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Le divan rouge. par sOw

Le divan rouge.

Le divan rouge.

kimdeps@hotmail.com

Ce fut durant le mois d'avril 1996 que je reçus la première lettre de Geneviève Bassano. Elle avait écrit mon adresse de façon maniérée, avec des boucles inutiles de première de classe. Le résultat faisait bel effet. Cette concentration esthétique était cependant inutile, comme bon nombre de personnes, elle avait commis une faute à mon nom. Je l'imaginais penchée sur son vieux bureau, la langue pointue de bonne volonté lui dépassant au coin des lèvres. Elle avait voulu si bien faire, pauvre femme. Mais il n'en restait pas moins un r incongru... Je m'appelle Eersterrval par ma mère, Kermareck par mon père, et Geneviève, dans un souci évident que l'on ne me confonde pas avec mes voisins avait tenu à tout préciser. C'est vrai qu'entre les Martin du premier et les Denys du rez de chaussée, l'erreur était facile. La lettre était donc adressée à Mademoiselle Anna Kerrmareck- Eersterrval. Je riais. Je l'imaginais, si laide et si seule à présent. Et cela me procurait une consolation amère. Parce qu'au fond de moi, cette lettre n'était pas rien. C'était une angoisse, lascive et puissante comme le sont les pensées insensées. Geneviève Bassano. Elle devait avoir plus de 75 ans à présent. J'étais sûre qu'elle n'avait pas hésité avant de m'écrire. Je savais que ses mots seraient parfaits. Je savais qu'ils atteindraient leur but .Le plus sage était donc de m'en débarrasser. Je repensais à maman. Elle était morte maintenant, depuis peu. Mais son bras droit était toujours vivant semblait-il. De la tombe, ma mère se levait, son regard se matérialisant sur papier, me clouant à nouveau dans le rôle que j'avais refusé. Je sentais cette enveloppe vibrer entre mes mains. Attirée par cette envie trop forte, je sombrai...

Chère Anna,

Ce matin encore je me suis rendue au cimetière. La tombe de votre mère est splendide. Les employés des pompes funèbres ont fait un travail remarquable, et la photo que j'ai choisie est si belle. Je me souviens l'avoir prise lors d'une de nos journées à deux. Je sais que nous avions beaucoup ri. Votre mère, Anna, méritait beaucoup. La vie n'a pas été tendre avec elle. Si je dois vous parler de vous-même, qui avez été une déception, ne le cachons pas, ou des trahisons qu'elle a eues à subir... D'ailleurs je ne le puis. J'ai trop de respect pour ma chère Emily. J'ai été son soutien dans la vie Anna.

Maintenant, je suis seule, et je me découvre amère. Pour moi, à l'heure d'aujourd'hui, vous êtes, et ce depuis que je vous connais à vrai dire, une véritable indécence. Vos comportements m'ont toujours ulcérée, et je vous dirai que votre mère ne les approuvait guère. Vous avez brisé son cœur Anna. Bien que votre père, cet immonde noceur l'aie également trahie, il l'a fait d'une manière convenable, notez bien là le jugement que je porte, il est le reflet de vos actes immondes. J'ai prié pourtant. J'ai prié pour la protéger de vous. Mais cela n'a pas suffi faut- t-il croire. Je vous revois, il y a de cela 15 ans. Vos prétendues idées pour changer le monde. Le monde n'a pas à être changé Anna. Il faut aimer sa famille, et lui être dévouée. Votre père était là, lui. Il lui a tenu la main. Une chose me réconforte cependant. Jamais dans sa fièvre, elle n'a prononcé votre nom. J'y vois une consolation, une preuve qu'après tout, votre ingratitude avait fini par payer. Votre mère est morte sans vous avoir enfantée. Cette lettre, Anna, n'a qu'un seul but. Je vous demande de tenir compte de ces faits, de les prendre au sérieux, et de ne jamais chercher à venir au cimetière. Votre place n'y est pas, car seuls les enfants fidèles ont le droit de se reposer auprès de leur Mère.

Geneviève Bassano.

Je pleurais je crois bien. Elle avait réussi. Elle avait ouvert la porte. Celle des erreurs, des innocences innommables, des dangers délicieux de mon adolescence. Elle n'avait pas tort j'imagine. J'avais été égoïste. J'avais tout volé à ma mère, sans cependant rien lui prendre... Pouvait-elle le comprendre ? L'avait- t-elle compris ?

Geneviève Bassano n'était rien, intendante du domaine dont ma mère avait hérité à la mort d'un oncle inconnu. J'avais 17 ans à l'époque. Et je vivais dans l'ombre de parents magistraux. L'un comme l'autre, ils représentaient ce qui n'existait plus. Intelligentsia en voie de mort certaine, autre siècle, autres mœurs, et ce, sans aucune forme de prétention. Ils étaient juste fascinants. Geneviève Bassano, comme tout leur entourage, avait voulu sa part. Elle ne savait rien. Juste maman. Juste moi. Juste Charles.

C'était la vérité. Charles. C'était lui le lien, le seul qu'il y ait eu. Charles était le fils d'amis de mes parents. Il n'entendait rien à la vie de bourgeois que ceux-ci menaient, et se contentait de promener sa suffisance et son air de blessé au long de résidences d'amis, de parentés. Geneviève. Vous êtes sotte. Me blâmer ? De quoi ? De peur de blâmer votre unique Amour n'est ce pas ? Ma mère ne vous aimait pas. Pas comme vous. Et, je peux même vous citer des soirées entre amis où elle vous imita, pour amuser une galerie réjouie.Charles, comme tous les hommes qu'elle désirait, fit l'amour à ma mère. Je n'en conçus rien. Je vivais comme une ombre, et cela depuis que l'enfance m'avait ôté ma mignonne apparence, et que désormais, je me balançais au bout d'un corps de femme que je ne savais porter. Mais, vint le jour, où pour une fête mondaine, mes parents s'en allèrent. Pas pour bien longtemps, mais le destin peut s'avérer rapide. J'avais été malade, et après une nuit douloureuse, ma tête m'élançait encore. C'est peut être pour ça que je suis sortie. J'ai erré, j'ai voulu aller à l'étang. Je me souviens avoir marché, le cœur battant mes tempes, les larmes qui coulaient, il faisait chaud. Et je suis tombée. La terre est tombée. L'eau m'est tombée dedans, et je l'ai respirée. Au début, j'ai aimé. Cette ivresse semblait tellement forte. Du vert, du vert qui rentrait en moi, qui se jetait sur moi, me mangeait, me pénétrait. Quelqu'un voulait de moi. Et je me suis laissée faire.

Je me suis éveillée. Déception. Curiosité. Lit blanc chauffé par une persienne sale. Un peu plus loin, un divan de velours rouge. Cabossé, baleine éventrée. Je suis la naufragée d'un îlot poussiéreux. Je suis où ? Les questions viendront plus tard, car je retombe ...Vapes enfiévrées accueillez moi.

Une main. Je ne rêve pas ! Il y a une main sur ma joue ! Je n'ose ouvrir les yeux, de peur de tomber sur un ermite défiguré, ou un violeur affamé ! Mais le contact est doux, gentil, émouvant. La main est froide et longue, une aile d'oiseau blessé. J'ouvre les yeux. La lumière m'éblouit, mais vite, je reconnais Charles. Il me regarde sans parler, son menton calé sur son genou. Il attend à présent que je m'explique, il va me réprimander, le dire à maman. Je suis gênée bien sûr, vu la chemise en lin que je porte, il m'a déshabillée ! Je rougis, devant cette situation. Mais lui ne semble pas troublé. Il me regarde toujours. Impertinent, étonné, un peu amusé peut-être. Je baisse les yeux, et je pleure. Je me trouve idiote. Il va voir que je suis une petite fille. Je sanglote, de plus en plus, je tremble de honte. Je veux me lever ! Mais les mains de Charles m'attrapent les poignets, et me couchent sur le lit, il passe ses bras autour de moi, et m'enlace. Je pleure sur lui. Sur sa chemise blanche, dans ses cheveux sombres...Il ne dit rien. Mais il est là.

J'avais 16 ans cet été là, nous étions en 1977. Le lendemain, il était parti, j'avais quitté la maison, et tout semblait avoir changé. Les années 80 pointaient à l'horizon, et j'étais bien décidée à les célébrer. Je me sentais forte. Animée, vivante. J'avais pris ma décision, j'allais partir. C' était mon tour, mon tour de jouer. C'était enfin le moment de quitter la case prison pour m'en aller sur les autres avenues. Pas un regard, pas un adieu. Une lettre, c'est ce qu'on fait de mieux, pas vrai Geneviève ? Mon vrai rêve, était de tout connaître, j'avais vécu jusqu'à présent dans un monde où les adultes suintaient la luxure vulgaire, pseudo poétique, mais ridicule. Moi je voulais le monde sans détour. Je voulais faire l'amour à l'arrière d'une voiture, sans satin, sans discours, sans avoir honte d'en avoir envie. Je voulais voir Charles aussi. C'était même ma plus chère priorité. Je voulais Charles.

Mais ce fut Paris. Paris qui m'appris tout. Les gens t'aimaient très vite, on fumait de l'herbe, on riait, on dissertait, et on se saoûlait. On transformait le monde en boulettes de papier. Je n'avais pas de nouvelles de ma famille. Me cherchaient- t-ils ? S'étaient-ils aperçu que je n'étais plus là ?

Deux ans avaient passé, c'aurait pu être une vie. Peu à peu, les choses changeaient. La drogue devenait trop dure, l'alcool pas assez fort, et l'amour sans amour. Je me détachais de ceux qui m'avaient acceptée, entraînée non pour moi, mais pour sembler moins seuls. Et le destin reprit. J'étais seule à nouveau, pleine de cicatrices, de bons points, de coups bas, d‘expériences tentées. Il pleuvait ce jour là, pourtant c'était l'été. Et il était là. Couché, à cheval sur la mort, Charles me revenait de loin. Mais pas trop loin, « Je peux te sauver, je peux te remercier, je peux t'aimer, je peux te comprendre, tu m'as compris, je te veux, ne meurs pas, je veux pas, pas ici, pas maintenant, laisse moi être avec toi... » Et au prix d'un énorme effort, je le traînai jusqu'à ma chambre sous les toits. Celle que je louais. Elle avait une persienne, et un divan rouge légèrement cabossé... Je me plaquais à lui, lui donnant ma chaleur, le suppliant de vaincre ses démons intérieurs. Comme il en avait été de même, quelques années plus tôt, nous étions réunis dans notre vide intérieur. Je voulais le nourrir, le serrer plus fort. Cela dura 2 jours, et finalement, il ouvrit les yeux, et on se serra encore, maladroitement. Il n'était ni fier, ni joueur, ni distant, ni beau parleur. Il savait que je venais de lui sauver la vie.

Simplement.

Comment expliquer ce qui nous liait ? On se parlait peu, on se contentait de se regarder vivre, il me connaissait bien, un peu trop à mon goût et je le découvrais. Je crois qu'on se fascinait, on s'aimait sans vouloir se briser. Sans vouloir se consommer ? Ma mère, dès qu'elle avait appris l'accident de Charles s'était manifestée. Il me l'avait confirmé, ils se voyaient encore. Mais jamais maman, ne pénétra notre antre, notre chambre sous les toits, notre amour indicible. Il était mon frère, mon amant, ma famille, il était le monde, la route, le certain, les pierres sur le feu qui éclairait notre route. Chaque nuit passée ensemble, nous serrant dans nos bras, nous aida à guérir. Et puis vint le jour, où nous étions prêts. Plus de blessures. On savait que quoi qu'il arrive, nous serions la réponse, et de se savoir exister ailleurs, si pareils à nous- mêmes, rien ne pouvait nous arriver. Et nous finirions bien par nous retrouver. Ainsi, s'il retourna chez ma mère, je ne m'en offusquai pas. Je savais qu'elle n'était pas son âme sœur. Moi j'étais la sœur de son âme, alors la belle affaire !

Les années suivirent, je mis ma fille au monde en 1985, mais son père mourut cette même année, fusillé sur le parking d'un hypermarché. J'avais créé ma vie, une boutique, une pension de veuve, de quoi vivre en somme. Je savais Charles autour du monde, je savais maman malade.

Et nous étions aujourd'hui, ma fille belle et forte, moi et mon passé. Maman morte. Papa parti. J'avais 35 ans, l'impression d'en avoir le double.

J'étais seule, ma fille, mon amour, partie, pour les vacances. Je pleurais sur mon canapé rouge. La pluie battait dehors, et que pouvais -je faire ? Broyer maman, Geneviève Bassano, les laisser reposer dans la même tombe à jamais ? Le vent semblait d'accord, il souffla une bourrasque qui emporta la lettre dans les eaux du passé.

J'ouvris une bouteille et trinquai à nous tous, à Charles, à moi, aux souvenirs passés dont je me séparais. A ta santé amour ! A notre liberté !

Ce fut durant le mois d'avril 1997 que je reçus la deuxième lettre de Geneviève Bassano, mais ce qu'elle racontait, je ne l'ai jamais su.

 

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Coup de cœur : 19 / Technique : 12

Commentaires :

pseudo : Minotaure

Très fort, j'en ai encore la gorge serrée. Belle écriture, bravo.

pseudo : morgel

tu as une belle imagination et ce texte est superbe.tu as sue me captivée par l'émotion que tu y a mis!

pseudo : charlotte

je trouve ça très joli!félicitations!

pseudo : BAMBE

Une sacrée tranche de vie, une histoire qui tient en haleine, une écriture fluide, un beau texte en somme.