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"I'm falling in the rain" par Romain F.

"I'm falling in the rain"

          J'avais entendu à la radio qu'un rassemblement aurait lieu cet après midi à trois heures devant l'hôtel de ville. J'étais sûr et certain qu'il allait y être et je devais m'y rendre car il fallait absolument que je le revoie ! D'abord, il me manquait. Ensuite, puisqu'il ne voulait pas s'expliquer ni par mail, ni par téléphone, il fallait employer les grands moyens ! Je sortis de mon studio et je me dirigeai vers l'arrêt de bus. Il serait là dans environs trois minutes. Et quel temps de chien ! Il fallait vraiment être motivé pour attendre un bus sous la pluie !

Cette histoire avec lui, avait été la plus belle, mais aujourd'hui elle était celle qui me faisait le plus de mal. Tout ce bonheur vécu (en si peu de temps) qui avait disparu du jour au lendemain, une chutte du cinquième étage, brève et mortelle ! Mais là n'était plus la question. Il me devait des explications, et j'allais les obtenir, coûte que coûte, et le meilleur moyen était d'aller le voir, le regarder droit dans les yeux et ne pas céder ! Pas chez lui, non ! Je serais accusé de harcèlement, une fois de plus ! Il est vrai que j'avais débordé : je lui avais posé mille et une questions, exprimant ma frustration et mon incompréhension. Mais n'était-ce pas une autre forme de harcèlement que de répondre à ces mille et une questions par le silence ? Du moins, cela ne le provoquait-il pas ? Car moins il me répondait, plus j'avais de questions, et moins il me parlait, plus j'avais de choses à lui dire ! N'aurait-ce pas été plus simple et plus courtois de discuter, tout simplement, en prenant chacun ses responsabilités ? Non, il avait choisi cette issue-là - mon bus arriva, je montai à bord, « Bonjour ! », et je m'assis -, le silence !

Et c'était ce silence que je voulais comprendre. Un silence cruel, synonyme d'indifférence, l'impression ne n'être plus rien, une poussière que l'on avait essuyé d'un coup de chiffon. Poussière peut-être, mais poussière bien vivante pourtant, et je n'allais pas le laisser me réduire à néant. Oh non !

C'était facile de répondre à un mail en m'accablant de défauts, m'accusant de telle ou telle erreur, tout en se faisant passer pour un saint. Et moi comme un idiot, mais un idiot amoureux, j'avais marché, les deux pieds dedans ! En effet j'avais reconnu mes erreurs, et (sous l'émotion de ses réponses, peut-être) j'avais oublié les siennes, mais plus tard, avec le recul - « P*****...!! », le bus venait de freiner brusquement - je m'étais rendu compte de son petit jeu. Monsieur avait juste pensé à laisser de lui une belle image, celle d'un enfant sage ! Monsieur avait été incapable de reconnaître le moindre de ses défauts, Monsieur était un lâche, un égoïste ! Il avait lu et compris dans mes mails uniquement ce qui l'avait arrangé : des prétextes de plus pour " m'essuyer " ! Et ce que je ressentais, c'était des conneries ! Mes sentiments étaient faux ! Oui, mes sentiments étaient faux ! Il fallait vraiment être sans coeur pour répondre des choses pareilles !

Quant à mes mails, ils avaient été des appels au dialogue, à une discussion calme et sans tabou, prêt à assumer mes erreurs et pardonner les siennes (et l'invitant à faire de même ). Je n'avais souhaité qu'une chose, nettoyer ce que lui-même appelait du gâchis. Mais visiblement, ce gâchis ne semblait pas faire grosse tâche dans sa vie. A chaque porte que j'avais tenté d'ouvrir (et Dieu sait que j'en avais employées des méthodes !), elle m'était violemment revenue en pleine face ! Monsieur avait répondu aux mails en mettant un terme aux " conversations ", Monsieur n'avait pas voulu perdre son temps !

Quelqu'un qui était incapable d'accepter le dialogue, vallait-il la peine que l'on se prenât la tête pour lui ? La réponse était évidente, non ! Pourtant, je persistais, je l'aimais toujours... un peu.

Que le temps devenait long ! Le bus était toujours arrêté ! Il était visiblement en panne, le chauffeur y regardait. Combien de temps cela allait-il durer ? Je n'étais plus très loin de l'hôtel de ville, il aurait pu attendre quelques minutes pour tomber en panne, tout de même ! De plus j'étais déjà suffisemment stressé et d'attendre là, près du but, m'angoissait encore plus. Et me vint une autre angoisse : qu'allais-je faire une fois que j'allais me retrouver face à lui ? Rester planté comme un piquet pendant un quart d'heure alors qu'il m'aurait à peine regardé ? Lui adresser la parole et me prendre une si vaste veste que je me perdrais dedans ? Retenter de l'interpeler et lui de m'ignorer ? Tomber dans les pommes sur les pavés, me réveiller tout mouillé en sachant qu'une fois encore il aurait été indifférent, et au mieux il se serait assuré qu'il ne m'était rien arrivé de grave (même pas en rêve !) ? ... Mieux vallait ne pas y penser.

Mais là me vint un autre doute : cela servait-il à quelque chose que j'aille devant l'hôtel de ville pour revoir cette personne qui me méprisait ? Et devant tout ce monde de quoi allais-je avoir l'air ? En plus j'allais probablement le mettre mal à l'aise au milieu de la foule, ce qui n'arrangerait rien ! J'étais conscient que j'étais prêt à faire une nouvelle gaffe. J'étais un masochiste suicidaire.

 

«Il va falloir que vous descendiez du bus, le prochain arrêt est en face à une trentaine de mètres, le suivant va arriver d'ici cinq minutes. Je vous prie de bien vouloir m'excuser. »

Décidément l'après-midi commençait mal ! Et cette pluie qui ne cessait pas, quelle plaie ! Je me demandais ce qui pouvait bien pousser les gens à sortir par un temps pareil et sans parapluie ! Encore moi, j'avais une raison ! Mais eux !? Cela avait tendance à m'énerver aussi. « M**** ! » C'était le cas de le dire. Il paraît que ça porte bonheur du pied gauche, c'était déjà ça de gagné, mais sur ce trottoir tout mouillé j'avais bien failli me retrouver le derrière dedans, ce qui aurait été plutôt embêtant ne sachant pas de quel côté cela m'aurait porté bonheur. Je me disais que c'était probablement un signe. Il faut bien rêver pour vivre ! Rêver c'est déjà ça, c'est déjà ça...

J'atteignis l'arrêt de bus. Là il possédait un abri, génial ! Je m'appuyai le long de la paroi... du côté extérieur. Tout un bus ne rentrait pas sous un abribus ! Vraiment pas malin le concepteur ! Et le bus s'enrhume, le bus tombe malade, le bus meurt, et les familles portent plainte contre le maire du village ! Je m'énervais de plus en plus et critiquais tout, tout, tout et tout ! Le type qui klaxonnais le feu rouge, la femme qui partageait avec nous sa conversation téléphonique (« ... ah mais tu comprends c'est qu'il va falloir que je me change ! », « Change d'abord de tête ça sera une bonne chose », pensais-je. « Hystérique! »), le type qui se goudronnait les poumons et qui ne se gênait pas pour m'enfumer... Bref ! J'avais envie de taper quelque chose ! Il fallait que je tape quelque chose ! Et puis non j'allais me casser la main, c'est tout ce que j'allais gagner !

« Marcia danse un peu chinois !!! » « !!?? ». Quelques personnes levèrent la tête. Voilà, j'allais chanter ! « La châleuheur dans les mouv'ments d'épauhaules !!... » Les gens autour de moi me regardaient à présent d'un oeil suspicieux. « A plat comme un hiéroglyphe inca... de l'opéra !! » A présent je voyais des gens qui se regardaient entre eux en se tournant l'index sur la tempe. Mais qu'est-ce qui les dérangeait ? La vie était belle ! Le ciel était rose, il pleuvait du bonheur ! Nous allions tous être malades ! Mais ce ne serait pas grave, nous serions tous ravis de dire bonjour à notre médecin que nous n'avions pas vu depuis dix ans ! Et nous l'embrasserions très fort pour le remercier de nous avoir tant de fois sauvé la vie ! Oui nous embrasserions notre médecin pour le remercier, jusqu'à l'étouffer pour de vrai !

La vie était belle, alors qu'est-ce qui pouvait bien les déranger dans ce que je chantais ? Bon il est vrai que cette chanson, bien que subtile était écrite d'une manière plutôt tordue. Mais elle était connue cette chanson ! Ou bien était-ce mon déhanché hiéroglyphique "opératé" qui les inquiétait ?

« C'est elle, la sauterelle !... », et je sautais, je sautais, je courais, je dansais, je chantais et je me retrouvai par terre, les deux fesses dans la m... non c'était une flaque d'eau ! J'avais eu chaud ! De plus, mouillé comme je l'étais déjà et mouillés comme nous étions tous, cela passerait inaperçu. Par contre ma chute n'était pas passée inaperçue et j'eus le mérite d'avoir fait rire les gens. Des gens eux aussi stressés par le temps ou par la panne du bus. Et pour me relever digne de ma bêtise, je m'inclinai comme si je venais d'accomplir un numéro de cirque, ici spécialité clown. Les gens applaudirent tout en riant encore, quelqu'un me jeta une pièce de 5 cents pour pousser la plaisanterie jusqu'au bout. « Merci de votre générosité, Monsieur, je vais pouvoir m'acheter un pantalon sec ! » On riait encore.

Mon bus arriva. Le même bus qui était tombé en panne une demi-heure plus tôt ! Et le suivant qui aurait dû arriver cinq minutes après ? Et bien il était coincé, mon bus en panne ayant bloqué une circulation déjà bien chargée ! A 14h50, des bouchons ? Oui aujourd'hui ils étaient pressés, comme les oranges ! Et les oranges pressées ça donne du bon jus ! Et les bouchon pressés ? Ca ne donne du jus qu'une fois qu'on l'a fait sauter ! Et quel jus ! J'avais l'impression d'en avoir bu des litres à en vomir de la bonne humeur ! Et visiblement c'était contagieux, le bus entier était gai !

Une bonne humeur que je tardai pas à quitter. Le bus me déposa à l'angle de la rue piétonne et mon coeur se resserra. Je me rappelai soudainement pourquoi j'étais venu jusqu'ici et je pris ma décision : je ne l'aborderais pas. S'il me voyait, peu importe qu'il vînt me parler ou non; si je le voyais, je serais heureux de voir qu'il fût en vie; si nos regards se croisaient, se passerait ce qui devrait se passer ! Après quelques mètres de marche, je me retrouvai sur la place.

 *

Je descendis du bus à côté du restaurant, au bout de ma rue. J'avais passé une excellente après-midi, cependant je n'avais pas vu celui que j'étais venu chercher. Peut-être avait-il été là pourtant, au milieu de la foule; peut-être même l'avais-je frolé. J'en étais certain. Mais il y avait eu tellement de monde autour de lui...

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