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A la recherche de mon visage par zenaidi

A la recherche de mon visage

 

Il m'arrive des fois de me détacher complètement de moi-même, de m'oublier, de rayer certains détails de ma vie quotidienne. Je peux passer des semaines entières sans me regarder dans une glace, sans savoir à quoi je ressemble et quel masque je porte. Je ne peux dire si ma barbe est rasée ou pas, si mes cheveux sont peignés ou s'ils sont à l'état sauvage. Je ne m'attarde plus sur les détails et je ne cherche même pas à savoir quel être dissimule mon visage. 

Ce matin au réveil, j'ai l'impression que quelque chose de bizarre vient de se passer, je me sens intrigué, dérouté, mal à l'aise. L'envie de me réveiller, d'aller au travail me manque. L'odeur du café qui me bouche les narines ne réveille aucune sensation en moi. Moi, le vétérinaire plein d'élan et de zèle pendant vingt ans, je me sens ligoté au lit, apathique, démuni de tout désir... J'ai toujours ressenti un amour incomparable pour les animaux que je soigne. Je connais leurs maux, je partage leurs souffrances, j'allège leurs peines. J'ai vu naître leurs petits, mourir les plus faibles. Je me rappelle de leurs noms, de leurs couleurs. Blotti dans mon lit, je revois «Tonnerre», la vache noire que je n'ai pas réussi  à sauver. Je la revois se débattant d'une manière frénétique poussant des cris fous et tournant en rond sans s'arrêter. Deux grands gaillards travaillant à la ferme ont dû lui administrer une forte dose de calmants.

 A ma grande surprise, «Tonnerre» a recommencé sa ronde de plus belle, les yeux en braise, sortant de leurs orbites, la douleur lui donnant une force incompréhensible. J'ai été complètement incapable de la maîtriser, de l'aider, d'alléger sa souffrance. D'ailleurs, je n'ai jamais compris la raison de son état. 

J'ai passé deux journées infernales à la surveiller, à la voir se détruire, à partager sa douleur. Je n'arrive pas encore à oublier le moment où« tonnerre» s'est arrêtée de tourner, a regardé dans ma direction, les yeux pleins de larmes, le corps baignant dans la sueur. Elle m'a fixé, implorant mon aide pour la dernière fois. J'ai levé les bras en signe de désolation, d'incapacité. J'ai refermé les yeux pour ne plus affronter son regard plein de souffrance taciturne. Je l'ai entendue gémir, pousser des soupirs. J'ai eu la chair de poule et je me suis senti «vachement»mal à l'aise. Quand j'ai ré ouvert les yeux, j'ai vu«Tonnerre»par terre, la bouche pleine de boue.

«Tête de mule», «Gueule de chien»! Qu'as- tu fait de tes longues années d'études, de ton expérience, de ton savoir? Pourquoi l'as- tu laissée mourir?

Quel regard portes-tu aujourd'hui sur toi-même, oh, mon visage! Te souviens-tu encore de la nuit de délire que j'ai passée après la mort de «Tonnerre»?

La silhouette de «Courage», le jeune chameau me hante pour toujours. Je l'ai fait entrer avec son maître dans la grande cour de la maison. Sa maigreur incroyable m'a laissé perplexe, ses jambes en roseaux m'ont donné le frisson. Son propriétaire m'a expliqué que «Courage» refusait toute sorte de nourriture et s'abstenait à ne pas boire. Que voulait-il exprimer par cette «grève de faim» si bizarre? Le propriétaire avait vendu la mère de «Courage»et depuis ce jour, celui-ci cessa complètement de manger.

 Cette réaction m'a vraiment bouleversé et j'ai dû consacrer beaucoup de temps pour gagner la confiance de «Courage».

Les leçons que j'apprends, les joies que je vis, les souffrances que je côtoie, que je partage, je les dois aux animaux qui sont toute ma vie. 

Donc ce matin, je vois défiler plusieurs scénarios devant mes yeux, j'ai des sensations étranges. Je ressens le besoin de bêler, d'aboyer, de meugler...Je n'arrive pas à m'en débarrasser. J'essaie de sortir du lit, mais je me sens maladroit, balourd...Enfin, j'arrive à me lever et me diriger vers la salle de bain. J'ai une envie folle de pisser dans mon pantalon. Le liquide chaud coule le long de mes jambes. Aucun sentiment de honte ou de remords ne m'assaillit. Au contraire, cette sensation d'humidité et de tiédeur suscite en moi un plaisir sans égal. D'un geste nonchalant, je passe ma main sur mon visage et je réalise que quelque chose vient de se passer.

Depuis combien de temps ne t'ai- je pas vu, oh, mon visage ? Quel masque porte-tu aujourd'hui ? Combien de fines couches dois-je décoller pour pouvoir trouver ma face ? De quels yeux vois-tu le monde ce matin ? Te reconnais-tu ou es-tu à la recherche de ton visage perdu ? Je voudrais qu'à nous deux, nous pourrions une fois pour toute dévoiler ma vraie face...L'idée de me regarder dans le miroir de la salle de bain me vient à l'esprit comme un souvenir lointain. Une forme totalement inconnue se présente devant mes yeux. Un visage complètement métamorphosé, une forme bizarre...Un grand museau, deux longues oreilles semblables à celles d'un loup ou d'un chien loup, deux grands yeux noirs comme ceux de «Tonnerre» et des poils recouvrant tout le visage !

Je n'arrive pas à m'identifier à ce personnage étrange et à croire que ce n'est que mon image reflétée dans le miroir. Je me frotte les yeux pour chasser ce cauchemar, mais à ma grande frayeur mes bras recouverts de poils de chameau m'affirment la réalité de ma forme bizarre.

J'essaie de faire des grimaces, de sourire pour échapper à ma nouvelle image mais il paraît que je serai «la brebis galeuse» de ma famille ou «le bouc émissaire» de la science.

  «Nom d'un chien !» Que pensera ma femme de moi ? Douce comme une «chatte», elle a toujours été ! Le sera t-elle pour longtemps? J'appelle ma femme pour me rassurer, pour me prouver le contraire de ce que je suis devenu. Seuls des cris incompréhensibles sortent de ma bouche d'où apparaissent des crocs.

Ma femme, sans doute effrayée par ces cris bizarres vient me rejoindre. Elle recule hors de la salle de bain en se cachant les yeux, sa réaction, mieux que n'importe qu'elle autre chose, vient de me prouver que mon cauchemar est bien réel. Elle reste immobile, saisie de sanglots, incapable de croire à la réalité des choses. 

«Oh, mon Dieu ! Qu'as- tu fait de lui ? Que lui arrive t-il ? Suis-je dans un mauvais rêve?»

Puis elle perd connaissance.

 Je vois ses belles jambes lisses s'allonger, se recouvrir de poils noirs, aussi noirs que les poils de «Tonnerre», ses oreilles se transformer en cornes aussi fortes que celles de «Boxeur», le boeuf que j'ai sauvé d'une mort certaine. Ahuri, je m'enferme dans la salle de bain pour éviter de m'exposer aux regards indiscrets des villageois. Je revois toute ma vie défiler devant mes yeux de «Tonnerre».

Oh, «la vache» ! J'ai une «faim de loup». J'ai envie de mordre, de croquer. J'enfonce mes canines blanches et aiguisées dans mon bras bien musclé et je mords de toutes mes forces. Du sang bouillant me remplit la bouche. Je ne ressens pas le besoin de vomir, de m'évanouir.  

Je revois des scènes où mon père égorgeait des poules alors que j'étais encore tout jeune.

  J'éprouvais un plaisir énorme à voir jaillir du sang et j'étais fasciné par la vue des poules égorgées qui continuaient à courir, sans têtes. Elles couraient de plus en plus vite, sans doute dans une tentative d'échapper à leur sort. L'instinct de vie les rendait plus combatives, plus énergétiques. 

Je contemple mon nouveau visage défiguré, transformé. J'essaie d'en décoller une couche mais je la trouve tellement ajustée aux autres, tellement fine qu'il m'est impossible de décoller une seule lamelle. Les couches s'emmêlent, se confondent en épousant la forme de mon visage.

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Style : Nouvelle | Par zenaidi | Voir tous ses textes | Visite : 761

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pseudo : Amri

regarde encore dans la glace...