Monument le plus connu du monde, avec ses six millions de visiteurs par an, la Tour Eiffel n'a rien perdu de ses attraits. Interview imaginaire d'une grande dame bien entourée.

• - Parmi tous les enfants d'Eiffel, vous êtes la plus connue, quel effet cela fait-il?

Gustave Eiffel m'a édifié en 1889 et a mis fin à sa carrière d'entrepreneur, pour se consacrer ensuite à celle, tout aussi féconde de savant. Je suis donc la benjamine de toutes ses créations et le succès que je rencontre ne doit rien au hasard.

Je n'oublie pas que j'ai d'abord servi de test sur la résistance de l'air, de station d'observation de météorologie, et surtout d'antenne géante pour la radio naissante. Je supporte aujourd'hui des dizaines d'antennes radios et un mât de télévision.

• - Savez-vous que vous devez au fer et à l'essor de l'industrie du métal vos courbes indémodables?

Le fer est mon habit. Je suis faite de dix-huit milles pièces métalliques fixées entre elles par des rivets. Entre cent cinquante et trois cents ouvriers m'ont monté comme un gigantesque mécano. Je suis de stature longue et fine car suis conçue à l'origine comme les pylônes métalliques d'un pont.

Je suis dans le vent et j'y résiste grâce à la courbure de mes montants, déterminé mathématiquement.

• - Votre construction a nécessité une infrastructure sans pareil!

Je suis fière d'avoir été entourée par des échafaudages et d'avoir ainsi atteint trois cents mètres de hauteur. De petites grues à vapeur m'ont caressée en douceur, m'aidant à grandir vertigineusement en l'espace de vingt-et-un mois  - après l'achèvement de mes fondations. Quelques difficultés jalonnent mon édification; les ascenseurs des piliers nord et sud ont été souvent remplacés de manière à transporter un nombre grandissant de touristes.

• - Avant de connaître le succès, vous avez eu de nombreux détracteurs.

Je me suis sentie bien triste quand, en effet, est paru dans « Le Temps », un article signé par de grands noms des Lettres et des Arts. J'ai été traité de tous les noms : « Ce squelette de Beffroi »(PAUL Verlaine), « ce lampadaire véritablement tragique »(Léon Bloy), « ...ce suppositoire criblé de trous » (Joris Karl Huysmans).J'ai été déshonorée quand se disait de moi que je n'étais qu'un « érection » en plein cœur de Paris.

Par la suite, j'ai pris ma revanche et inspiré des artistes du XXème siècle ainsi que des poètes : Apollinaire, Utrillo, Chagall.

J'ai pris de l'âge depuis, et avec mes cent-dix-sept ans, puis regarder de haut ses querelles révolues.

• - Maintenant c'est la belle vie dans le grand monde, vous êtes un modèle!

Avec six millions sept cent dix-neuf mille deux cents visiteurs par an, je suis le monument le plus visité du monde et cela m'étourdit à tel point que sous l'action du vent, ma tête se déplace de six à sept centimètres

La chaleur m'indispose également, et mon sommet décrit alors une courbe de dix-huit centimètres. Tous les sept ans, je suis repeinte car mon concepteur pensait la peinture comme « un élément essentiel de la conservation métallique ». 

Quand je scintille de mes vingt milles feux, presque autant que de rivets, je me sens comme le miroir du monde. Ce sont des alpinistes qui ont installé cette parure de lumières pendant cinq mois. Celle-ci varie au gré des évènements, en ce moment je suis bleu comme la couleur de l'Europe.

Je suis copiée et recopiée sur tous les supports imaginables et suis ravie d'appartenir à la ville de Paris, où je suis née de l'imagination d'un ingénieur de génie.

Généreux Gustave Eiffel.