercredi 18 février par L.

Mon Histoire Vraie - 6 - Mercredi 18 février

Il y a un petit pont, pas très loin de ce banc.

Et sous ce pont, un petit filet d’eau qui s’écoule en silence, sans se laisser troubler par le calme alentour, serein, discret, comme s'il n'était pas vraiment là, comme s'il n'était que de passage, comme s'il ne voulait pas appartenir à ce monde sans visage, à ce visage sans traits, à ce trait de pinceau sur une toile sans surprises... A quelques mètres encore, comme il se doit, de la treille et un peu de vigne avec, quelque mètres au-delà, un grand parterre de fleurs qui entoure un enclos désert, quelques cages vides où gazouillaient sans doute des oiseaux exotiques, il y a des années de cela.

Un parc comme il en existe des milliers, peut-être.

Ou comme il n'en existera jamais qu'en rêve.

Bien sûr.

Comment ai-je pu m'y laisse prendre ? Jusqu’à ce jour, jamais je n’avais réellement détaillé ce tableau tant je ne voyais qu’elle, jamais je n’avais remarqué à quel point il était parfait, à quel point tout en lui respirait l’harmonie, à quel point tout en lui appellait au repos, à la résignation, mais en donnant l’impression un peu angoissante de n’être qu’un décor aussi vide que les cages et l’enclos, que le ciel et les nues, comme une métaphore de la vie humaine, en somme, une allégorie où la paix ne serait qu’une question d’absence, où seuls " ne rien souhaiter " et " ne plus rien avoir " seraient "garantie de ne plus rien perdre, de s’avancer sans craintes, d'atteindre un équilibre que rien ne pourrait bouleverser".

Quoi de plus vrai, au fond ?

Seul un monde vide peut nous appartenir. Seule une coquille creuse peut offrir un semblant de contrôle, un semblant de sécurité... Et qu’importe si les cages n’ont plus rien à garder, dès lors, et qu'importe si nous-mêmes n’avons rien à chérir ! Au moins, plus rien ne viendra entrouvrir les grilles, plus rien ne viendra nous blesser, plus rien ne viendra nous meurtrir, on pourrait en jurer.

Peut-être est-ce pour cela que tous les soirs, tu t’assois sur ce banc, d'ailleurs, et que tu regardes vers le ciel, perdue dans tes pensées. Peut-être est-ce pour cela que je reviens, chaque fois, et que je m’assieds en tailleur au milieu de la place pour te regarder faire, sans cesser de prier pour toi, sans cesser de m'en faire. Peut-être que ce sont là nos cages, nos enclos ou notre scène, comme un refuge où nous nous sentons en sécurité, à l’abri dans le cadre d’un tableau qui ne change jamais. Peut-être que tu n’attends pas, en réalité. Peut-être qu’au contraire, tu es là pour t’empêcher d’attendre, t’empêcher de vouloir attendre, t’empêcher de souhaiter que ce que tu voudrais attendre puisse t’arriver un jour. Et moi…

Peut-être qu’au fond, ça me rassure, que tu ne me vois pas. Peut-être que je n’ose t’aimer à ce point que parce qu'au fond, je sais que tu ne m’aimeras pas, jamais. Peut-être que moi aussi, je suis dans le tableau que je crois regarder et que ni toi ni moi, nous ne désirons plus que ce que nous avons trouvé ici, plus que cet équilibre figé au son de ce mince filet d’eau qui, seul, s’anime encore. Jamais un oiseau dans le ciel. Jamais d'averse, jamais d’orage ou de tempête. Jamais de colère ou d'hésitation. Jamais de vie, jamais de bruit, jamais de désaccord, jamais de dissonance. Nuages nacrés. Horizons dégagés. En guise de clé de voûte : la paix, une paix faite de silence, de retenue, de recueillement, une paix aussi figée que le reste du monde, une paix qui n'est pas un cadeau mais une prison, une cage et, derrière ses barreaux, les fantômes de souvenirs qui y sont enfermés...

Peut-être qu'à force de venir t'installer au milieu de ce banc, à force d'y soupirer, à force d'en faire ton univers, tu disparaîtras à ton tour, lentement, un détail après l'autre jusqu'à ce qu'à mon tour, j'en vienne à ne plus te voir, jusqu'à ce que tu te sois libérée de tous les regards et que tu n'aies plus à t'en inquiéter. Alors, tu seras seule, je serais seul... Le tableau cessera d'exister. Sans nous pour lui prêter nos yeux, sans nous pour lui prêter nos voix, sans nous pour lui prêter nos âmes, il n’aura plus de raison d’être, de raison d’agiter ses feuilles, de raison de se parer d'or jusque sur son liseré d’herbes et de primevères, il ne sera plus qu’un mirage, une toile à l’arrière plan - un fantôme, à son tour -, agitant son lot de regrets au bout de lourdes chaînes...

Parce que, oui, je te regretterai. Même si je te connais à peine, même si tu n’as qu’à peine parlé, même si j'ignore ton nom, même si j'ignore ton âge, même si je n'ai aucun droit de t'aimer si fort et même si j’ignore ce que tu penserais de moi si tu me voyais pour ce que je suis... Peut-être est-ce idiot mais, au fil de nos rencontres, au fil des heures, des jours, des mois passés ensemble - sans l'être jamais vraiment -, tu es devenue une amie, une sœur, un idéal, une partie de ma vie. La meilleure partie de ma vie. La meilleure partie de moi-même. Ce que j’ai de plus cher. Ce que j’ai de plus beau. C'est grâce à toi, toi seule, que je me souviens que j'existe… Grâce à toi que j'ai fini par comprendre que j'étais prisonnier d'une cage dont j'ai moi-même fermé les portes à double tour… Grâce à toi que j'ai retrouvé les songes qui m'étaient chers, jadis, auxquels je croyais avoir renoncé… Grâce à toi que je réalise, maintenant, ne plus vouloir de cet équilibre mensonger, factice, cette paix truquée, cette illusion de plénitude, ce tableau figé, vide, sans visage que j'étais devenu… Grâce à toi que j'ai souhaité être comme le filet d'eau qui s'écoule, là-bas, et pouvoir m'écouler moi-même avec les heures, avec les jours, avec les mois pour ne pas avoir à les regretter, pour pouvoir te prendre par la main, t'éloigner de ce banc, t'éloigner de ce parc, t'éloigner de ce ciel et de sa nostalgie avant qu'ils ne t'effacent, qu’ils ne t’emmènent, qu'ils ne t'enlèvent à moi...

Or comme je me disais cela, pendant un instant - un bref, si bref instant, moins d'une seconde sans doute -, si seulement tu avais baissé les yeux, si seulement tu l’avais voulu, quelque chose me dit que tu m'aurais vu, ce soir. Et, aussi, que tu ne m'aurais pas oublié.

Comment savoir ?

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Style : Nouvelle | Par L. | Voir tous ses textes | Visite : 747

Coup de cœur : 12 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : ficelle

et nous entrons avec toi dans ton questionnement, le vrai, le seul, l'existenciel.

pseudo : Brestine

C'est magnifique L. Je crois que - en tout cas pour le moment - c'est mon passage préféré. Tu sembles entrer davantage ici dans le "tableau" que tu décris avec une muse toujours présente, toujours idéalisée mais à peine plus en retrait. A mon sens, tu te dévoiles davantage dans cette partie. C'est donc plus riche. C'est très poétique. Il n'est nul besoin de faire des rimes pour poétiser. Si tu triches un peu en écrivant, alors tu es un maître car tu sembles absolument sincère et je me dis que j'aimerais bien, au fond de moi, qu'on me dise des mots semblables...

pseudo : obsidienne

une question qui ne résume rien, mais qui offre tout le fruit de ta pensée, magnifique

pseudo : PHIL

COMMENT SAVOIR? QUELLE BELLE REFLEXION ET UNE BELLE MAITRISE DANS L ART D ECRIRE ET DE CONTER.

pseudo : scribio

Ton texte est magique, tu jongles à merveille avec le vrai et l'imagination. 3comment savoir ?" tu ne le saura peut-être jamais, qui sait l'imagination est parfois plus belle que la réalité.

pseudo : Djoubi

Petit message à tous ceux qui, comme moi, suivent les épisodes avec délectation, faites connaître ces textes. Parlez-en à vos amis, faites-leur suivre le lien. Ils en valent vraiment la peine. Bravo et merci L.

pseudo : L.

C'est moi, à nouveau, qui vous remercie ! Chacun de vos commentaire est un vrai morceau de soleil ou un battement de coeur. A vous lire, mon sang figé s'anime et retrouve sa jeunesse. Tout ce que j'espère, c'est toujours arriver à vous apporter autant (au moins), en remerciement de vos remerciements. je ne fais que de mon mieux, mais si vous vous y retrouvez, aors, vous êtes les bienvenus entre les lignes ! @Brestine : Ce passage est le plus intérieur. Il marque le milieu (déjà !) de l'histoire, une pause pour réfléchir à ce décor de parc, à sa présence à "elle", à ma présence à "moi". Pour essayer d'être lucide entre deux élans de passion irrationnels (car passionnés !). Au sujet de ma "tricherie", c'est une tricherie de forme : j'ai pris l'histoire, tout ce qu'elle m'a inspiré (et m'inspire encore), tout ce qu'elle représente pour moi en terme de sentiments, et j'en ai transposées les années (maintenant... C'est une longue histoire vraie) pour en faire une fable plus universelle. Mais les personnages, ce sont bien "nous" (elle et moi), l'émotion est bien la mienne, sans censure ni faux-semblants... Seul le "film" autour est une réécriture, une métaphore... Mais jamais une trahison. J'espère aussi que tu les entendras, ces mots, parce qu'à te lire entre tes lignes à toi, tu sembles être de celles-là qui les méritent ! Patience ! @Djoubi : Je ne sais que dire. Je suis plus que flatté. C'est m'accorder trop d'importance et en même temps, j'admets que ça fait un bien fou ! Je ne suis que moi, mes mots ne sont que des mots. Par conséquent, ils appartiendront à toutes celles et ceux qui s'y retrouveront. S'ils sont nombreux, alors peut-être que le monde n'est pas vraiment aussi noir que je le croyais...