Je suis un fantôme.

J'évolue, poussière blanche parmi les astres.
Les autres me parlent, j'absorbe la lumière, parfois la réfléchis.
Je suis à la fois le vide et l'uni, pleine d'une force qui me rendrait vivante.
Pourtant je ne suis pas vivante, je suis un fantôme.
Le néant chaque jour obscurcit ma pensée, il m'embrume l'esprit mais me fait plus puissante.
Je suis présente et absente, consciente du monde qui gravite autour de moi.

Je suis un fantôme qui pense.

La transparence de mes traits rendrait froide la beauté imperturbable de mon âme.

Pourtant je n'ai pas d'âme.

Il arrive à mon corps de se matérialiser, lorsque l'amour de la chair et du bonheur se font sentir, lorsque chaque être ressent du plaisir, je suis là.

Je ressens.

La vie pour moi ne signifie rien, je ne vis pas, je traverse les âges.
Fidèle à moi-même, je laisse une partie de mon cœur s'envoler vers les cieux, des rêves plein la tête, des étoiles plein les yeux.
La Mort non plus ne m'est pas familière, je suis immortelle.
L'impassibilité de mon être est unique, les autres grouillant bestialement dans une foule de vie mélancolique et tortueuse, longeant le fil de leur propre existence, conscients du temps qui leur reste à passer sur cette Terre.
Ils ne me voient pas et ne s'inquiètent pas de moi.
Je suis un fantôme tranquille et paisible, en accord avec son esprit, vide d'émotion, vide de vertu et de vie.

Je suis un fantôme qui saigne.

Le sang de mes blessures forme une tâche sombre sur l'histoire de ma vie.
Je n'en ressens que plus de douleur, que mon existence souillée par une société incompréhensible et cruelle.
Le sang de mes blessures dessine un portrait terni par le temps, et joué par les félonies les plus crues de ce monde.
C'est pourquoi je n'ai plus de visage, je suis comme un miroir à la face du monde, je renvoie l'image de tous les hommes.
Une image flétrie, abîmée par des années de souffrance et de haine.
Je ne représente rien, je ne suis rien, je suis un fantôme.
Et pourtant j'ai toujours l'espoir d'un jour ressentir ma propre vie, de palper ma propre existence, comme on palpe la chair frémissante de l'être que l'on aime.

Je ne serai pas toujours un fantôme.
Je commencerai à vivre lorsque les fleurs auront fané, lorsque l'amour sera mort, lorsque le beauté des hommes aura perdu son éclat, lorsque les guerres feront couler à nouveau le sang des innocents, lorsque les chiens ne pourront plus aboyer ni les loups hurler, lorsque le silence sera fait sur une Terre brune et sauvage, rougie par la honte de ces années d'abandon et de mépris.
Je vivrai quand toute chose aura fini d'exister, je vivrai quand le cœur des Hommes se sera arrêté et quand le soleil aura englouti l'univers.

Alors je serai chaleur et douceur, puissance et infini, le seul maître que requiert le monde.
Je serai un fantôme du passé, représentant ce qui a été, ce qui est et ce qui sera
Je serai la source omnisciente du savoir.
Et je serai vivante, le cœur pompant un sang toujours plus vif à s'acharner contre la médiocrité.

Mais je serai une vivante sans âme.

Car vous le savez tous, je le dis tout le temps :

Je suis un fantôme.