Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

D’après un conte célèbre par winther jean

D’après un conte célèbre

Monsieur carré était professeur de mathématiques au lycée Jules Ferry depuis bientôt 18 ans. Ses parents avaient eu la malheureuse initiative de lui donner le prénom Xavier Oscar. Ce qui avait donné l'idée à certains élèves plus doués que la moyenne (il en existe) de le surnommer X2. On peut toujours penser que X. O. Carré avait choisi la carrière des mathématiques pour être en harmonie avec son nom. Mais cette hypothèse n'est pas fondée, aussi nous nous garderons bien de la retenir. En effet avec ce type de raisonnement nous aurions aussi bien pu affirmer que monsieur Carré serait devenu polytechnicien si ses parents avaient choisi Félix comme prénom ou chef de gare si leur choix s'était porté sur Lazare. Nous supposerons, donc que X. O. Carré avait été séduit par la beauté de la mathématique. Cette discipline rebute nombre d'élèves, mais n'en présente pas moins un certain attrait par la pureté, la concision et la rigueur de ses raisonnements. Quoi qu'il en soit X2 qui aurait pu aussi bien se passionner pour le ski nautique, la langue bretonne ou la philatélie avait fait des mathématiques son métier et entendait bien transmettre aux jeunes têtes blondes (et aux autres aussi) son amour de cette science.
Mais revenons au moment présent, il était 7 h 38 min et monsieur Carré franchissait l'entrée du Lycée Jules Ferry, bel édifice réalisé par la troisième République. Il salua d'un petit hochement de la tête, le concierge, monsieur Leblanc, assis derrière la vitre de sa loge. Vous remarquerez comme les choses sont bizarres en ce monde : si je ne vous le précise pas, rien ne vous permet de soupçonner que le concierge est né à la Martinique et qu'il n'aspire qu'à une chose : y retourner après sa retraite après avoir vécu la majorité de son existence derrière les murs de ce lycée du centre de la France.
Malgré son nom Xavier Oscar n'était pas vraiment carré d'épaule, de taille modeste il semblait bien fluet dans son costume gris souris. La silhouette de monsieur Carré était aussi terne que l'était sa vie. Il faut dire que si les mathématiques peuvent procurer de grandes joies à ceux qui les pratiquent, et sans aucun doute fortifier leurs neurones, elles n'ont jamais permis de leur forger un corps d'athlète. Il existe des activités plus appropriées à cet égard, par exemple la gymnastique ou la natation. Vous me ferez remarquer (et vous auriez raison) que les exercices de l'esprit ne sont pas contradictoires avec ceux du corps et que les uns n'empêchent pas les autres, mais dans le cas de X2 il s'était entièrement consacré aux travaux de l'esprit. Cette digression sur l'aspect de monsieur Carré n'a pas vraiment d'importance pour la suite du récit, tout au plus peut-elle donner de l'espoir à de futurs postulants au métier d'enseignant, montrant que les critères physiques n'interviennent pas dans le recrutement des professeurs de mathématiques. Et les examinateurs (même si elles sont des examinatrices...) s'attachent plus aux têtes bien faites qu'aux pectoraux bien développés. Et justement, la tête de X2 était de première qualité. C'est donc plus à la force du cerveau qu'à la force du poignet, qu'après de brillantes études il avait décroché le titre, tant convoité, d'agrégé de mathématiques.
X. O. Carré arrivait donc à la salle des professeurs du lycée muni de sa serviette de cuir. Il ne la quittait jamais. C'était un cadeau que lui avait fait sa femme quand il avait été reçu à l'agrégation. Bien entendu toutes les choses matérielles en ce bas monde sont périssables et on pouvait distinguer sur cet objet familier les stigmates du temps. Il n'empêche que depuis le début de la carrière de monsieur Carré il était le réceptacle des objets qui accompagnent un professeur : les cours, les copies des élèves et l'inévitable cahier où X. O. Carré inscrivait religieusement les progressions de son enseignement dans ses différentes classes et bien sûr les notes des élèves, reflet et cristallisation de l'efficacité de son enseignement après un séjour fugace dans le cerveau des élèves. Nous pourrions nous étendre sur les pertes que subit l'information entre la bouche du professeur et le stylo de l'élève, mais nous ne voulons pas lasser le lecteur (il se reportera utilement pour ce phénomène au théorème de Shannon). Tout au plus, nous voulons attirer son attention sur le relatif confort du professeur de mathématiques par rapport à ses collègues. Les copies de mathématiques ne sont pas d'une folle originalité, mais elles ont au moins l'avantage certain de la brièveté. Le professeur de lettres est astreint à lire de longues dissertations le plus souvent insipides et banales, émaillées de fautes multiples qui ne font plus rire que les lecteurs de « La foire aux cancres ». Les professeurs de sciences physiques doivent gérer une multitude de matériels. À peine une séance de travaux pratiques est-elle finie qu'il faut déjà prévoir la prochaine ! Rien de tel en mathématiques le seul objet matériel que doit maîtriser le professeur de mathématiques c'est le bâton de craie. Son fond de boutique est virtuel et tient à l'aise dans la serviette (vous voyez-nous revenons à la serviette de X. O. Carré). Les professeurs de langues doivent faire parler les élèves. On s'imagine que c'est tout simple, ceux-ci ayant une propension naturelle à le faire. Pas du tout, cette espèce devenant muette quand on essaye de la faire parler sur un sujet qu'elle n'a pas choisi. Et vous pensez, en plus dans une langue étrangère ! En mathématiques il n'y pas cette contrainte. Un stylo ou un bout de craie suffit pour exprimer sa pensée, plus c'est court, mieux c'est.
Il faut ajouter que les professeurs de mathématiques ont dans les établissements un prestige exceptionnel. Ce sont de véritables gourous ! Grand prêtre d'une discipline mystérieuse que les élèves redoutent, mais dont ils mesurent l'importance pour leur avenir. Et toute leur scolarité ils avalent en faisant la grimace, une pincée d'axiome d'Euclide, une cuillerée de théorème de Pythagore, quelques gouttes d'équation du second degré...allez avale mon petit c'est pour ton bien !
Aussi on pourrait penser que monsieur Carré était un homme heureux en se rendant chaque matin au lycée Jules Ferry. Eh bien non ! Bien que persuadé de la supériorité et l'importance de sa discipline il avait vite compris que ce n'était pas l'avis d'une majorité d'élèves. Certes le plus grand nombre était convaincu de la nécessité d'acquérir les rudiments de cette discipline, mais souvent ils ne manifestaient pas une ardeur à la hauteur de l'enjeu. Inévitablement, ils reportaient l'énergie ainsi économisée sur d'autres activités non scolaires dont le bavardage n'est que la partie émergée de l'iceberg. Aussi chaque matin X. O. Carré rentrait dans sa classe avec l'enthousiasme qui lui avait procuré l'oubli (on ne dira jamais l'importance de cette faculté de notre cerveau) et une bonne nuit de sommeil. Mais telle la vague majestueuse venant s'écraser sur une côte rocheuse en perdant son énergie, il retrouvait la dure réalité des choses. C'est, souvent, bien abattu qu'il quittait, le soir, l'établissement.
Ce jour-là était un jour identique aux autres, il pénétra dans la salle des professeurs. C'était un rite auquel il n'aurait jamais dérogé. D'abord, cela lui permettait de saluer les collègues déjà arrivés, d'échanger des banalités, de parler des élèves, de l'administration ou de quelques réformes qu'un nouveau ministre (jurant les grands dieux qu'il n'en ferait jamais) proposait à ses ouailles. On ne le dira jamais assez, le métier d'enseignant est un métier solitaire. C'est une grande solitude d'être au milieu d'une classe. Le professeur est aussi seul que le comédien sur la scène d'un théâtre. Encore que pour ce dernier, le plus souvent, d'autres comédiens sont là pour lui donner la réplique et le public peut manifester par ses applaudissements la reconnaissance de la qualité de son travail. Du comédien, le professeur a les techniques, il peut par sa voix, ses silences, ses expressions corporelles agir sur son public. Mais il ne peut pas comme l'acteur suivre la trame de son texte, ossature immuable de la pièce. Dans une classe tout est aléatoire : les questions, les réactions des élèves, leur lassitude, leur bonne volonté, leur attention, parfois leur hostilité. On croit les connaître puis on s'aperçoit que certains vous ignorent dans les couloirs. La barrière des générations, la relation adulte-adolescent sont autant d'obstacles qu'il est difficile de surmonter.
Vous me direz, il y a l'équipe pédagogique ! Tel le monstre du Loch Ness cette entité surgit dans les établissements. On en parle beaucoup, surtout lors des réunions de parents d'élèves. Elle se présente à eux, apparemment unie, pour disparaître la séance finie. Elle se reforme lors des conseils de classe non pas pour manifester une cohésion, mais pour montrer l'unicité de chaque discipline et parfois leurs antagonismes. Tout ce développement pour expliquer que les endroits et les moments où les professeurs peuvent se rencontrer sont rares. La salle des professeurs et la cantine font parties de ceux-là. Aussi chaque matin monsieur Carré appréciait le passage dans cette salle. D'autant que, c'était également l'occasion pour lui d'ouvrir son casier. Toute sa vie l'homme reste un grand enfant, il aime les surprises. Ouvrir le cadeau apporté par le père Noël ou la pochette surprise du boulanger sont des souvenirs qui marquent une vie. La boite à lettres remplace chez l'adulte ces moments perdus de l'enfance. Le casier Nº 113 de monsieur Carré modeste cube de 50 cm de hauteur était sa pochette surprise. Souvent il était déçu à la vue d'un casier vide. Ce ne fut pas le cas aujourd'hui. Trônant en bonne place, une note du Proviseur rappelant pour la nième fois que les élèves devaient être en classe à 10 h 5 et non à 10 h 10. X. O. Carré haussa les épaules, il avait l'habitude de ces rappels toujours sans suite. Il aurait pu jeter la note de service dans la poubelle, mais il la plaça dans sa serviette, le recto pourrait toujours servir à griffonner l'esquisse d'une démonstration. C'est alors qu'il aperçut une feuille de papier blanc pliée en deux. Intrigué, il la déplia pensant qu'il s'agissait du mot d'un de ses collègues. Sur le papier était inscrit la simple phrase « Si vous voulez changer votre vie allez à l'adresse suivante : trois.vœux.genie.fr ». Sa première réaction fut de froisser le papier et de le jeter à la poubelle. Il s'agissait sans aucun doute d'une blague... un collègue, un élève ? Il sortit de la salle. Dans le couloir il s'immobilisa, la curiosité était la plus forte. Il retourna dans la pièce, prit le papier dans la poubelle, le lissa sur une table et le glissa dans une des poches de sa veste. Sa raison lui dictait d'oublier cette phrase et d'en rire, son subconscient au contraire le poussait à y penser et contacter cette mystérieuse adresse Internet. Il décrocha une blouse blanche sur une patère. Beaucoup de ses collègues officiaient sans blouse, mais lui depuis longtemps avait l'habitude d'enfiler une blouse. Qui a connu les attaques de la poudre de craie sur les habits, les mains et le corps comprend aisément la nécessité d'un instrument de protection. Vous allez me dire que la couleur de la blouse n'a aucune importance. Qu'elle soit bleue, grise ou verte n'ajoute rien à l'efficacité. Mais monsieur Carré pensait qu'une blouse blanche lui donnait une allure scientifique qui sied à un professeur de mathématiques.
La sonnette retentit indiquant le début des cours. Les élèves de la 2ème 3 attendaient dans le couloir, dans un désordre parfait l'arrivée du professeur. X.O. Carré se dirigea vers la porte de la salle 318. Il avait à peine enfoncé sa clé dans le pêne de la porte (pauvres étrangers qui doivent apprendre notre langue) que les lycéens s'agglutinèrent autour du lui, tel un essaim d'abeilles sur un pot de miel (nous aurions pu utiliser une autre expression, mais je tiens à ce que cette histoire garde une certaine tenue). La porte ouverte, ce fut une cavalcade vers les tables. Cette réaction était d'autant plus bizarre qu'en fait chaque élève avait sa place attitrée. Même si vous n'êtes pas professeur vous avez été élève et vous avez sans doute remarqué que la structure spatiale d'une classe est immuable. Quand on laisse les élèves se placer seuls, au début de l'année, ils s'attribuent des places au gré du hasard ou des affinités. Ensuite tout semble figé. Malheur à l'individu qui essaierait de violer l'ordre ainsi établi.
Monsieur Carré ouvrit sa serviette, en tira ses papiers et son cahier de textes où figurait la liste des élèves. Il ouvrit une boite métallique (ayant contenu autrefois des chocolats), en tira quelques bâtons de craie qu'il plaça dans la rainure du tableau encore bien propre en ce début de journée. Puis tel le toréador regardant le taureau dans l'arène il se tourna vers les élèves. Au début de sa carrière, il procédait à l'appel. Il avait vite compris l'inutilité de cette activité. Il avait toujours dans le quart d'heure suivant le début du cours deux ou trois retardataires (le plus souvent chroniques) qui pointaient leur nez à la porte de la classe. Leur faire la morale ou les signaler à l'administration était de l'énergie perdue. Il consacrait plutôt celle-ci à faire cesser les bavardages, ouvrir les sacoches, sortir les classeurs et les livres. Il fallait à chaque fois consacrer au moins cinq minutes à cette opération peu valorisante, mais combien nécessaire ! L'ordre ainsi établi lui permettait d'espérer une vingtaine de minutes d'attention. Et tandis que la mathématique s'écoulait de ses lèvres, il ne pouvait s'empêcher de penser au mystérieux papier trouvé dans son casier. Instinctivement il le tâtait à travers sa blouse. Il avait hâte que la matinée soit terminée. Heureusement, aujourd'hui il terminait ses cours à midi et pouvait retourner chez lui, avant de revenir au lycée l'après-midi.
La sonnerie de la fin de la matinée retentit enfin. D'habitude les élèves étaient les premiers à ranger leurs affaires et à quitter bruyamment la classe. Mais aujourd'hui monsieur Carré qui suivait le déroulement du temps, discrètement, sur sa montre avait déjà rangé ses papiers dans sa serviette, effacé approximativement le tableau, alors que le dernier élève n'était pas encore sorti de la classe. Il ferma rapidement la porte de la salle, dégringola plus qu'il ne descendit les escaliers tout en enlevant sa blouse, accrocha prestement celle-ci dans la salle des professeurs et ne prit même pas le temps de laver ses mains pleines de craie. Par chance, il n'eut pas à attendre l'autobus et arriva rapidement chez lui. Sans prendre le temps de se préparer un repas il se précipita sur son micro-ordinateur. Celui-ci entama la longue litanie du chargement du système d'exploitation (vous remarquerez que nous ne faisons aucune publicité !) que connaissent bien les accrocs de l'informatique. Il se connecta alors sur Internet, déplia fébrilement le papier qu'il avait placé dans sa poche et tapa dans la fenêtre de l'écran l'adresse : « trois.vœux.genie.fr ». Puis il valida. La machine commença à mouliner. Ses yeux étaient fixés sur le bas de l'écran, un message indiquait que le programme recherchait le site. À mesure que le temps passait, son pouls s'accélérait et il sentait la déception le gagner. Cela faisait déjà trois minutes que le micro-ordinateur patinait en vain quand brusquement il afficha : « site trouvé ». Une bouffée de chaleur empourpra le visage de Xavier Oscar Carré. Son cœur se mit à battre violemment. Une image se forma lentement sur l'écran. Il y avait donc quelque chose à cette adresse ! Des étoiles multicolores défilaient sur l'écran et un message apparut : « Bienvenue Xavier Oscar, merci d'avoir répondu à mon appel, je suis un génie, enfermé par un vilain sorcier dans une fiole depuis des millénaires. Se piquant de modernité il a décidé de m'emprisonner dans un microprocesseur.
Tu viens de me libérer. Pour te remercier, je t'accorde trois vœux. Une fenêtre va s'afficher au bas de l'écran. Tapes ton premier vœu je l'exécuterai, oh maître ! »
X2 ne pouvait en croire ses yeux. Une fois de plus, des sentiments contradictoires se heurtaient en lui. Son esprit rationnel lui disait d'éteindre l'ordinateur et d'oublier au plus vite ce qui ne paraissait être qu'une blague. D'autre part, la curiosité qui l'avait déjà poussé à garder le papier l'incitait à poursuivre. Ce fut la curiosité qui fut la plus forte. Il réfléchit longuement. Quel vœu choisir ? L'argent, les voyages, la gloire... ? Monsieur Carré était un homme simple, peu attiré par les choses matérielles. Ses préoccupations étaient d'un autre ordre. Ses mains se posèrent sur le clavier et commencèrent à appuyer sur les touches : « Je souhaite n'avoir que de bons élèves intéressés et motivés ». Il valida le message. Tout s'effaça sur l'écran. Apparu en gros caractères « tu es exaucé oh maître ! ». Puis le micro-ordinateur s'éteignit de lui-même. Xavier Oscar était abasourdi. Tout ceci était bien étrange. Il n'avait pas le cœur à se préparer un repas. Il sortit une boite de sardines et avec un bout de pain qui traînait sur la table il en fit son déjeuner. Il avait hâte de retourner au lycée. Il avait cours à 15 h. Il commença à corriger un paquet de copies. Une interrogation écrite faite hier par des élèves de première. La médiocrité des résultats le conforta sur la légitimité du vœu qu'il avait soumis au génie. Il sourit intérieurement : un génie dans un micro-ordinateur comment lui un homme mûr, agrégé de mathématiques pouvait croire à de telles sornettes ! D'un autre côté dans tout homme il existe une part de mysticisme qui le pousse à croire aux choses les plus insensées. Chez X2 c'est cette face obscure de sa personnalité qui avait pris provisoirement le dessus. La dernière copie corrigée, il inscrivit les notes sur son cahier, plaça, le tout dans sa serviette et retourna au lycée Jules Ferry. Il passa dans la salle des professeurs, constata que son casier était vide, enfila sa blouse et monta rapidement les étages.
Il comprit immédiatement que quelque chose avait changé. Devant la porte de salle 422, les élèves de la classe 1S1 étaient alignés et silencieux. On aurait entendu une mouche voler. Quand il s'approcha du groupe, tous les élèves en cœur poussèrent un « bonjour monsieur Carré ». Interloqué, il leur répondit par un rapide « bonjour ». Il ouvrit la porte. Personne ne bougea. Pour une fois c'est lui qui dut donner l'ordre à la classe de rentrer. Chaque élève se rendit calmement à sa table. X2 posa sa serviette sur la paillasse et en sortit ses affaires. Il constata tout surpris que les élèves restaient debout. Vraiment beaucoup de choses avaient changé ! Il leur dit « assis ». Dans un ensemble parfait, les lycéens s'installèrent, chaque élève sortit son classeur, son livre, sa calculatrice et ses crayons. Monsieur Carré parcourut la salle du regard. Tout le monde était là. Pas un absent ou un retardataire ! Nul bavardage ne venait troubler le silence de la salle. Tels des athlètes immobiles dans leurs starting-blocks chaque élève attendait le début du cours. X2 n'en revenait pas. Comment était-ce possible ? Il avait donc vraiment un génie dans le micro-ordinateur ! Il commença son exposé. Il fit une série de démonstrations. Chaque lycéen notait fébrilement le cours sur son classeur. Des doigts se levaient. Monsieur Carré donnait la parole. Des questions fusaient, pertinentes, intelligentes. Les autres élèves écoutaient. Personne ne venait interrompre l'intervenant. Duchemin leva le doigt. X2 eut un haut-le-cœur. Il connaissait les questions de Duchemin. C'était le pitre de la classe dont la seule raison de vivre était de faire rire ses camarades. Il lui donna la parole. Il n'en crut pas ses oreilles. Duchemin le cancre, le dilettante lui posait une question sur la démonstration qu'il était en train de développer au tableau. Elle était du niveau d'un exposé au Collège de France. Abasourdi, il ne put répondre à la question qui le dépassait. Il s'en tira par une pirouette, en disant ! « Duchemin votre question est intéressante, je n'ai pas immédiatement la réponse je vais y réfléchir ». Et Duchemin qui en temps ordinaire se serait esclaffé bruyamment le remercia poliment. Plus tard, Isabelle Cruchette, petite jeune fille ordinairement plus intéressée par l'entretien de sa beauté que par les mathématiques l'interrompit au cours de la résolution d'une équation et lui dit : « Veuillez m'excuser monsieur, mais je pense que vous faites une erreur, vous travaillez dans l'ensemble des rationnels alors qu'à mon avis il serait plus approprié de travailler dans l'ensemble des complexes » Interloqué X2 bafouilla. Cela faisait des années qu'il faisait cette résolution et jamais un élève ou un collègue n'avait soulevé d'objections à son sujet. Et voilà que Isabelle la remettait en cause. Intuitivement il sentait qu'elle avait raison. Il différa, tout penaud, la résolution et poursuivit son cours. Il en fut ainsi pendant deux heures. Il se sentait déstabilisé et n'avait qu'une hâte que le cours se termine. La sonnette retentit. Personne ne bougea. Le Pellec, le délégué de la classe se leva et lui dit : « monsieur cette partie du cours est vraiment intéressante, mes camarades et moi nous n'avons, pas cours après 17 h. Nous savons que vous avez terminé votre journée. Nous souhaiterions que vous continuiez et que vous nous expliquiez les applications de ces nouveaux concepts ». X2 ne put répondre que positivement à cette demande. Et son calvaire se poursuivit. Il lui semblait que les épreuves orales de l'agrégation de mathématiques n'étaient qu'une partie de plaisir à côté du flot de questions, de remarques, de remises en cause des élèves à propos de son exposé. Il était en sueur, son cerveau bouillonnait. Il sentait qu'il allait craquer. Il ne dut son salut qu'à l'arrivée d'un de ses collègues qui à 18 h venait occuper la salle. Le lendemain et les jours suivants, ce fut le même enfer. Les élèves le bombardaient de questions auxquelles il avait le plus grand mal à répondre (quand il pouvait y répondre !). Le cours terminé il devait les obliger à quitter la salle. Il traversait les couloirs en rasant les murs et en essayant de passer inaperçu, car il y avait toujours un élève qui l'arrêtait pour lui demander une explication ou un travail supplémentaire. Il ne trouvait même pas la paix chez lui. Souvent un élève, ayant obtenu son numéro, lui téléphonait, même à des heures tardives pour lui poser un problème ou lui demander une précision sur une démonstration. Et que dire de la correction des copies ! S'il suivait son barème, il devait mettre un vingt à toute la classe. Il aurait dû même retenir des notes supérieures à vingt tant les démonstrations étaient originales, étayées. Certaines étaient au-dessus de ses capacités. Il en sentait intuitivement la pertinence, mais était incapable de les comprendre. Il advint donc ce qui arrive quand un individu est poussé au bout des capacités. Monsieur Carré se mit à déprimer. Lui qui se rendait chaque jour au lycée avec entrain y allait maintenant à reculons. Les mathématiques qui avaient été une de ses raisons de vivre lui faisaient maintenant horreur. Il maigrissait à vue d'œil, avait un air traqué et ne parvenait plus à trouver le sommeil. Grâce à Dieu sa femme était là. Elle qui avait supporté jusqu'alors la mathématique comme une rivale, presque une maîtresse, constata que son humeur avait changé, qu'il refusait de se lever le matin, qu'il rechignait sur les bons petits plats qu'elle lui préparait. Une nuit, elle entendit Xavier Oscar pleurer, recroquevillé sous les draps. Elle l'interrogea et finalement après beaucoup d'hésitations il consentit à lui expliquer la situation. Qui a dit que la femme est l'avenir de l'homme ? C'est aussi son présent ! Avec le pragmatisme qui caractérise le sexe dit faible, elle lui dit : « Ce que tu peux être bête mon pauvre chéri ! Ton vœu ne te convient pas. Eh bien ! Change de vœu. Tu m'as bien dit que le génie t'avait proposé trois vœux. Contacte-le et propose-lui un nouveau vœu ! ». Monsieur Carré fut interloqué par le discours de sa femme, mais il dut convenir qu'il était plein de bon sens. Rasséréné, il l'embrassa, bondit hors du lit et se précipita sur le micro-ordinateur et l'alluma. Il chargea le site du génie.
Sur l'écran apparut le texte suivant : « Alors, mon bon Xavier Oscar tu as des ennuis ? Tu désires me proposer un nouveau vœu. Aucun problème, parle maître j'exécuterai ! ».
X2 un peu surpris que le génie sache tout de la situation se gratta la tête. Émettre un nouveau vœu d'accord, mais lequel ? Nous l'avons déjà dit, l'argent, les voyages, la gloire n'étaient pas les préoccupations premières. Il eut une illumination. Être proviseur voila le vœu qu'il fallait choisir. N'y avait-il pas dans le lycée, de situation plus envieuse que celle de Proviseur. Plus d'élèves, plus de copies à corriger. Être tranquillement dans son bureau alors que les autres souffraient devant les élèves. Et puis quel plaisir cela doit être de faire la pluie et le beau temps dans l'établissement. Agir à son gré sur les administratifs, les professeurs, les élèves. Se promener dans les couloirs, auréolé d'un silence respectueux. Réprimander les uns, féliciter les autres. Oh oui ! Il allait demander au génie de devenir Proviseur de son lycée. Il tapa son vœu et sur l'écran s'afficha : « Il en sera ainsi maître, tu es maintenant le proviseur du lycée Jules Ferry ».
Inutile de vous dire que X2 passa une bonne nuit, la réalisation de son deuxième vœu avait effacé les angoisses engendrées par le premier. Et c'est d'un pas allègre que le matin il se rendit au lycée. Comme le dit ce bon monsieur de La Fontaine dans l'une de ses fables, il marchait d'un pas relevé. Il ne faisait pas sonner sa sonnette comme le mulet portant l'argent de la gabelle, mais il chantonnait lui d'ordinaire si discret. Il pénétra dans le hall de l'établissement. Monsieur Leblanc, le concierge le salua d'un vigoureux « bonjour monsieur le Proviseur ». Monsieur Carré se dit intérieurement que vraiment la magie a du bon. Il entra dans les locaux de l'administration. Madame Bergamote, la secrétaire du Proviseur était derrière sa table et se leva à son arrivée. X2 se demanda ce qui allait se passer. Elle allait sûrement le reconnaître cela faisait tellement de temps qu'ils se connaissaient. Pas du tout, elle dit « bonjour monsieur le Proviseur, vous avez bien dormi ? ». Il lui tendit la main et répondit : « Très bien madame Bergamote et vous-même ? ». Pas de doute tout fonctionnait parfaitement le génie était vraiment doué. Rassuré, il se mit dans la peau d'un Proviseur.
• Dites-moi, madame Bergamote quel est l'emploi du temps aujourd'hui ?
• À 9 h 30, vous devez recevoir monsieur l'Inspecteur général Mac Adam qui vient inspecter mademoiselle Gladisse en anglais à 10 h dans une classe de seconde.
• À 10 h 5, vous avez rendez-vous avec monsieur l'intendant qui veut vous soumettre le projet du prochain budget.
• Je vous rappelle qu'à 11 h 45 vous avez promis à monsieur le chef des travaux de le recevoir afin de parler des commandes pour le laboratoire d'électronique.
• Les représentants du SSNP (syndicat national des professeurs) ont demandé à être reçus par vous à 12 h 30.
• Que veulent-ils ?
• Ils veulent vous parler de leurs revendications concernant le dédoublement des classes de langue, la limitation des effectifs à 25, la création de cours de soutien en mathématiques et en sciences physiques.
• C'est tout !
• Non ils veulent également évoquer la situation des professeurs d'éducation physique qui se plaignent de ne pas pouvoir accéder suffisamment au stade et des professeurs de sciences physiques qui veulent acheter de nouveaux micro-ordinateurs
• C'est terminé ?
• Pour les délégués syndicaux oui ! Je vous rappelle qu'à 13 h 30 vous devez déjeuner à la cantine avec le maire de la ville.
• À 14 h 30, vous êtes attendu au Rectorat pour assister à une réunion sur le problème de la drogue dans les établissements scolaires.
• À 16 h 30, madame Jocelyne de La Mare présidente de l'association des parents d'élèves a demandé à vous rencontrer pour vous parler de la cantine.
• Que se passe-t-il ?
• Les élèves se plaignent, trop de choux de Bruxelles pas assez de frites !
• Et pour terminer la journée, vous commencez les conseils de classe. À 17 h le conseil de la seconde 1, à 19 h le conseil de la seconde 2.
• Voilà une journée bien remplie !
• Vous avez l'habitude, monsieur le Proviseur ! En attendant l'arrivée de monsieur l'Inspecteur général, je vais vous soumettre le courrier arrivé ce matin.
• Faites, faites madame Bergamote.
• Le Rectorat envoie un bordereau à renvoyer dans deux jours. Il faut y inscrire le nom et les prénoms des élèves de l'établissement présentés en juin au baccalauréat ainsi que les notes obtenues dans les diverses disciplines.
• Vous avez aussi une circulaire du Ministère qui vous demande de remplir une enquête concernant l'origine sociale des élèves des classes de seconde. À renvoyer dans 10 jours.
• Une lettre de monsieur le Président du Conseil général qui vous rappelle que la réunion du conseil d'établissement aura lieu à 20 h lundi prochain et qui vous demande de rédiger l'ordre du jour et de lui envoyer.
L'énormité de la tâche qui l'attendait commençait à troubler l'esprit de monsieur Carré.
La fonction de Proviseur lui semblait déjà moins idyllique.
• Il est 7 h 45 monsieur le Proviseur vous devez aller dans le hall d'entrée pour la rentrée des élèves.
• Ah oui ! J'y vais !
X2 se plaça devant la loge du concierge. Déjà les premiers élèves pénétraient dans l'établissement. Tel un troupeau de bovins ils se poussaient pour franchir l'unique porte. Ils n'étaient nullement gênés par la présence du Proviseur. Il aurait été transparent que cela aurait été pareil. C'est à peine s'ils ne le bousculaient pas au passage pour se diriger plus vite dans les couloirs. De temps à autre, un professeur arrivait à se glisser dans le flot des lycéens. Certains le saluaient, d'autres passaient la tête basse sans un regard. Le moral de monsieur Carré descendit encore d'un cran. Vraiment il réalisait que le prestige, auquel il auréolait la fonction de Proviseur n'était plus d'actualité. Ce n'était qu'une réminiscence de ses souvenirs de potache. La sonnerie annonça le début des cours. Quelques lycéens arrivèrent en courant et pénétrèrent dans l'établissement. Il en arrêta un, trois autres filèrent en courant dans les couloirs.
Désabusé, monsieur Carré retourna à son cabinet. Madame Bergamote avait placé sur son bureau le bordereau du Rectorat ainsi que les documents nécessaires pour le remplir. Cela faisait cinq minutes qu'il s'attelait péniblement à ce travail que son téléphone sonna. C'était le principal du collège voisin qui souhaitait organiser une visite du lycée pour ses élèves de troisième. Le rendez-vous pris, il raccrocha et reprit son pensum. Le téléphone sonna à nouveau c'était le médecin scolaire qui voulait lui parler des menus de la cantine.
Il en fut ainsi toute la journée. À chaque fois qu'il espérait avoir un peu de tranquillité dans son cabinet, c'était un professeur qui souhaitait le rencontrer, un coup de téléphone qui mobilisait son attention, sa secrétaire qui avait besoin de ses compétences. Monsieur Carré commençait à déchanter, le poste de Proviseur n'était pas aussi enviable que cela. Chaque jour il rentrait un peu plus tard chez lui. Même à la maison il ne pouvait plus être tranquille. Il devait emporter avec lui le travail qu'il ne pouvait terminer au lycée. Lui qui avait espéré quitter les élèves devait affronter maintenant l'administration, les professeurs, les élèves, les parents d'élèves et d'autres interlocuteurs variés. Au bout d'une semaine, il avait maigri de cinq kilos, ses traits étaient tirés. Il se promenait l'air hagard dans les couloirs. Sa femme le voyant changer à vue d'œil commença à s'inquiéter. Un soir qu'il rentrait la mine blafarde, les épaules voûtées elle l'interpella :
- Xavier qu'as-tu ? Tu ne parles plus, tu ne manges plus, tu remues sans cesse et tu parles en dormant !
- Je suis à bout, vraiment la fonction de Proviseur ne me convient pas je sens que je vais craquer !
Avec son sens pratique toujours affirmé, elle dit :
- Mon pauvre ami, tu es toujours aussi bête. Ce n'est pas le poste de Proviseur qu'il fallait demander comme deuxième vœu. Tu es vraiment un gagne-petit, tu n'as pas d'ambition !
- Mais que devais-je souhaiter ?
- Plus haut bien sûr, il est évident qu'un Proviseur est toujours au contact des élèves, des professeurs, des parents. Ce n'est qu'un petit chef !
- Alors, j'aurais dû demander à être Inspecteur général ?
- Mais non ils sont eux aussi sous la coupe de l'Administration !
- Mais alors quoi ?
- Tu ne vois pas ?
- Non !
- Qui est tranquille et fait la pluie et le beau temps dans l'éducation ?
- Je ne vois toujours pas !
- Tu n'as vraiment aucune imagination. Toi à part tes maths. Ministre bien sûr.
Ministre de l'Éducation nationale. Voilà une place en or. Tu décides de tout, tu as un bureau magnifique et une voiture avec un chauffeur.
- Tu as raison. C'est que je vais faire !
Soulagé, il l'embrassa, et se précipita sur le micro-ordinateur qu'il alluma. Il chargea le site du génie.
Sur l'écran apparut le texte suivant : « Alors mon bon Xavier Oscar tu as encore des ennuis ? Être Proviseur ne te convient pas ! Tu peux me proposer un nouveau vœu. Mais attention c'est le dernier. Cela sera irrémédiable. Réfléchit bien ! Parle maître j'exécuterai ! ».
X2 n'eut aucune hésitation, le discours de sa femme l'avait convaincu. Il tapa sur le clavier : « Je veux être Ministre de l'Éducation nationale »
L'écran afficha : « c'est ton dernier mot »
Il répondit « c'est mon dernier mot Génie »
Sur l'écran s'afficha : « Il en sera ainsi maître, tu es maintenant Ministre de l'Éducation nationale ».
« Adieux X2 et merci de m'avoir libéré du microprocesseur ».
Tout guilleret monsieur Carré ferma le micro-ordinateur et dit à sa femme :
- Tout est arrangé, je suis ministre, le génie me l'a dit ! »
Inutile de vous dire qu'il dormit cette nuit-là comme un ange. C'était comme une nouvelle naissance. Il se leva en pleine forme et même chanta en se rasant lui qui n'était pas coutumier de la chose. À 9 h 30, on sonna à la porte. Il alla ouvrir. Un homme habillé d'un costume bleu foncé le salua.
- Bonjour monsieur le Ministre, avez-vous bien dormi ? Je viens vous chercher comme convenu pour aller au ministère.
- J'arrive !
Monsieur Carré alla mettre son manteau. Ayant maintenant pleine confiance dans le génie il avait déjà enfilé son plus beau costume. Un ministre cela doit être bien habillé n'est-ce pas ! Il les voyait souvent défiler sur les marches de Matignon, vêtus comme des milords. Et quand ils passaient dans le journal de TF1, en gros plan, il pouvait admirer la qualité des tissus. Certes son costume ne pouvait encore rivaliser, mais c'était une question de temps. Comme il était maintenant ministre, il aurait une paye de ministre qui lui permettrait de renouveler sa garde-robe.
Une magnifique 607, noire, rutilante l'attendait devant l'entrée de son immeuble et c'est devant les yeux incrédules de sa concierge qu'il monta à l'arrière après que son chauffeur lui eut ouvert la porte. Deux gendarmes motorisés attendaient devant le véhicule. Quand il fut installé, ils démarrèrent en trombe suivie de la voiture. Ah ! Quelle griserie de pouvoir parcourir les routes à vive allure ! Plus de limitations de vitesse. Au diable les radars et les bouchons. Ils arrivèrent rapidement en vue de la capitale. Traverser les rues Paris, au son des sirènes, est un rêve. Fini les feux tricolores toujours au rouge, les encombrements, les embouteillages. Son escorte motorisée faisait écarter à grands coups de sifflet la valetaille qui s'obstinait à boucher le passage du ministre. X2 se dit que cette fois-ci il avait fait le bon choix. Il faudrait qu'un jour il se rende avec cet équipage dans son lycée. Il se réjouissait à l'avance des courbettes de son Proviseur, de la tête de ses collègues le voyant ainsi promu ministre.
La voiture déboucha rue de Grenelle, s'engouffra dans le ministère et s'arrêta devant le perron. Le chauffeur sortit prestement et lui ouvrit la portière. Un homme en costume gris, aux cheveux poivre et sel, plaqués sur le crâne l'attendait en haut du perron. Monsieur Carré ne l'avait jamais vu et pourtant il savait que c'était son chef de cabinet (on peut vraiment dire que le génie était un génie). Il connaissait même son nom : monsieur Hubert Martin Périssol de Lamotte. Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'ENA, professeur d'Université, ancien Recteur de l'Académie de Marseille (une grosse tête quoi !). Arborant son plus magnifique sourire il s'élança vers X2 la main tendue :
- Avez-vous fait bon voyage, monsieur le ministre ?
Il accompagna à son bureau. Tout en montant les escaliers du ministère, X2 admira les photographies des différents ministres qui l'avaient précédé dans cet auguste bâtiment. Il fut tout ému de voir la sienne à la suite. Le photographe l'avait photographié dans une pause martiale regardant légèrement vers la droite comme pour apercevoir l'avenir brillant de l'Éducation nationale. Vraiment le génie avait bien fait les choses !
Quand il pénétra dans le bureau ministériel, monsieur Carré se sentit tout petit. L'expression « les Ors de la République » prenait pour lui tout son sens. Un instant interloqué, il se ressaisit et en prenant un air naturel il alla s'asseoir derrière l'immense bureau placé devant la fenêtre à travers laquelle on pouvait apercevoir un parc. Quand il fut assis, le chef de Cabinet lui dit :
- Monsieur le Ministre, je tiens à vous remercier de m'avoir choisi pour diriger votre Cabinet, je vous assure de mon total dévouement. Je mets l'expérience que j'ai dans le domaine de l'éducation entièrement à votre disposition.
X2 pensa : « si tu savais mon pauvre vieux que je n'y suis pour rien, c'est le génie qui a tout fait ! ». Il s'appuya sur le fond du fauteuil et relevant la tête d'un air docte comme il sied à un ministre il répondit :
- Ce n'est rien, mon petit Hubert, vous voudrez bien que je vous appelle par votre prénom, c'est ainsi que j'ai l'habitude de faire avec tous mes collaborateurs. Votre compétence m'est connue de longue date et je ne pouvais faire meilleurs choix.
- Merci monsieur le ministre, j'accepte volontiers que vous m'appeliez par mon prénom, moi aussi j'aime la simplicité !
- Bien, bien ! Commençons à travailler nous avons du pain sur la planche.
- Effectivement monsieur le ministre. Je vous écoute, quelles sont les grandes lignes de votre politique ?
Monsieur Carré fut un peu pris de court par cette question. En vérité il n'avait pas réfléchi à cette responsabilité qui incombe à un ministre de l'éducation nationale. Une lueur traversa son cerveau. En tant que professeur il avait longuement réfléchi et avait son opinion sur de nombreux domaines de l'éducation. Maintenant qu'il était ministre, c'était le moment de mettre ses idées en application.
- Hubert, je veux mener une politique plus volontariste au niveau des sciences !
- Oui monsieur le ministre, laquelle ?
- Tout d'abord, je souhaite doubler les horaires d'enseignement de mathématiques de la sixième à la classe terminale.
- Bien, monsieur le ministre, j'en prends bonne note. Ensuite ?
- Je double également le coefficient des mathématiques dans tous les baccalauréats.
- Bien !
- Je rétablis le redoublement obligatoire du CP jusqu'à la terminale en cas de moyenne annuelle inférieure à 10.
- D'accord, c'est noté !
- Je décide qu'au 25e élève toutes les classes seront dédoublées.
- C'est tout ?
- Non, je veux aussi revaloriser les voies professionnelles et pour cela les élèves qui entreront dans ces filières bénéficieront d'une bourse d'études et d'une garantie d'embauche à la sortie.
- C'est parfait ! Est-ce terminé monsieur le ministre ?
- Non, à l'époque de la constitution de l'Europe je trouve que l'enseignement des langues est insuffisant en France. Aussi je décide que cet enseignement débutera dès la maternelle avec un horaire qui ne pourra être inférieur à 3 heures. De plus tout élève, de terminale, devra avoir fait un séjour d'au moins six mois complets dans un pays étranger.
- C'est tout monsieur le ministre ?
- Pour l'instant oui !
- Devons-nous continuer les actions entamées par votre prédécesseur, à savoir la lutte conte l'analphabétisme, la violence en milieu scolaire,... etc. ?
- Bien entendu, elles ne sont pas antinomiques avec ma politique !
- Parfait monsieur le ministre, je prends toutes les dispositions nécessaires pour que les orientations que vous avez décidées soient mises en oeuvre. Je prends contact avec les directions et services concernés et je fais rédiger un communiqué de presse.
Monsieur Hubert Martin Périssol de Lamotte ferma son classeur et quitta le bureau.
X2 allongea ses jambes et poussa un soupir de bonheur. Vraiment, se dit-il, c'est génial d'être ministre (il pouffa intérieurement du jeu de mot qu'il venait de faire).
Mais les jours suivants furent moins idylliques...
Quand les doyens des inspections générales et les représentants des associations de spécialistes des autres disciplines apprirent qu'il venait de doubler les horaires des mathématiques, ils demandèrent à être reçus par le ministre. Ils développèrent tous des arguments si justes et si péremptoires que « monsieur le ministre » ne put que doubler les horaires du français, des sciences physiques, des sciences et vie de la terre, des langues, de l'histoire et de géographie... Son chef de cabinet lui fit remarquer, gêné que l'horaire du collégien moyen était doublé !
Après cette annonce par la presse il fut bombardé de demandes d'audience des associations de parents d'élèves qui voulaient défendre les loisirs de leurs chérubins et leurs week-ends passablement écourtés par cette réforme. Il faut dire qu'il avait été nécessaire de rallonger la semaine des potaches et écourter passablement leurs vacances.
X2 commença à trouver que finalement la position de ministre n'était pas si enviable que cela.
Ayant voulu imposer l'anglais pour tous les élèves il dut subir les récriminations des germanistes (comment ! cette langue est le plus parlée en Europe), des hispanisants (Vous réalisez ! C'est l'une des plus répandues dans le monde et elle ne cesse de progresser), des arabisants (Monsieur le ministre il faudrait prendre en compte c'est l'une des plus grandes communautés françaises et cette langue est parlée en Afrique et en Asie).
Monsieur Carré était à bout. Il aurait voulu s'enfermer dans son bureau, mais ce n'était pas possible, en tant qu'homme public il devait recevoir chaque groupe constitué.
C'est alors qu'il reçut un coup de téléphone du Premier ministre :
- Allô ! Mon petit Carré c'est monsieur Jean Louis Chasolfoi.
- Oui ! Bonjour monsieur le Premier ministre !
- Ah ! Mon petit Carré vous savez comme j'apprécie votre action au ministère de l'Éducation nationale. Mais vous me donnez beaucoup de soucis. !
- Lesquels ? Monsieur le Premier ministre !
- Je reçois beaucoup d'appels téléphoniques concernant l'horaire hebdomadaire des collèges et des lycées. Des parents hauts placés se plaignent de la charge de travail de leurs enfants. Et puis monsieur Lepèze, le ministre des Finances n'arrête pas de me harceler, une augmentation des horaires et le dédoublement des classes entraînent un recrutement massif de professeurs.
- Cela lui coûte de l'argent et vous le connaissez, il n'aime pas cela.
- Et puis quelle est cette manie de vouloir enseigner des langues dés le primaire, les professeurs des écoles ont déjà assez de mal à enseigner le français et les mathématiques !
- Depuis que vous avez décidé de revaloriser les voies professionnelles, il n'est pas un jour que je ne reçoive un coup de téléphone du Président du MEDEF. Les patrons ne sont pas d'accord pour embaucher nos élèves à la sortie de leurs études.
- Cela ne les intéresse pas qu'ils soient plus diplômés et qualifiés. Il faut alors mieux les rémunérer. Moi-même j'ai assez de souci avec mes millions de chômeurs, arrangez-vous pour que tous les élèves fassent de longues études et rentrent le plus tard possible dans le monde du travail.
- Vous allez remettre de l'ordre dans tout cela je compte sur vous mon petit Carré !
- Eh puis bravo ! Pour vos actions je vous soutiens entièrement !
Quand le Premier ministre eut raccroché, X2 s'affaissa anéanti dans son fauteuil.
Dès lors, la vie de monsieur Carré fut un enfer. Jamais il ne s'était senti aussi seul. Il ne voulait plus recevoir personne dans son bureau, il se faisait apporter ses repas et ne rentrait plus chez lui, il dormait en chien de fusil sur un canapé. Il avait dit à sa femme qu'il était en déplacement ministériel dans les pays francophones d'Afrique. Ses collaborateurs qui le voyaient dépérir à vue d'œil rentraient le moins possible dans le bureau ministériel afin de ne pas subir sa mauvaise humeur chronique. Son désespoir était total, il savait qu'il ne pouvait plus compter sur le génie du microprocesseur et il regrettait amèrement son dernier vœu. Ne voyant aucun moyen de s'en sortir, il résolut d'en finir. Il décrocha un des cordons qui maintenaient les superbes rideaux dorés d'une des fenêtres. Monta sur son fauteuil, fit un nœud coulant avec le cordon, en attacha une extrémité sur le lustre en cristal de la pièce. Il redescendit, poussa le bureau de façon à dégager le sol sous le lustre. Remonta sur le bureau, enfila la boucle autour de son cou. Il pensa : « adieux ma chère femme, adieux mes enfants pardonnez-moi, mais cette épreuve est trop dure pour moi ! ». Il regarda une dernière fois les arbres du parc et s'apprêta à sauter. À ce moment le micro-ordinateur de son bureau s'alluma brusquement. Il suspendit son geste et sur l'écran apparu le message suivant : « Ne fait pas de bêtises Xavier Oscar il n'est jamais trop tard ! Tu m'as libéré du microprocesseur. Je t'en serais éternellement reconnaissant. Tes trois vœux furent des erreurs, mais cela ne mérite pas la mort du pêcheur. Que cela te serve de leçon ! Tu es maintenant redevenu, monsieur professeur agrégé de mathématiques au lycée Jules Ferry. Bonne chance maître. ». Puis le micro-ordinateur s'éteignit. X2 enleva le cordon et descendit du bureau. Il sortit de la pièce. Les gens qui le rencontraient ne semblaient pas le reconnaître. Il quitta le ministère.
Le lendemain à la première heure il était au lycée. Jamais il n'avait apprécié autant, de parler avec ses collègues dans la salle des professeurs et les couloirs. Il aurait presque embrassé son Proviseur planté devant la porte d'entrée. Et quand débuta son premier cours, il pleura presque de joie quand Duchemin posa une question débile qui fit rire toute la classe.
Il reste maintenant à chaque lecteur d'écrire une morale à cette histoire. La plus évidente bien entendue est qu'il vaut mieux ne pas acheter de micro-ordinateur et aller se promener dans la campagne. Mais qui nous dit que l'on ne rencontrera pas au détour d'un chemin un lutin malicieux prêt à nous conduire dans une histoire aussi incroyable !

 

 

 

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par winther jean | Voir tous ses textes | Visite : 651

Coup de cœur : 15 / Technique : 9

Commentaires :