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Le porte-plume par emmanuel de careil

Le porte-plume

Aujourd'hui, j'ai rangé le grenier. C'est inimaginable de voir le nombre d'araignées qu'il peut y avoir au dessus de nos têtes, pendant que l'on dort bien tranquillement à l'étage du dessous.

Il y en a qui sont tellement grosses, grasses et velues, que je suis certain qu'elles ont connu mon grand père.

Bref, je disais donc que j'ai passé une journée entière à déplacer les vieux meubles après les avoir dépoussiérés, et les aligner pour pouvoir laisser un passage pour accéder enfin plus facilement à ce grenier lorsque l'on cherche quelque chose.

Dans une des malles qui se trouve là, j'ai fait une découverte qui remonte à l'an pèbre ! c'est à dire à ma jeunesse !

Je ne suis pourtant pas un dinosaure, mais ce que j'ai trouvé là, m'a paru soudain tellement loin, que j'ai cru un instant voir le saint Suaire, ou le saint Graal !

C'était: un porte-plume de gaucher !

Il fût un temps , pas si reculé que ça, ou dans les classes les écoliers étaient rangés par catégories. L'instituteur qui était un homme intelligent et autoritaire, classait les élèves dès le premier jour par groupe;

Il y avait les bons élèves qui étaient devant, et que l'on reconnaissait facilement à leur appareil dentaire ou à leurs lunettes, les cancres, au fond de la classe , entre le poële et la fenêtre, et les autres, au milieu, rangés par taille.

Et puis il y avait les anormaux, ceux que l'on montrait du doigt parcequ'ils avaient une grave maladie, heureusement pas contagieuse, les "gauchers"!...

C'étaient des enfants qui n'arrivaient pas à écrire avec la main droite, alors que bien sûr, en France, on écrit à droite!...

Alors, pour les obliger à faire comme les autres français, on les faisait écrire avec un porte-plume spécial pour gaucher . Je crois qu'on l'achetait en pharmacie!...

C'était un porte-plume comme les gens normaux, mais avec en plus l'empreinte du pouce, de l'index et du majeur, pour les obliger à prendre la position normale des doigts.

C'est vrai que c'étaient des enfants qui écrivaient très mal, mais on les enviait un peu car ils avaient un porte-plume qui sortait de l'ordinaire.

Aussi, après avoir cassé les pieds à mes parents assez longtemps pour les faire craquer, j'ai eu moi aussi un porte-plume de gaucher!

Il était plus beau que les traditionnels, puisqu'il était en plastique noir au lieu d'être en bois, avec une belle plume argentée. Même la plume était différente pour les gauchers! Le bout était plus arrondi et elle glissait mieux sur la feuille. C'était aussi des plumes "Sergent-Major", mais spécial gaucher!...

Par contre, elles écrivaient moins biens sur les bureaux, car elles ne rentraient pas assez profond dans le revêtement goudronné. Avec les autres plumes, on arrivait à graver le nom ou les initiales, mais celles-là, elles pliaient facilement.

Je me revoyais sur le banc à lattes en bois, en train de recopier l'histoire de cet imbécile qui a cassé le vase de Soisson, et dont on parle encore, alors qu'avec un peu de "super-glu", l'affaire aurait été classée sans suite.

Je m'imaginais en train de tremper cette plume magique dans l'encrier en porcelaine qui trônait en haut à droite du bureau, et écrire avec des pleins et des déliés en évitant les trous du bureau, et si possible sans faire de pâté, pour ne pas faire baisser la note. A un point le pâté, il vaut mieux faire attention !

Je me souviens aussi, qu'avec ces plumes pour gaucher,on n' arrivait pas à faire sauter les petits bouts de bois qui étaient incrustés dans les feuilles de papier quadrillé !

Le porte-plume, qui était en plastique, avait tendance à casser sous la dent, alors que les normaux, en bois, se mâchouillaient bien, et on arrivait à leur faire faire l'année, en les transformant petit à petit en pinceaux. Et, plus l'année passait, plus il avait de goût!..

Le problème avec les plumes "Sergent-Major" pour les gens normaux, c'est pour passer du plein au délié. C'est là qu'en général ça se met à foirer!.. Lorsque l'on écrit sur le papier à carreaux, il faut faire les majuscules sur toute la hauteur du carreau, alors que les minuscules ne doivent utiliser que les trois premières interlignes, sinon on se prend un coup de règle en fer sur les doigts.

Or, pour monter en délié, tout va bien si on n'appuie pas trop fort, mais pour faire le retour sans tourner le porte-plume, afin de redescendre en plein, en général juste au sommet de la lettre, un des côtés de la plume ne suivait pas, et quand il revenait dans sa position normale, il projetait des gouttelettes d'encre sur toute la feuille, et même quelquefois sur la blouse.

D'où l'avantage du porte-plume de gaucher, qui lui, n'accrochait pas!..

Mais l'inconvénient était qu'un droitier avec un porte-plume de gaucher, devait écrire mieux qu'un droitier avec un porte-plume de droitier!..

Et voilà la raison qui m'a poussé à revenir au porte-plume normal, et à mettre au rencard cet objet incroyable que je viens de retrouver.

Je ne sais toujours pas aujourd'hui qui est le débile qui a cassé le vase de Soissons, mais je me souviens bien combien de fois j'ai du copier, "on ne doit pas jeter de boulettes en papier sur ses camarades"!...

Emmanuel de Careil

Vous pouvez retrouver ce texte dans les "Recueils du Coeur", réalisés par le collectif des auteurs d'Humania. Pour plus d'informations, vous pouvez consulter les liens ci-dessous:

 Site web:   http://de.careil.free.fr/

ProjetHumania:   http://www.boutique-humania.fr/

Recueils du coeur:  http://lesrecueilsdducoeur.free.fr

 

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Style : Pensée | Par emmanuel de careil | Voir tous ses textes | Visite : 1106

Coup de cœur : 10 / Technique : 10

Commentaires :

pseudo : monalisa

Ton texte est tout simplement magique, merci de tant d'authenticité qui nous transporte dans l'univers des souvenirs.Le passé reste inscrit dans nos mémoires pour éclairer le présent et le futur.