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Tharsilla et le sorcier noir (suite) par stephanie guerin

Tharsilla et le sorcier noir (suite)

 

Livre V.

Wido n'était pas parmi les derniers à avoir pris régulièrement des nouvelles du Grand Nécromancien durant sa lente agonie, et avait pu passer ainsi aux yeux de la plupart, pour un être plein de dévotion pour son Souverain. En réalité c'est l'angoisse de l'échec de son sortilège qui lui donnait des sueurs froides, car connaissant Alaric et sa puissance, celui-ci avait dû finir par localiser la source de son étrange maladie, aussi soudaine que foudroyante ;  et si par malheur (pour Wido) il s'en était tiré, l'espérance de vie du comploteur se serait vue réduite à une poignée de secondes, d'une part du fait de sa victime rescapée, et d'autre part du fait de Cyric lui-même.

Mais ses inquiétudes étaient à présent envolées, et une lueur perfide animait son regard alors qu'il psalmodiait une prière à Cyric dans la pénombre de la chambre luxueuse qui lui avait été allouée en qualité de sa fonction de Maitre Sorcier Noir.

Sous l'effet de l'incantation, le reflet de l'eau se brouilla dans le cratère de céramique devant lequel se tenait Wido, et un visage en décomposition, au nez presque tombé, aux yeux noirs et creux et aux pommettes saillantes, presque pointues, remplaça l'image inversée de la pièce où se tenait le Sorcier Noir.

-Seigneur ! Wido s'inclina devant le cratère.

L'odieuse image prit la parole :

-Alors, mon fidèle sorcier, quelles sont les nouvelles ? La voix de Cyric était caverneuse.

-Alaric Aequuslibrium a succombé à notre envoûtement, Ô plus grand des Souverains !

-Hum... On dirait que j'ai eu raison de te porter un peu de mon attention, insignifiant Petit Mage...

-Vous avez toute ma gratitude Seigneur, dit Wido la tête baissée. Et... Si je puis me permettre vous avez fait le bon choix...

L'hideux reflet du Dieu de la Mort des Mensonges et du Meurtre prît soudain une dimension supplémentaire et émergea du cratère de céramique avec une fluidité inhumaine, et une lenteur à l'effet hypnotisant.

-Comment oses-tu commenter mes choix, misérable mortel, oublierais-tu à qui tu t'adresses ?

Le visage décharné et puant du Dieu-Liche était presque collé à celui de Wido, et sa voix résonnait dans la tête du Sorcier comme si la créature avait hurlé et que ses cordes vocales avaient reproduit le son du tonnerre à la perfection. Pourtant Cyric n'avait même pas ouvert la bouche : il communiquait directement avec l'esprit de Wido, comme le font les Dieux la plupart du temps.

-Non ! Non ! Bien sûr Ô Tyran des profondeurs insondables, bredouilla Wido en se laissant tomber sur les genoux, Je... J'essayais juste de vous dire que je serais à la hauteur de vos attentes, Sérénissime Altesse...

-Mais c'est tout dans ton intérêt, microbe ! Je ne saurais tolérer que tu me fasses perdre mon temps ! S'esclaffa Cyric en flottant autour du Sorcier Noir. Et où en est-on de notre quête de l'Amulette des Mille Tentations ? Tu sais que tu dois absolument acquérir cet objet cher à mon cœur afin de pourvoir mon Royaume en âmes fraiches pour les siècles à venir ?

-Oui Seigneur, je sais que le pouvoir de cette amulette libère chez toute créature moult ambitions, convoitises, jalousies, envies, et bien d'autres appétits et passions insatiables, et que pour arriver à leurs fins les êtres exposés sont prêts à tous les crimes, ce qui te les rend plus fidèles que la plus dévote des grenouilles de mauditier, si je puis dire... Eh bien j'ai lancé une chasseuse de prime à sa recherche. J'ai masqué mon apparence et ma voix de sorte qu'elle ne remonte pas jusqu'à moi, je veux dire jusqu'à Nous, Seigneur. L'imbécile ne connait pas l'ampleur de ce qu'elle s'apprête à déclencher, ni pour qui elle travaille en réalité. L'appât de gain a suffit à lui faire accepter cette quête ; mais il fallait que ce soit elle, sa réputation en fait quelqu'un d'infaillible. Il nous faut les meilleurs, Seigneurs, qu'ils rallient notre cause ou non.

-Hum, bien. Le sourire pervers de satisfaction qu'afficha Cyric redonna confiance à Wido en lui-même, et il se permît de détendre un peu les muscles de son dos qui lui faisaient mal depuis le début de cet entretien. Et comment va notre ami Clodomir du Royaume d'Abhysseis ? As-tu pris contact avec ses sbires ?

-Oui Ô plus perfide des comploteurs, et nous avons sous contrôle les négociations avec les réfugiés de Greatenlake qui bien sûr n'aboutiront jamais à moins qu'ils ne se rendent à votre cause Seigneur, ce qui ne devrait plus durer que quelques jours aux vues des vivres qui diminuent chaque jour et des morts qui s'accumulent. Clodomir devrait bientôt récolter les fruits de notre petite entente, et bien sûr tout le bénéfice vous reviendra ensuite, Ô Sombre et Putréfiée Altesse.

-Je suis satisfait de ces débuts prometteurs, Sorcier. Espérons qu'il en soit ainsi à notre prochaine entrevue, ou tu sais ce qu'il t'en coûtera. Et la silhouette du Dieu-Liche disparut au fond du cratère comme elle était apparue, laissant derrière elle une odeur de chair pourrie que Wido était sûr de ne jamais pouvoir ôter de sa mémoire.

                                                                                              ***

L'agitation dans le couloir fit lever le nez de Téodohad du visage de Galswinthe. Des éclats de voix retentissaient au loin, repris par des voix plus proches. La rumeur atteignît les gardes tout proches : Alaric venait de rendre son dernier soupir, La Grand Nécromancien n'était plus.

La stupeur, l'inquiétude, et enfin le désespoir passèrent sur le visage de Théodohad qui, droit comme un « i » essayait de trouver quelque chose dans la cellule d'Alaric sur lequel accrocher son regard, n'importe quoi, un objet d'usage quotidien, d'une simplicité presque bête, quelque chose qui n'implique ni mort, ni  complot, ni assassinat, ni politique.

Galswinthe se redressa, un air déterminé dans les yeux. Rien à voir avec l'attitude raide et hésitante de son entrée dans la cellule.

-Que savez-vous sur ce qui a tué Alaric, Théodohad ?

Le jeune prêtre était figé. Absent. Galswinthe lui saisit les épaules, ses yeux gris dans son regard émeraude.

-Théodohad ! Le temps nous est compté ! Dites-moi ce que vous avez découvert.

-Je ne sais toujours rien sur vous, Galswinthe... Comment être sûr que... Et puis il est trop tard maintenant, Alaric est mort. Je ne vois pas bien ce qu'on pourrait encore faire !

-La mort d'Alaric n'est pas l'aboutissement des funestes projets des ennemis du Darkenrealm, au contraire, ce n'est que le début ! Je ne sais pas encore qui, ni comment, mais quelqu'un convoite la place de Grand Nécromancien, et ce dans le but de conclure une alliance avec le souverain du Royaume d'Abhysseis, et de faire tomber le Darkenrealm sous la coupe de Cyric. Tout ne sera bientôt plus que cendres, douleur et pourriture si nous n'agissons pas rapidement. Nous sommes seuls, Théodohad ! Elle se secoua légèrement à cette dernière injonction.

-Alors vous savez que la mort d'Alaric n'est pas naturelle ? Mais comment ? Et cette histoire d'alliance ? Vous trempez dedans jusqu'aux...

-Ne dites pas de bêtise ! Comment ces informations me sont parvenues serait un peu difficile à expliquer, disons que j'ai vu des choses, de manière répétée, des images très précises, jusqu'à tout à l'heure, ici même, sous vos yeux...

-Des visions ? C'était donc ça vos convulsions et cet état comateux... L'intérêt de Théodohad était piqué au vif.

-Vous me croyez ? Enfin je veux dire, cela vous parait réel ?

-Savez-vous d'où elles vous viennent, ces visions ?

-Vous allez me prendre pour une illuminée : de Sylvanus.

-S... Sylvanus ? Théodohad écarquilla tellement les yeux qu'il dût cligner des paupières plusieurs fois de suite. Tout ceci prend une ampleur phénoménale ! Mais je crois que j'ai une des pièces manquantes de votre puzzle : Voici les notes d'Alaric, il lui tendit le carnet, celles de ses dernières heures de conscience. Il y énumère ses symptômes, mais je n'ai pu trouver le sortilège qui a pu le mettre dans un tel état ; il y établit aussi une liste de ses potentiels meurtriers, mais d'après ce que vous me dites, un nom sort du lot...

-Maitre Wido Leighwap! Dévot de Cyric !

L'exclamation de Galswinthe dût s'entendre par delà les murs de la cellule, car aussitôt des pas s'approchèrent en hâte, accompagnés du cliquetis métallique de l'équipement des gardes. Galswinthe n'eût que le temps d'étouffer la bougie entre deux doigts recouverts de salive pour qu'elle ne libère pas l'odeur de la mèche brûlée, et d'appuyer sur la tête de Théodohad pour le cacher sous le bureau, et elle était là, debout au fond de la pièce et bouche bée, quand les trois sentinelles déboulèrent torche en main.

-Oh j'aimerais tellement être invisible ! Pensa Galswinthe en fermant les yeux.

-Ya quelqu'un là dedans ? Montrez-vous !

Deux des trois hommes entrèrent inspecter les lieux pendant que le troisième bloquait la sortie. La cellule n'étant pas bien grande, ils eurent vite fait le tour, et Galswinthe, qui n'avait toujours pas rouvert les yeux, fût surprise de ne pas sentir une main à la poigne rustre la saisir par chaque bras pour la trainer dans un cachot. Elle se risqua à relever une paupière, et vît les gardes passer à côté d'elle sans la voir. Presque aussitôt les paroles du Dieu Sylvanus lui revinrent en tête «Tu disposeras d'une partie de mes pouvoirs pour te permettre de mener à bien cette mission ». Elle ne pût s'empêcher malgré tout de retenir sa respiration tandis qu'un sourire de satisfaction se dessinait sur ses lèvres.

-Pff, tu as encore du forcer sur la bouteille, Beneoit, ya personne ici ! Se moqua l'une des sentinelles en tapant dans le dos de son collègue, Et ils disparurent derrière la porte close.

-Il faut sortir d'ici, Théodohad, chuchota-elle à son complice, j'emporte les notes d'Alaric, retrouverons-nous à l'extérieur du palais, nous serons plus tranquilles. A l'Auberge de la Sirène Endormie, à l'aube. Sortons séparément.

Glaswinthe se dirigea vers la porte la première, y colla son oreille, et n'entendant rien de suspect derrière, tourna la poignée. Elle entendît Théodohad balbutier un merci dans son dos quand elle la referma derrière elle.

Elle reprit le chemin inverse de celui qui l'avait menée jusqu'ici, sans rencontrer plus d'encombre. Elle sentait son cœur battre dans ses tempes. Il lui fallait mettre de l'ordre dans ses idées. Le temps leur était compté, et elle ne savait même pas encore comment elle allait sortir du palais en pleine nuit sans se faire repérer par les gardes. Mais elle devait repasser par sa cellule d'abord, et y prendre son grimoire ; elle ne savait pas grand-chose de ce qui l'attendait, mais cela pourrait bien s'avérer utile.

Livre VI.

Le corps inanimé de Désidérade dans les bras, Tharsilla pivota sur elle-même.

-Allons bon... Qu'est-ce qu'il se passe encore ? pensa-elle.

La brise souffla plus fort, emportant poussière et feuilles dans son sillage, tourbillonna à quelques pas de Tharsilla, révélant peu à peu une silhouette féminine.

L'apparition avait les cheveux faits de mousse, de brindilles et de feuilles de lierre, les yeux couleur verts d'eau animés d'une vigueur presque animale, et une longue robe verte tissée de brins d'herbe et de lichens.

Tharsilla ouvrit de grands yeux, se raidit, et, dans un geste lent, posa délicatement la dépouille de la villageoise sur le sol, et mît un genou à terre en signe de soumission devant Maïlikki, Dame de la Forêt,  Patronne des rangers et alliée du dieu Sylvanus.

-Déesse. Prononça simplement Tharsilla.

-Tharsilla, lui sourit Maïlikki avant de retrouver son visage lisse et sévère. Il se passe de graves évènements. L'ordre des choses est bouleversé. Le destin du monde dépend de la décision que tu vas prendre.

-Montre-moi le chemin Déesse. Je suivrai la voie que tu m'indiqueras.

-La place de cette enfant n'est pas dans l'Autre Monde. Son rôle ici est capital. Tu dois aller l'y chercher et la ramener parmi nous. Vite!

Tharsilla se redressa d'un bond, un air incrédule sur le visage.

-QUOI ? Ah désolée mais c'est impossible! S'exclama-t-elle les bras au ciel. En l'espace d'une seconde elle avait oublié toutes les règles de bienséance devant sa déesse. Mais qu'est-ce que c'est que cette histoire à dormir debout ? Je suis en pleine quête, moi ! Comme si j'avais que ça à faire ! Et puis c'est même pas moi qui l'y ai envoyé, dans l'Autre Monde, tu n'as qu'à en parler à Beshaba !

Maïlikki sursauta devant la réaction de Tharsilla, visiblement un peu déstabilisée par la virulence de cet éclat de voix. Tharsilla continua de pester en faisant les cent pas pendant que Maïlikki se ressaisissait.

-Tu sais bien que je ne peux me retourner contre les autres dieux, surtout quand ils ne font que tenir leur rôle à la perfection, comme Beshaba. De ce fait tu es la seule responsable de ce décès. Maïlikki retrouvait son aplomb.

-Minute ! Intervînt Tharsilla l'index dressé, ni le carreau qui l'a tuée, ni l'arbalète qui a envoyé le projectile ne sont à moi !

-Tu  sais bien que c'est l'impact de ton poignard dans l'épaule de cette malheureuse qui a déclenché le départ du carreau, Tharsilla.

-Mais cette chasseuse de prime me visait MOI !

Maïlikki s'efforçait de garder une mine sévère  et de ne pas lever les yeux au ciel à chaque protestation de la ranger.

-Je ne suis pas en train de négocier avec toi Tharsilla. Cette affaire est de loin plus importante que cette quête minable que tu opposes à la mission que te dicte ta Déesse et Patronne. Oublierais-tu à qui tu refuse allégeance ?

Tharsilla se radoucit, et baissa la tête en signe de soumission.

-Tu as raison, Déesse, je me suis emportée. Ma journée a déjà été bien remplie en complications et retardements. Pardonne mon tempérament impulsif, ou châtie-moi comme bon te semble.

Maïlikki esquissa un sourire devant la docilité retrouvée de la ranger.

-Ton châtiment est tout trouvé. Retrouve Désidérade Kelmedhu dans l'Autre Monde et ramène-la parmi nous. Je t'ouvre la porte des Limbes où son âme doit se trouver en attendant de pouvoir passer définitivement de l'Autre Côté.

Ce-disant, une zone de l'air qui entourait son doigt pointé dans le vide ondula jusqu'à former un passage assez grand pour laisser passer un corps adulte.

-Pour revenir parmi nous vous devrez vous rendre au sommet du Mont Putride et invoquer mon Nom. C'est votre seule issue.

Tharsilla avait encore mille protestations en tête, et c'est en adressant un regard en coin à la déesse qu'elle se dirigea vers le portail de téléportation, et en tenant sa langue.

-Ton courage et ta dévotion sont un modèle pour tes semblables, Tharsilla. Va et que le succès couronne la mission qui t'es confiée.

-Et elle en rajoute une couche !... Fût la dernière pensée de la ranger avant qu'elle ne traverse sans entrain le portail flottant qui se referma juste derrière elle. La déesse se volatilisa ensuite, emportant avec elle la dépouille de Désidérade.

Maïlikki se rematérialisa dans son Palais au milieu de la forêt céleste. Situé à l'écart de la cité des Dieux, il était constitué d'immenses épicéas vivants recourbés en un dôme verdoyant. Leurs cimes se rejoignaient, mêlant leurs branches en une architecture naturelle. La lumière filtrait par endroits le long des parois verticales, et les feuilles se découpaient en ombre chinoises dans le contre jour de ces fenêtres improvisées au gré de la poussée des arbres. Le sol était recouvert de roseaux tressés, eux même jonchés d'herbes fraiches  et d'épices odorantes. Des écureuils couraient le long des branches, se chamaillant pour une noix chipée dans un des plats posé là par une servante, ou fuyant un mouvement perçu par eux seuls. Des oiseaux de toute sortes avaient fait leur nids ça et là, et l'on entendait piailler les oisillons entre les allers-retours de leur parent parti en quête de nourriture. Il n'était pas rare non plus d'apercevoir dans un recoin une laie et ses marcassins, une biche au regard fuyant ou encore la licorne, emblème de la déesse. Aucune décoration superflue autre que la végétation elle-même ne venait compléter ce tableau. Maïlikki y était dans son élément, et n'aimait guère qu'on la força à s'en éloigner trop longtemps, encore moins qu'on l'oblige à quitter sa forêt.

Elle se laissa tomber sur son trône de branches et de mousses, satisfaite que le tête à tête avec cette cabocharde de Tharsilla soit derrière elle, et elle espérait sincèrement ne plus avoir à négocier quoi que ce soit d'autre avec cette tête de mule.

Son regard tomba sur le corps sans vie de Désidérade. Un rayon de lumière tombait sur son front pâle. Le sang qui ne coulait plus dans ses veines avait déserté ses joues à la rondeur encore enfantine. Le prétexte de cette petite était tombé à pic pour envoyer Tharsilla n'importe où ailleurs qu'à la recherche de cette maudite amulette. Et puis, Maïlikki aimait bien Désidérade, le côté pur et innocent de l'apprentie mage la rapprochait de la virginité originelle de la nature si chère au cœur de la déesse. Elle connaissait la réputation de Tharsilla, il ne faisait pratiquement aucun doute qu'elle réussirait à la ramener parmi les vivants. Cela leur laisserait un délai pour localiser cette fameuse amulette, et prendre de l'avance sur la ranger pour la récupérer avant les adeptes de Cyric.

Maïlikki convoqua ses intendants et leur donna des indications quant à la conservation de la dépouille de la jeune femme. Désidérade devait retrouver son enveloppe charnelle telle qu'elle l'avait quittée, et pour cela, il fallait ralentir au maximum le pourrissement des chairs. Est-ce qu'elle avait averti Tharsilla du délai maximal avant son retour ? Elle n'en était plus très sûre, il faut dire qu'elle n'avait pas escompté une telle joute verbale avec la ranger. Elle décida finalement qu'elle se ferait avant tout apporter une infusion de verveine, passiflore et de valériane agrémentée d'une pointe d'hydromel avant de ne serait-ce que penser à redescendre tenter une approche de la bourrue Tharsilla.

Une brume grise recouvrait le sol, et s'épaississait au loin, pour ne laisser qu'une vague idée de l'horizon. L'air était chaud, et donnait l'impression d'être trop épais pour être respiré par des poumons vivants. Une terre sableuse et grisâtre recouvrait le sol. Chaque pas en soulevait des nuages de poussière qui s'infiltrait sous les paupières, dans la bouche, et sous les vêtements. Le ciel semblait ne pas en être un mais plutôt un reflet du désert de cendres sur lequel elle se déplaçait. Tharsilla pouvait deviner des silhouettes autour d'elle, mais elles n'étaient pas assez proches pour qu'elle les discerne précisément. La plupart se déplaçaient lentement, sans but, enchainées dans une attente interminable dans ce lieu où l'idée du temps ne signifie rien. D'autres ombres, peut être arrivées plus récemment, en appelaient à leur dieu, priaient, les uns dévotement, les autres en sanglots ou en éclats de voix désespérés.

Tharsilla grimaça à la sensation du sable qui crissait entre ses dents, tenta d'adapter sa respiration à la sensation désagréable de l'air chaud qui comprimait sa trachée, et se mît en quête de Désidérade, plaçant un avant bras devant son nez et sa bouche pour se préserver de la poussière. Elle espérait secrètement ne croiser ici personne de sa connaissance, ou pire quelqu'un que sa main y aurait envoyé.

Ne sachant pas ce que les âmes réservaient aux vivants qu'elles pourraient rencontrer, Tharsilla essayait d'éviter au maximum les ombres qui déambulaient çà et là. Parfois, quand l'une d'entre elles était plus proche, Tharsilla pouvait entendre leurs murmures, monologue fou qui n'avait de sens que pour eux, ou simples gémissements plaintifs emportés par le vent jusqu'à ses oreilles. Tharsilla essaya de repousser au fond d'elle-même la question qui s'imposait à son esprit mais qui ne faisait qu'attiser sa colère :

  -Mais qu'est-ce que je fous ici ?!

Livre VII.

Galswinthe s'accorda un cycle de sommeil, elle avait besoin de toute sa présence d'esprit et de beaucoup d'énergie pour évènements à venir. Recroquevillée sur sa paillasse, elle essaya de se détendre suffisamment pour sombrer dans l'inconscience, ce qui arriva après quelques minutes malgré l'anxiété qui lui pesait sur la poitrine. Son sommeil fût visité une fois encore par des visions : La ranger que lui avait désigné Sylvanus semblait se trouver dans un lieu déserté par toute vie, un endroit gris comme la mort, et sans en être certaine elle eût l'intuition que cette contrée n'était autre que les Limbes, dans la Cité des Morts. Toutefois l'apparence de la jeune femme ne la désignait pas comme appartenant à ce monde. Elle avait l'air de chercher quelque chose, ou quelqu'un. Dans son rêve, Galswinthe ressentît la colère de la ranger. Elle crût même percevoir quelques jurons qu'elle n'avait encore jamais entendu.

 Et puis la vision devînt floue, et Galswinthe eût l'impression de décoller et de s'arracher à l'apesanteur, d'être emportée au loin, de voir des lieues et des lieues de paysages défiler sous ses yeux ; elle fût étonnée à ce moment là de réaliser qu'elle connaissait parfaitement les provinces qu'elle survolait, alors qu'elle n'avait pas le souvenir de les avoir jamais visitées à l'état de conscience. Elle reconnut d'abord son propre royaume dont elle s'éloignait de plus en plus, le Darkenrealm, partagé entre la Forêt des Centaures épaisse, impénétrable et habitée de mille légendes, la grande plaine, terre agricole, qui entourait la cité de Blackwizardon, résidence des Sorciers Noirs, et la contrée des Hautes collines au sud.

Elle survola ensuite la Terre des Grands lacs qu'elle connaissait en pleine guerre civile mais qu'elle vît ici à feu et à sang : son esprit y fut assailli par des images de violence et de mort, les mêmes qu'elle avait reçu auparavant concernant l'avenir du Darkenrealm. Elle se rapprocha de l'enceinte d'un château dans la cité de Greatenlake, sembla en traverser les murs, et y vît des hommes portant les habits des Mintreks des Grands Lacs dans une grande salle faisant face à une délégation de chevaliers du Darkenrealm et en pleine querelle, les chevaliers affichant un air triomphant face à la mine défaite des Mintreks. Mais son rêve l'emporta plus loin encore, par delà les frontières du royaume d'Abhysseis, sur les terres maudites régentées par les adeptes de Cyric. Là, au milieu d'un palais luxuriant débordant de richesses ostentatoires, elle vît Clodomir D'Abhysseis, enfin sa vision lui souffla que ce fût lui, en pleine concertation avec les mêmes chevaliers de la délégation du Darkenrealm qu'elle avait vu précédemment en confrontation avec les Mintreks des Grands Lacs, semblants conclure un accord, le scellant par des poignées de mains et des échanges de parchemins. Même si elle ne pût lire leur contenu, elle eût d'emblée conscience des mots qu'ils renfermaient.

Galswinthe fut de nouveau arrachée à la pesanteur, et voyagea vers le sud d'Abhysseis. Soudain, sa vision plongea en piqué, et elle hoqueta de surprise, se débattant presque dans son sommeil devant l'image du sol qui se rapprochait d'elle : elle allait s'écraser ! Mais elle traversa le sol comme elle était passée à travers les murs des palais, et se retrouva dans une galerie souterraine noire et humide, avec cette odeur de moisi qui vous pénètre jusque dans la bouche. Sa vision avançait si vite qu'elle n'avait pas vraiment le temps de noter tous les détails, mais elle avait conscience qu'elle saurait retrouver l'endroit : tout se gravait de manière indélébile dans sa mémoire. C'était comme si toutes les informations avaient toujours été là, et que quelqu'un venait juste d'allumer la lumière.

Elle dévalait les couloirs de ce labyrinthe de pierre, toujours plus en profondeur, la chaleur devenant plus lourde, plus étouffante. Parfois elle traversait une salle plus large, plus fraîche, un lac souterrain ou des cultures de champignons, et croisait même des créatures étranges, des araignées géantes dévorant quelque gobelin pris dans une toile gluante, des duergars piquant la roche à la recherche d'une gemme brillante, et puis, enfin, elle déboucha dans ce qui sembla être une cité taillée à même la montagne, une ville immense dans une caverne dont on ne voyait pas le fond. Des  tours étaient bâties dans des stalagmites géantes, d'autres annexes de maisons se logeaient dans des stalactites  tellement larges qu'une seule aurait suffit à loger une famille humaine.

Mais aucun humain ne serait assez fou pour venir s'enterrer si profondément dans la montagne, et aucun humain ne pourrait survivre parmi les créatures qui s'ébattaient sous les yeux de Galswinthe, des créatures aussi sombres que maléfiques, puisqu'il s'agissait de drows. La vision de Galswinthe la dirigea vers une bâtisse plus haute que les autres  gardée par des soldats armés jusqu'aux dents. Après avoir traversé plusieurs séries de murs de roche brute, elle atterrit dans une pièce circulaire éclairée par des torches. La pierre dessinait des arches sur la périphérie de la salle, tout autour d'un pilier central taillé dans la roche du sol et d'une hauteur d'environ trois bras. Sur le sommet  plat du pilier était déposé une amulette recouverte de symboles terrifiants et de runes que Galswinthe ne pouvait déchiffrer. L'objet était protégé par une puissante magie qui dessinait une cloche lumineuse et transparente tout autour de lui. Ce n'était pourtant qu'une vision, qu'un rêve, mais Galswinthe ressentît en cet instant tout le pouvoir de suggestion du bijou sur lequel ses yeux circulaient, et mille et un désirs vinrent inspirer les pires images dans l'esprit embrumé de l'ensorceleuse, qui s'éveilla dans un sursaut.

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