Si, depuis toujours, je mets un point d'honneur à défendre la langue française, le "bon français", comme on dit, avec ses racines latines, il se trouve que je viens par hasard de tomber sur quelques articles anciens qui en parlent justement. Et en des termes qui feront sans doute plaisir à tous ceux qui ont du mal avec notre belle pratique orthographique...

Extrait d'un article paru dans le Nouvel Observateur en date du 6 septembre 1985

Ecrire un texte selon sa fantaisie et en n'en respectant pas l'orthographe... La norme orthographique, on le sait, s'est imposée tardivement (à la fin du 18è siècle) et madame de Sévigné ou Voltaire auraient peut-être eu du mal à obtenir leur certificat d'études ! Aujourd'hui, l'orthographe, qui est une région sensible de la langue, donne toujours lieu à des querelles passionnées. Il faudrait pourtant, comme le proposait Roland Barthes, accorder la liberté de tracer. D'ailleurs, certaines erreurs d'élèves sont parfois de véritables trouvailles : la rêvolution, la soupe aux poids... Les écrivains ne se privent pas de jouer avec l'orthographe, comme le montre cette observation de Nerval sur Restif de la Bretonne : "Quelquefois il lui plaisait s'essayer un nouveau système d'orthographe ; il en avertissait tout à coup le lecteur au moyen d'une parenthèse, puis il poursuivait son chapitre soit en supprimant une partie des voyelles, à la manière arabe, soit en jetant le désordre dans les consonnes, remplaçant le c par l's, l's par le t, ce dernier par le ç, etc., toujours d'après les règles qu'il développait longuement dans ses notes" (Les Illuminés, 1852). C'est aussi Michel Tournier qui déclare : "J'aime beaucoup les accents circonflexes. J'en mets partout. C'est une espèce d'hirondelle à l'envers, un oiseau qui volerait dans la page". 

Extrait de la revue "Le Monde de l'éducation" numéro 13, rubrique "Accordons la liberté de tracer", par Roland Barthes, parue chez Seuil en janvier 1976

Le premier effet de l'orthographe est discriminatoire ; mais elle a aussi des effets secondaires, d'ordre psychologique. Si l'orthographe était libre - libre d'être simplifiée ou non, suivant l'envie du sujet - elle pourrait constituer une pratique très positive d'expression ; la physionomie écrite du mot pourrait acquérir une valeur proprement poétique, dans la mesure où elle surgirait de la fantasmatique du scripteur, et non d'une loi uniforme et réductrice ; que l'on songe à la forme d'ivresse, de jubilation baroque, qui éclate à travers les "aberrations" orthographiques des anciens manuscrits, des textes d'enfants et des lettres d'étrangers : ne dirait-on pas que dans ces efflorescences le sujet cherche sa liberté : de tracer, de rêver, de se souvenir, d'entendre ? Ne nous arrive-t-il pas de rencontrer des fautes d'orthographe particulièrement "heureuses", comme si le scripteur écrivait alors sous la dictée non de la loi scolaire, mais d'un commandement mystérieux qui lui vient de sa propre histoire - peut-être même de son corps ?