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De la vie... et du reste. par L.

De la vie... et du reste.

Il y a une histoire que mes parents me racontaient souvent lorsque j'étais enfant et que j'aimais beaucoup, celle du « vilain petit canard »...

Peut-être parce qu'au fond de moi, sans me l'avouer, je me sentais comme ce vilain canard (seul, maladroit, différent), ou peut-être parce que c'était le contraire, au fond, parce que je pressentais des grandeurs en moi qui - comme dans l'histoire - écloraient un beau jour. J'aimais particulièrement la morale, parce que pour moi, c'était ainsi que la vie devait être : fondamentalement et profondément « juste ». On pouvait bien traverser mille épreuves, alors, se heurter à mille autres obstacles, souffrir, tomber plus bas, toujours plus bas, il fallait que toutes ces épreuves mènent à une fin heureuse, à une fin « méritée »...

J'aimais particulièrement la morale, c'est vrai, mais je sentais pourtant qu'au-delà des mots, au-delà des illustrations multicolores, il y avait comme une ombre, quelque chose qui ne collait pas, quelque chose d'illogique, quelque chose qui - oui ! - n'était pas « juste », en fait.

Car que nous raconte cette histoire, en fait ?

Le vilain petit canard naît différent et forcément, il se retrouve mis à l'écart, sujet de moqueries, de sourires méprisants et de regards blessants : il n'est pas beau, il n'est pas très gracieux, pas très adroit, pas très « canard » et c'est ce qui lui vaut d'être rejeté. Ce, jusqu'au jour... Jusqu'au jour où, en grandissant, enfin, il devient un cygne magnifique, plus beau, plus gracieux, plus adroit que tous ses frères canards qui, hier, se moquaient si ouvertement de lui et qui, aujourd'hui, ne peuvent plus que l'envier non moins ouvertement.

Et voilà : « Tout est Bien qui finit Bien ». Sauf que...

Parfois, il arrivait qu'avec mes parents, nous allions nous promener au bord du lac d'Annecy, flâner au bord de l'eau et là, nous nous arrêtions systématiquement pour regarder nager les cygnes. C'est vrai qu'ils étaient « beaux », dans tous les sens du terme : blancs comme la neige, altiers, superbes, d'une élégance princière...

Comment ne pas les admirer, alors, comme l'on admirerait une vitrine de jouets de porcelaine ou de fragiles esquisses de perfection ? ! Plumes et duvets, flocons de rêve, poèmes faits battement d'ailes... En apparence.

Parce qu'au-delà de l'apparence, de sa grâce et de sa beauté, le cygne est un animal colérique, « mauvais » et particulièrement agressif, dont il vaut mieux ne pas s'approcher si l'on ne veut pas recevoir un coup de bec malveillant. Le décalage entre « ce que je voyais » et la réalité m'a beaucoup intrigué. Avec le temps, j'ai fini par me demander : pourquoi la Nature avait-elle créé un animal si beau pour ensuite cacher derrière sa beauté un cœur si noir, si malveillant ? Pourquoi tricher ainsi avec les apparences ? Pourquoi mentir et laisser croire à une infinie majesté pour dissimuler au-delà tant de bassesses ?

Peut-être...

Que c'était une leçon que j'étais censé retenir ? ! Peut-être, au fond, valait-il mieux n'être qu'un vilain petit canard et le rester sa vie entière, plutôt que d'être un cygne en devenir ? ! Peut-être valait-il mieux ne pas être « beau » si être beau, c'était devenir mauvais, et peut-être que ce qui comptait, en définitive, ce n'était pas ce dont on avait l'air, ce que les gens voyaient en nous mais ce que l'on était, au fond de notre cœur ?

Une chose était sûre : je me sentais peut-être comme le vilain petit canard de cette histoire mais jamais, jamais, jamais (au grand jamais), je n'accepterais d'être un cygne.

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Coup de cœur : 8 / Technique : 7

Commentaires :

pseudo : Brestine

Oui, je comprends. Il est vrai que la beauté réelle ne l'est que si elle vient de l'intérieur. On peut être ordinaire ou "un vilain petit canard" et être beau. Heureusement ! Mais qu'est-ce que la beauté au fond ? Je me faisais cette réflexion il y a quelques temps, en pensant aux paysages (je sors un peu du sujet du petit canard...) et je me disais que la beauté n'avait de sens que si elle était perçue. Ainsi, un paysage magnifique de quelques coins désertiques, que l'homme ne fréquenterait pas, ne saurait être beau car il ne serait pas percue. Je crois que la beauté n'est pas seulement dans l'objet, mais aussi dans le regard... Dans ce sens, la beauté serait dans l'homme car il a cette faculté de la percevoir, de l'éprouver...

pseudo : L.

Bien vu, Brestine. La beauté n'a de sens que si elle est perçue, parce qu'au fond, la beauté n'est jamais que perception. Il n'y a rien qui soit beau ou laid, dans l'univers. Les choses sont ce qu'elles sont. C'est l'homme, ensuite, qui distribue les épithètes en fonction de sa sensibilité, ses goûts, son ressenti, son expérience et son éducation. Le beau n'est effectivement que dans sa tête, il n'est qu'une illusion. Une belle illusion, sans doute. Et, par extension, d'une certaine manière, l'idée est prolongée dans l'art : l'art est dans l'esprit du créateur et dans celui qui reçoit l'oeuvre comme telle, mais il n'est pas dans l'oeuvre en elle-même...