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IL VA PLEUVOIR DES ORANGES A NOEL (roman à nouvelles) par pamela logar

IL VA PLEUVOIR DES ORANGES A NOEL (roman à nouvelles)

C'EST UN BEAU LEZARD

 

Le grincement des roues sur le chemin de pierre et les ahanements de leurs conducteurs laissaient entendre que la pente était raide.

 

Tout à coup un silence se fit. On murmura :

 

- Planque-toi ! Dans le ravin, vite... dépêche toi !

- Je fais ce que je peux ...

- Oui, Hébé, dépêche toi quand même, que... avec ta tignasse, tu es visible depuis Narbonne par temps brouillé ; remarque, si un jour le phare de Leucate tombe en panne, tu pourras le remplacer par nuits sans lune... tu aurais du prendre le béret abruti ! Moi j'ai mis le mien, ça pare du soleil aussi !

- Papet[1] l'a mis ce matin et je n'ai pas osé le lui prendre de la tête

- Hébé, à ce moment là, tu mets ton mouchoir bleu

- Je ne peux pas, il est tout enfafarné [2] de crasse...

- Tu m'emmerdes tiens ! on dirait que tu veux nous faire prendre, ma parole !!! Chut ! On vient !

 

Un bruit de buisson desséché se fit entendre et un mouvement de corps, puis le silence à nouveau...

 

Au détour du chemin, un camion approchait dans le sens inverse. Le bruit de moteur caractéristique des engins de la Wehrmacht  ne faisait aucun doute sur la phrase prononcée par l'un des deux garçons.

Il faisait chaud. Le mois de Juillet était là  ; la garrigue ressemblait à la chaleur d'une braise ardente donnant au paysage un aspect trouble et vaporeux ; au loin une fumée s'élevait, noire, charbonneuse et donnant le malaise a celui qui la regardait. Apparemment un coup d'éclat des maquisards !

Le camion passa et nos deux  vélocipédistes  continuèrent leur chemin comme si de rien n'était...

 

- Tiens prends mon mouchoir pour te le mettre sur la tête... sinon ton cerveau va ressembler à un œuf dur !

 

L'autre se mit à siffler.

 

- Arrête de siffler, bon sang ! Lucien !... on va se faire repérer, tu sais qu'on ne doit pas se trouver là... C'est interdit par les boches.

- Je ne le fais pas exprès, c'est comme un tic...

- Ouais, Hébé ton tic, tu te le mets ou je pense, hé !

 

On n'entendait que le grincement des roues sur le chemin pierreux...

Un gros lézard long de vingt-cinq bons centimètres passa le long du chemin

 

- C'est bon à manger ça, Emile ?

- Je ne sais pas, t'a qu'à essayer, tu verras bien....! Il eut un rire étouffé.

 

Lucien sortit sa fronde et tira une pierre qu'il venait de ramasser. Il fit mouche ; le lézard tressaillit, se convulsa un peu et tomba raide mort au milieu du chemin.

Il le ramassa et, rengorgé, en fixant son frère qui le regardait sans trop y croire, la bouche ouverte, le fourra dans la musette qu'il portait en bandoulière.

 

- Bon ! On peut repartir là,... tu as fait ton marché, tu as tout ce qu'il te faut ? Tu ne veux pas faire un petit pipi par hasard ?

 

Lucien regarda Emile :

 

- Hébé, maintenant que tu le dis, j'en ferais bien un...

- Je t'accompagne tiens !...

 

Et tout deux se dirigèrent vers un gros figuier qui ne contenait plus aucune figues (dois-je vous le rappeler, cher lecteurs, que nous sommes pendant la guerre et tout ce qui se mange ne se perd pas !!)...

Emile, la vingtaine, d'un an plus âgé que son frère, était brun et plutôt carré. Il portait une chemise étriquée bien trop petite pour sa taille et sa musette lui retenait en bandoulière les boutons prêts de sauter, et pourtant il n'était pas gras. Son pantalon n'était pas mieux, retenu par deux bretelles élimées, rapiécé aux genoux et au fond de culottes, les chaussures montantes arrivaient en bordure du bas du pantalon trop court...

Lucien, un peu plus petit que son frère, avait les cheveux roux et était habillé du même acabit qu'Emile.

Après avoir fait leur « petit pipi » respectif, ils se remirent en route après avoir cueilli quelques branches de thym. Le soleil était haut dans le ciel, il n'y avait pas une âme qui vive à la ronde, on n'entendait que le chant des cigales.

Arrivés en haut de la côte pierreuse, ils s'arrêtèrent pour souffler. Emile sortit une gourde pleine d'eau qu'il avait remplie à une source à quelques kilomètres de là et ils avalèrent quelques gorgées.

Emile regarda l'horizon, Lucien aussi. Le paysage était magnifique, la mer au loin scintillait de son bleu azur qui se mélangeait au ciel, les collines pelées sur le côté droit descendaient en pente douce sur les vignes en contrebas. Une pinède s'étirait sur la gauche sur la colline avec des figuiers à l'état sauvage disséminés ça et là... les buissons de genièvre étaient en graines et l'air sentait la lavande sauvage et le thym séché.

 

Le village s'étalait à quelques kilomètres de là près d'un étang.

 

- Ah enfin, on arrive... j'en peux plus moi de ce cagnard.[3]

- Tu l'a dis. C'est sûr que je me prendrai bien un bain en arrivant

- Et c'est qui, qui te massera le dos ?

 

Lucien disait cela en riant, sachant bien que son frère plaisantait en parlant de bain.

Ils n'avaient en tout et pour tout que l'eau du puit, qu'ils remontaient à coup de seaux et ils s'en contentaient.

 

 

La fin de l'après-midi approchait, le soleil se faisait plus « gentil » et quelques habitants du village commençaient à sortir des maisons pour prendre l'air qui devenait moins pesant. Certains venaient de faire la sieste, après avoir travaillé dans les vignes depuis l'aube jusqu'à midi.

Emile et Lucien atteignaient les premières maisons, harassés par cette chaleur. Malgrès le mouchoir noué sur la tête de Lucien, la sueur lui dégoulinait dans leur cou. Leurs chemises étaient détrempées.

Une vieille femme habillée de noir, des cheveux blancs ramassés en chignon était assise sur une chaise de paille sur le pas de sa porte et les regardait arriver.

 

- Comment ça va les pichous ?

- Ça va, ça va ! Et vous Mamette ?

- Oh moi ! Ce n'est pas important, je vais mourir bientôt, et comme ça je ne verrais pas les horreurs qu'ils font, ces Boches, au village et à ses habitants.

- Oh ! Pour l'instant, dit Lucien, ils n'ont pas fait grand-chose, ils sont arrivés et ils n'ont fait que s'installer ! On entendait depuis chez nous crier des ordres en allemand. On dirait d'ailleurs qu'ils attendent quelque chose.

 

La Mamette continua :

 

- Un jour ils vont nous mettre à la porte de chez  nous et on ne saura pas où aller ; et moi, qu'est ce que je vais devenir ?! Ma mère m'a accouché dans cette maison et je ne l'ai jamais quittée de ma vie...Je suis veuve depuis la guerre de 14 et maintenant c'est cette guerre qui m'a pris mon seul fils au maquis.

 

Elle se mit à pleurer doucement comme les vielles personnes le font quand elles n'ont plus assez de larmes. Elle s'essuya l'œil avec le revers de sa main.

 

Emile s'approcha d'elle :

 

- Allez Mamette, ne vous en faites pas, on est là nous ; vous pourrez toujours venir chez nous ... en dehors du village, ils ne viendront pas nous casser les pieds, ils s'en fichent de nous,... mais pour l'instant ils nous ont rien dit et en plus ce n'est pas les SS, c'est la Wehrmacht  (l'armée allemande régulière) et eux sont là pour faire la guerre et non pas pour nous !

- Tu es gentil Emile, tu es comme ta mère, toujours prêt à rendre service. Mais tu sais, hé ! J'en ai vu des Nazis ; il y en a quelques uns ici déjà... Je les ai vus hier soir...

- Tant qu'ils nous disent rien, il ne faut pas s'en faire, le tout c'est d'être prudent, dit Lucien à son tour. 

- Allez Mamette, on rentre à la maison. Nous, on a passé la journée dans les collines.

- Vous avez rapporté quelque chose ?

- Oh oui, ça ! On vous en apportera un peu quand Maman l'aura cuit !

- Merci, les pichous. Vous êtes des gentils garçons.

 

 

Leur maisonnette était située de l'autre côté du village, il fallait encore faire une centaine de mètres après la sortie du village pour s'y rendre.

 

Emile allait de plus en plus vite.

 

- Dit Emile, tu as le feu au fesses ou quoi ?

- Je sens la maison et il me tarde d'y être ne serait-ce que pour m'y rafraîchir au puit...

- Hébé ! Tu es comme la mûle du vieux  Robert ! Dans les vignes, elle lambine au travail et au retour, plus elle sent l'écurie, plus elle va vite...

 

Ils partirent d'un éclat de rire.

Arrivés à la maison, Emile cria :

 

- C'est nous !

 

Une femme d'un certain âge habillée de noir, un torchon à la main sorti sur le seuil de la porte de bois peinte en bleu.

 

La façade de la maison était décrépie, les volets en bois maintenaient tant bien que mal accrochés à leurs gonds, dont l'un d'eux n'existaient plus depuis longtemps, la peinture bleue écaillée en disait long sur l'état général de la maison. Ils n'étaient pas riches. Leur père était mort de maladie quelques années auparavant et c'était Emile, qui déjà adolescent était devenu « le chef » de la famille.

 

- Hébé dites, je vous attendais plus, qu'est ce que vous faisiez ?

- On est parti loin cette fois-ci, ils y a de moins en moins de gibier, on a du faire des kilomètres : l'autre jour on avait posé les lacets plus loin et avec cette chaleur, aujourd'hui, on a été plus lent au retour.

- Si vous vous faites prendre un jour, je ne vous reverrai plus... Il y a les allemands maintenant par là et faites attention, ils confisquent tout ce qui passe et surtout si c'est des prises de gibier pour le donner à leurs imbéciles de chefs... je me faisais du souci, moi.

 

Pendant ce temps, les garçons s'étaient délestés de leur musette et les avaient données à leur mère qui déjà s'empressait de regarder dedans. Et déjà ils avaient otés chemise et remontaient un seau d'eau du puit qui se trouvait dans la cour.

Leur mère pénétra dans la maison.

Quelques minutes plus tard, après s'être rafraîchis, ils entrèrent à leur tour... La cuisine était bien éclairée par le soleil de la fin d'après midi.

Elle avait déjà vidé une des musettes d'un magnifique lièvre bien dodu.

 

- Il est beau celui là, je vais pouvoir le cuisiner comme il faut...dommage qu'on n'ait pas de vraie huile. Enfin ! Avec les tickets j'ai réussi à avoir un peu de végétaline.

- Tu en porteras un peu à la Mamette, on l'a croisée tout à l'heure et ça n'allait pas fort.

- Oui, ne vous en faites pas. J'irai la voir ce soir.

 

Elle sorti tout ce qui se trouvait dans l'autre musette et le lézard tomba mollement sur la table.

 

- Poudu[4] ! Qu'est ce que c'est que ce lézard ? 

- C'est un Lézard !... Lucien a décidé de le manger à la broche ce soir ! dit Emile en s'étouffant de rire.

- Il ne sent pas bon... il a mariné combien de temps là dedans ?

- Je ne sais pas, deux heures !

- Il aurait fallu que tu lui sortes les entrailles sur place...En plus il est tout vert de gris, comme les « Frisés » ! Hi hi !

 

Et tout le monde parti d'un rire...

Le Papet assis sur une chaise basse près de la cheminée sans feu, riait aussi, la bouche ouverte sur 4 dents, le béret vissé sur sa tête et ses deux mains sur la canne devant lui.

 

Ce soir là, Lucien, dix huit ans et toutes ses dents, lui, goûta du lézard...

Sa mère, bon an mal an, le lui avait fait griller comme on grille un poisson et apparemment il apprécia. Preuve que quand on a faim, on mange de tout !!!

 

Après le repas, elle parti chez la Mamette. Elle cogna discrètement au volet et la Mamette lui répondit. La porte s'ouvrit et elles entrèrent dans la cuisine.

 

- Comment ça va Mamette ?

- Ça va, ça va ! Mon heure n'est pas loin !

- Oh ! Ne dites pas des choses comme ça ! Ça rend triste tout le monde !

- Tenez, je vous ai apporté une bonne part de lièvre avec des légumes du jardin ! Des blettes surtout !

 

En riant Eliette dit :

 

- Il y a beaucoup plus de légumes qu'autre chose !

- Je te remercie Eliette,  c'est gentil de penser à moi, une pauvre vieille bonne qu'à aller au cimetière. A quoi je sers ici franchement ? Heureusement que tu es là pour aller à l'épicerie pour moi en même temps que pour toi... sans toi qu'est-ce que je deviendrai ?

- C'est normal, Mamette, ici on n'abandonne pas les vieux. En plus, vous êtes, pour Emile et Lucien, comme la deuxième grand-mère qu'ils n'ont jamais eue.

Ils vous aiment bien !

- Je sais, moi aussi je les aime bien tes petits !

 

Mamette mangeait doucement en même temps qu'elles parlaient...

 

- Vous savez que le Jojo, ...le fils du « Chauve », il est parti au maquis aussi ? ...

- Ah bon ! Et qui c'est qui va s'occuper des bêtes et de sa mère alors ?

- Je crois que il y a son cousin qui a aussi sa mère et il va s'en occuper..

- Ah bon ! Eh bé ! Le village va se vider si ça continue, tout les jeunes s'en vont

- Moi j'ai peur qu'un jour Emile ou Lucien ça leur prenne aussi...

non ! Les tiens c'est des bons petits qui prennent soin de vous deux, toi et le Papet... au fait qu'est qu'il devient lui ?... demanda mamette l'air de rien.

- Oh ! Toujours pareil, il se plaint des rhumatismes comme tout le monde !

- Oui ! Comme tout le monde ! Releva Mamette

 

Et la discussion continua comme ça pendant un moment.

Le couvre-feu approchait et Eliette se leva de la chaise et se dirigea vers la porte.

 

- Allez, Mamette, je vous laisse, dormez bien cette nuit. Il va faire frais, on va bien dormir. Je repasserai demain, je dois aller à l'épicerie.

- Adieu, Eliette, à demain... si je suis encore en vie...

- Fermez bien la porte à clé derrière moi, Mamette !

- Oui, Ne t'en fais pas.

 

Eliette reparti chez elle un peu triste de voir Mamette dans cet état. Depuis que les Allemands étaient arrivés, Mamette déprimait.

 

 

LE PETIT CON

 

Comme tous les matins depuis son arrivée avec ses camarades de la Wehrmacht, Hans, âgé de la vingtaine, allait en vélo chez la libraire, chercher le journal pour son chef.

Il était l'aide de camp du colonel, chef du détachement et en était très fier.

Hans était fermier dans son pays et avait été enrôlé en même temps que les autres pour aller faire la guerre en France. Il ne se posait pas trop de questions mais il se demandait parfois si un jour il reverrait les verts pâturages de l'Est de l'Allemagne où il était né. Les vaches, les porcs et la ferme familiale lui manquaient beaucoup. En bon mangeur qu'il était, il rêvait d'un bon jarret avec de bonnes pommes de terres fumantes et du chou, beaucoup de choux et pour agrémenter tout ça, une bonne rasade de bière maison.

Ici tout était sec et desséché, on ne voyait pas de vaches à la ronde, pas de pluie pour rafraîchir un peu. Tout ça le désolait complètement.

Comme il n'était pas dans le secret des dieux, il ne savait même pas pourquoi il était là ! Mais en bon soldat qu'il était, il obéissait aux ordres et faisait comme les autres : il attendait que ça se passe ! Il priait pour que la guerre s'arrête vite et il rentrerait au pays ventre à terre. Il n'aimait pas les armes. Il n'aimait même pas ça quand il fallait saigner le cochon à la ferme ; il n'aimait pas faire souffrir les animaux et encore moins les hommes.

Il cala son vélo contre le mur décrépi et entra.

Le magasin faisait office de café-bar, librairie et tabac.

Une dame d'un certain âge s'avança vers lui derrière son comptoir. Un groupe de petits vieux étaient assis à une table, un journal ouvert devant l'un d'eux. Celui-ci lisant à haute voix, pour les autres. Le silence se fit quand il entra, on se méfiait des « verts de gris » ici !

Il ôta son casque et dit avec un accent allemand très prononcé :

 

- Bonjour Madame, je voudrai le journal pour mon chef, le colonel Lerner.

 

Les vieux regardaient dans sa direction sans rien dire.

Elle lui tendit le journal édité en allemand.

 

- Voilà, petit con !

 

Huguette le regarda fixement.

 

- Merci, Madame.

 

Il paya et repartit sur son vélo. Des rires étouffés fusaient du magasin.

Une voix goguenarde sortit du magasin :

 

- C'est tout les matins pareils ! Il a droit à son « petit con ».

 

Arrivé sur la place du village, il s'arrêta, et but de l'eau à la fontaine et en profita pour remplir sa gourde.

Il avisa un homme assis sur un banc près d'une fenêtre fleurie.

 

- « Môsieu »... Pardon de « fou » déranger !

- Hébé, on ne m'a pas fait péter du « Môsieu » depuis belle lurette ! Qu'est ce qu'il y a pour ton service ?

-Qu'est ce que ça veut dire « petit gon » ?

 

L'homme comprit au quart de tour que quelqu'un avait traité Hans de petit con quelque part et que ce n'était pas le moment de le lui dire, sinon la foudre allait lui tomber dessus.

 

-Hébé ! Ça veut dire... ça veut dire... comment je pourrai traduire ça ?...

L'homme se gratta le menton.

- Voyons ! Hébé ! C'est un mot qui veut dire que c'est un compliment, c'est ça ! Un grand compliment ! C'est bien ! Un grand mot !!! On ne pourra pas dire mieux de toi !

- Haaaaa ! Oui !

 

Hans réfléchit intensément, se gratta la tête, son casque sous le bras, se le replaça sur son crâne épais et dit, tout à coup inspiré :

 

- Alors, si moi « petit con »... Hitler Grand Con ! Grand Con Hitler !

 

Et il ouvrit grand ses bras pour représenter la grandeur de son Grand chef.

 

- Oui, c'est ça mon gars ! T'as tout compris ! C'est bien ! Continue comme ça ! T'iras loin petit con !

 

Hans partit d'un rire tonitruant et se remit péniblement sur son vélo. Son embonpoint le rendait ridicule dans son uniforme, son gros derrière écrasant la roue arrière du vélo. Si celui-ci avait pu parler, il aurait demandé de l'air en premier !

Et il reprit sa route vers la Kommandantur où son chef, le colonel Lerner, attendait impatiemment le journal en langue allemande.

On ne sut jamais si Hans savait réellement la vraie signification du mot « con » ou si vraiment il n'avait pas compris qu'il venait de traiter son « grand chef » d'un mot très laid !

 

 

LE REFUGIES ( EXTRAIT)

 

Le mois de septembre était là. Le raisin était mûr et les vendanges n'allaient pas tarder à débuter dans toute la région.

Le matin était frais. Le soleil se levait. Une douce quiétude dans l'air cristallin débarrassé du poids de la chaleur de l'été donnait une impression de légèreté dans les esprits comme dans les corps.

La Mamette ouvrait les volets de sa maison en soupirant comme à son habitude. Elle remercia le ciel d'être encore en vie ce matin. Elle pencha la tête au dehors et regarda dans la rue qui descendait en pente douce.

Un bruit de roue ferrée, dans le silence matinal, attira son attention. Elle se dirigea vers la porte et sortit sur le trottoir. Elle regarda en bas de la rue mais ne distingua rien du tout. Le bruit s'amplifiait. Tout à coup apparut un homme en tricot de peau, les bretelles attachant un pantalon sale et troué aux genoux, tirant une charrette derrière lui.

A ses côtés trois enfants marchaient. Ils paraissaient fatigués. Deux autres gosses étaient endormis sur la charrette parmi des sacs, deux chaises, une malle, une petite table renversée dont les 4 pieds étaient usés. Ils entouraient une femme, sans doute leur mère, qui paraissait elle aussi exténuée.

Leur tête balançait de droite et de gauche à la cadence de marche de l'homme qui tirait la charrette, les genoux pliés sous l'effort de chaque pas.

 

Mamette les regardait arriver et murmura :

 

- Mon dieu, pauvres gens...

 

Ils arrivèrent à quelques mètres d'elle. L'homme s'arrêta et posa les bras de la charrette par terre. Il transpirait. Il était harassé et soufflait fort. Il sortit son mouchoir et se frotta la nuque.

 

Mamette s'adressa à l'homme, qui la regardait les yeux dans le vague :

 

- Hébé ! Brave homme, où vous allez comme ça ?

- On a traversé toute la France... ça fait des jours que je marche, cette charrette derrière moi...

 

Il avait un fort accent...allemand...

 

Mamette se pensa que peut être s'était des gens d'Allemagne qui venaient « annexer » la France...

 

- Ça y est... ça a commencé... ils vont nous foutre dehors aux profits de colons allemands !!! Je l'avais dit ! Personne ne veut me croire !

 

Faisant mine de rien, elle lui demanda :

 

- Mais ... et vous venez d'où exactement ?

- De Kehl, à la frontière Allemande, près de Strasbourg...

- Ah ! C'est pour ça que vous savez parler notre langue alors ?

- Oui ! On est Alsaciens vous savez... français quoi ! Enfin...Ma femme l'est ! Moi je suis Allemand !

 

Il s'assit sur le banc de pierre accolé à la façade de la maison de Mamette. Il souffla. Les enfants regardaient Mamette.

 

La femme dans la charrette s'était réveillée avec les deux enfants et commençait à en descendre. Elle prit le plus petit dans ses bras et s'assit elle aussi sur le banc. Elle se mit à pleurer.

 

Mamette lui dit :

- Mais il ne faut pas pleurer comme ça ! Vos congénères sont par là, vous les trouverez plus bas, ils ont établis un camp plus loin...

 

- Comment ça, nos «  congénères » ? Il y a d'autres réfugiés dans le coin ?

- Non !! Les soldats allemands ! Les fritz, voyons !..

 

l'homme changea aussitôt de tête et devint blanc comme un linge.

 

- Il ne faut pas qu'ils nous voient ! La femme s'affola. Tu m'avais dit qu'ici il n'y en aurait pas des allemands. Elle se mit à pleurer de plus belle.

 

- On les fuit les allemands, nous, madame. Nous ne sommes pas pour le régime d'Hitler et nous le fuyons comme beaucoup d'autres... Mais... on nous avait dit qu'ici, il n'y aurait pas de soldats allemands... s'emporta doucement l'homme vexé, sentant que Mamette les confondait avec les soldats allemands.

- Hébé ! On vous a trompés, mes pauvres ! Ils sont là depuis quelques mois, ils surveillent la mer. On ne sait même pas pourquoi d'ailleurs !

-S'ils me découvrent ici, je vais être enrôlé de force... J'ai fui l'Allemagne à cause de ça, je ne voulais pas être soldat, je ne veux pas faire la guerre. Je suis déserteur, pour eux. Ils peuvent me fusiller rien que pour ça...et ma famille ? Mes enfants, ma femme... je ne veux pas qu'ils restent seuls au monde...

- Poudu ! Mes pauvres ! ... Mamette réfléchi quelques secondes.

... Vous allez rentrer la carriole dans ma cave à côté... avant la guerre elle servait à mon fils pour faire le vin ; mais il est parti au maquis, et les vignes ne sont plus entretenues. Allez ! Vite avant qu'on ne vous voie ! Il y a des collabos ici aussi vous savez, même si on est en «  zone libre » comme ils disent. Et ils épient tout le monde ; tout leur est bon pour délatter et se faire bien voir de ces bôches de merde... Un jour ça se paiera tout ça... il y a un bon Dieu sur cette terre... enfin je l'espère.

 

Elle entra et prit une clé accrochée à un clou près de la porte de sa cuisine et ressortit. Prestement pour une femme de son âge, elle ouvrit la porte de la cave et laissa le passage à l'homme qui tira la charrette à l'intérieur.

Elle chuchota :

 

- Maintenant, entrez chez moi dans ma cuisine et asseyez vous. Je vais chercher quelqu'un de confiance, ne vous en faites pas. En attendant, servez-vous à boire. Il y a un broc à l'évier si vous voulez vous faire la toilette. Ne vous gênez pas.

 

Elle les fit entrer dans sa cuisine et elle ressortit aussitôt.

 

Mamette ne courrait pas, elle volait ... c'était la première fois depuis le début de la guerre qu'elle se sentait utile. Sa canne à la main droite et son cabas qui ne la quittait jamais dans le creux de son bras gauche, elle s'enfila dans les ruelles de la vieille ville, passa sous un ancien porche, descendit des escaliers, en remonta, passa devant l'église, fit vite fait un signe de croix au passage et continua sa course telle une étoile filante. Mamette ne s'était jamais sentie aussi vivante ! Pour la première fois, quelqu'un avait besoin d'elle et elle aimait ça.

 

Essoufflée, mais fière d'elle d'avoir fait un si long chemin en vingt minutes chrono, elle frappa à la porte bleue de la maison d'Eliette. On entendit un pas traînant et la porte s'entrouvrit. L'œil vif du Papet moulina dans l'entrebâillement.

 

- Ah c'est toi Ursuline ? Mais qu'est ce que tu viens faire à cette heure ?!

 

La bouche du Papet ne cessait de se tortiller de gauche à droite et droite à gauche, comme si elle voulait partir seule, sans l'accord de son propriétaire.

 

- Bonjour, Firmin ! Dis-moi ? Lucien et Emile sont là ?

 

Le Papet s'époumona en appelant les deux garçons, et toussa aussitôt après.

 

- Mais...ne crie pas si fort quand même ! Ils ne sont pas sourds comme toi les petits !

- Poudu ! Je ne suis pas encore sourd. Mais tu me sembles bien remontée pour ton âge, la vieille ! !

- Et toi ! Tu t'es vu ! Tu es aussi vieux que moi ! N'oublie pas qu'on a été sur les bancs de l'école ensemble ! C'est l'hôpital qui se fout de la charité ma parole ! Macarel ! « La vieille »! Non mais... je vous jure !

 

Mamette bouillait.

Le Papet goguenard à l'idée de rendre Mamette folle, l'invectiva encore :

 

- Tu ne devais pas mourir aux dernières nouvelles ?

- Mêles-toi de tes affaires vieux fou... c'est moi qui décide quand je vais mourir...

 

Le Papet piqué au vif lui répliqua aussi sec :

 

- Comme tu veux, mais sache que je ne viendrai pas à ton enterrement... tu sais ce que c'est,... on est vieux !,... on ne peut pas se bouger !...et puis, le cimetière, il est loin... et c'est rien que les femmes qui y vont pour pleurnicher sur les tombes...

- Si ça se trouve, je t'enterrerai mon pauvre Firmin... à la tête que tu as, tu ne passeras pas l'hiver...

- Tu es toujours aussi virulente à ce que je vois.

- Et toi, toujours aussi bête !

- Quand j'étais jeune je devais vraiment être idiot, pour me dire que tu pourrais peut être faire une épouse bien pour moi... Heureusement que j'ai changé d'avis au dernier moment !

- Comment ça ! Tu ne m'as jamais demandé en mariage que je sache ?!

- Non ! Et heureux !

- Beau parleur va ! Tu ne m'as jamais demandé en mariage parce que tout simplement j'étais déjà fiancée avec le Charles avec qui j'ai passé toute ma petite enfance et dès le plus jeune âge on s'était promis l'un à l'autre. Et toi je ne te regardais même pas,... imbécile, va ! C'est toi qui te faisais des idées !

- En tout cas, ça t'a pas profité de te marier avec le Charles...

- Qu'est ce que tu veux dire par là, dis ?!

- Oh moi rien du tout !

-Si, si ! Accouche, Macarel ! Dis ce que tu as à dire et qu'on en finisse.

- Hébé ! Il est mort à la guerre de 14 et après tu as été veuve jeune... ce n'est pas vrai ?

- Oui et alors ...

- Alors, quoi ! Donc ça ne t'a pas profité... tandis que si tu t'étais mariée avec moi, on est en vie tout les deux à cette heure, à ce que je vois !

- Oui, mais la différence c'est que je l'ai aimé et je l'aime encore même s'il est parti et toi je ne t'aimais pas...

- Eh oui ! L'amour c'est comme un papillon, ça peut se poser aussi bien sur une fleur que sur un étron...

- Ah oui ! Et qui c'est l'étron ?

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