Elle avait tellement l'habitude d'entendre ces voix murmurer dans son esprit qu'elle en avait presque oublié que cela n'avait pas toujours été ainsi pour elle. Si elle avait du mal à se rappeler les sensations d'un esprit laissé au repos, Gwilmi, aujourd'hui âgée de 27 ans, ne pouvait oublier le moment où cela avait commencé.

Comment oublier les douleurs atroces ressenties durant plusieurs jours à l'aube de son huitième anniversaire ? Cette tête qui, aussi soudainement que brutalement, se met a hurler intérieurement.  Hurler de douleurs par ce mélange de voix aussi nombreuses que différentes. Ces voix qui s'entremêlent et s'interfèrent dans une tête transformée en un caisson résonant ! De raison, il n'en était plus question : comment expliquer rationnellement cette capacité soudaine d'entendre une partie des pensées des gens ? Comme si sa tête était devenu un récepteur radio branché sur une certaine fréquence, récoltant les informations que tout un chacun y émettait naturellement.

Non dissociables dans un premier temps, les voix - ainsi que les messages qu'elles formaient - le devinrent rapidement. Donnant la faculté à Gwilmi d'être la confidente - bien malgré elle - d'un nombre incalculable de personnes. L'intensité des douleurs diminuèrent au fur et à mesure qu'elle apprit à dissocier les voix entendues et  à décomposer le flux total d'informations reçu.  Bien que cela était fatiguant, Gwilmi comprit rapidement qu'elle n'avait guère le choix si elle voulait éviter l'impression d'avoir une batterie, sur laquelle les pensées  de ces inconnus venaient frapper, à la place de sa tête.

Mais le plus difficile était encore à venir pour cette gamine : se contraindre de vivre avec ce poids en silence. A qui aurait-elle pu se confier ? Qui l'aurait comprise ? Tout ce qu'elle risquait, c'était de terminer enfermée dans un asile psychiatrique si elle essayait de se montrer convaincante sur l'origine de ses douleurs. Elle avait finit par faire croire à sa famille que cela était un mauvais souvenir. Elle avait réussi a faire passer la baisse de ses résultats scolaire sur le compte d'une fatigue excessive succédant à ces crises soudaines de migraines. Mais autre chose la tourmentait : que signifiaient ces messages ?

Elle se posa la question jusqu'au jour où elle entendit ... sa propre voix !!! C'était une après midi d'été où il faisait terriblement chaud. Les gens étaient souriants, l'atmosphère festive et elle rentrait à la maison après avoir été faire quelques courses pour ses parents. C'est alors qu'en passant devant le glacier du quartier, elle s'arrêta un instant, attirée par l'odeur de la vanille. A moins que cela ne soit celui de la fraise, ou encore celui du citron. Peu importe. Alors qu'elle s'apprêtait à reprendre son chemin, sachant qu'elle ne pouvait se permettre de dilapider une partie du reste de l'argent que sa maman lui avait confié, elle entendit une voix lui dire : « Je m'en achèterai bien une, non ? Je l'ai bien mérité. C'est pas pour une fois. Elle comprendra ». Elle s'arrêta net, incrédule. C'était sa voix qu'elle entendait. Elle lui confiait la tentation qui sommeillait en elle à cet instant précis. Elle donna un sens aux messages qu'elle avait reçu depuis le début : de celui de la femme qui se posait des questions sur l'effet que lui faisait la vue du corps musclé de son professeur de fitness à celui du jeune homme hésitant à l'idée de dévoiler ses sentiments à sa meilleure amie. 

De jour en jour elle s'habitua à recevoir les tentations de ces inconnus. Ils étaient de plus en plus nombreux à émettre avec une puissance suffisamment forte sur sa fréquence de réception. Après quelques années elle arriva à distinguer, dans son champs de vision, les personnes lui envoyant des messages. Elle arrivait à associer ces messages à leurs « auteurs ». Ce qui lui posa un problème éthique. N'était-ce pas une intrusion dans leur vie privée ? Peut-être, mais elle n'avait jamais demandé à être située au premier rang des tentations de tout un chacun tout de même ! Voilà qui lui permettait de ne pas culpabiliser. 

Elle décida d'essayer de faire abstraction de cela jusqu'au jour où elle intercepta le message d'une jeune adolescente, seule personne présente à ses cotés, tentée à l'idée d'acheter un couteau aiguisé. « Il faut que je l'achète », « Je dois l'acheter », « Il le faut, il le faut ... ». Elle tenta de s'éloigner d'elle quand elle entendit : « Il faut que je l'achète. Je ne peux pas le laisser continuer à abuser de moi .. ». Elle fit demi-tour, saisit le couteau et le tendit à la jeune fille : « je ne peux pas prendre la décision pour toi. Mais toi, tu as une décision à prendre. Au travers de ce couteau ou pas d'ailleurs. Je ne suis pas sûr que ce soit la solution à ton problème. Je pense qu'il représente simplement un symbole. Celui de ta rébellion par rapport à la situation que tu vis. D'autres personnes peuvent t'aider. Ta décision est celle là : oser aller les trouver». Elle remit le couteau à sa place et laissa la jeune fille, prenant le soin de bien l'observer au cas où elle devrait l'aborder à nouveau à l'avenir. Pendant plusieurs jours elle fut tourmentée : avait-elle pris la bonne décision ? Devait-elle intervenir ? N'aurait-elle pas du lui confier ce couteau, qu'elle le plante en pleine panse de son bourreau ? Aurait-elle du elle-même en avertir les autorités compétentes ?

L'apparition d'une drôle de créature mit fin à sa tourmente. On aurait dit une fée, ou à tout le moins un personnage venu d'un monde magique. Elle était resplendissante. Son corps paraissait entouré d'un halo de lumière. Gwilmi n'eût pas le temps de se poser la moindre question. La créature prit directement la parole en la félicitant et en la remerciant de ce qu'elle avait fait pour la jeune adolescente. Elle lui expliqua les démarches qu'elle avait entamées, l'arrestation de son bourreau etc ... Elle en profita pour lui expliquer l'origine des dons qui lui avait été transmis à l'âge de huit ans : « Tu as tellement désiré le bonheur pour ta famille que tu étais prête à vendre en cachette les objets auxquels tu tenais le plus. Tu as atteint un degré de tentation tellement élevé pour une cause tellement noble, et cela à un âge si jeune, qu'on a fait de toi la gardienne vivante de la tentation ». Et celle-ci d'expliquer qu'il y avait par-ci par-là des gardiens et des gardiennes pour des tas de choses sur cette planète. Pour la première fois depuis longtemps, Gwilmi ne se sentit plus seule. La fée lui demanda alors si elle désirait rester dans son monde ou la suivre dans celui des gardien(ne)s retraité(e)s. Un prétendu paradis magique pour ces personnes ayant servi leur cause. La tentation était grande pour Gwilmi. Mais elle ne put se résoudre à l'idée de quitter ses proches, son quotidien ... et l'ensemble des personnes qui - bien malgré elles- se confiaient à elle. A peine avait-elle refusée poliment que la fée disparut. Gwilmi se sentit alors libérée d'un poids énorme. Sa tête semblait vide. Plus jamais elle ne recevrait de messages. Elle avait accomplit sa mission et la tentation avait passé son tour.

Quelques jours plus tard, elle se rendit chez la jeune adolescente pour prendre de ses nouvelles et la féliciter pour son choix. Elle ne pu la voir car la jeune fille venait d'être hospitalisée pour des crises de migraines soudaines.