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Les p'tits soldats par FONDEUR

Les p'tits soldats

Les p'tits soldats

Souvent le soleil et la chaleur donne à cette journée un éclat particulier, plus encore, peut-être, que la commémoration elle-même. Tout le monde s'y prépare un peu à l'avance, les uns répètent et répètent encore, d'autres sortent l'album de photos un peu jaunies où l'on voit les plus anciens parader entourés de leurs camarades.

Tiens, cette année là il pleuvait, tu te souviens. Les fruits étaient hors de prix, tout avait été noyé par les trombes d'eau qui ont inondé le sud de l'Europe durant une bonne semaine.

Tiens, et là, l'année dernière, tous ces chefs d'Etat à la Tribune Officielle, on les voit bien.

Faut dire qu'on était près l'année dernière. Tout près.

Je me souviens que, petit, il aimait jouer avec ses figurines en plastique. Reconstituant des scènes de batailles en action. Plaçant ici la jeep et là le tireur d'élite, cachés dans les herbes, les commandos prêts à l'action. Avec ses amis, ils passaient des heures, le mercredi, une fois les devoirs faits, dans le bois derrière la maison, à faire et refaire les batailles et accrochages lus dans leurs comics petits formats. Tout le monde gagnait à son tour, sauf parfois quelques soldats qui disparaissaient dans les herbes et qu'ils ne retrouvaient plus au moment de rentrer. Disparus au combat, il suffisait de passer au magasin de jouets une ou deux fois dans l'année pour renouveler les petites armées, toujours prêtes au combat.

Les premiers tirs ont explosé au milieu de la nuit. A priori, c'est toujours à ce moment là, lorsque les sentinelles des premiers quarts commencent à trouver le temps long ou juste après le réveil de la relève. Ce moment, où le corps est en mouvement mais la tête est encore sur le sol ou sur les planches mal dégrossies des abris de fortune que l'on se fabrique pour s'abriter, les rêves morts que l'on essaient de ressusciter chaque nuit pour trouver le courage de recommencer. Mais nous avions été prévenus par nos pisteurs partis au coucher du soleil s'enterrer aux abords du camp, le cri de la hyène trois fois avait retenti il y a deux heures. Les sacs de sable entassés à quelques distances des rangées de barbelés encaissèrent sans broncher les premières balles.

Au collège, puis au lycée, les cours d'histoire lui firent découvrir une autre guerre que celle qu'il menait avec ses figurines, étant petit. D'un côté ou de l'autre que l'on se place, du bon ou du mauvais, des hommes mourraient, des gens souffraient, innocents ou coupables, de tout ou de rien. Il admirait cependant certains de ces combattants. Ceux qui se battaient pour défendre leur pays, ceux pour qui le mot patrie signifiait quelque chose, ceux qui connaissaient suffisamment le prix d'une vie pour donner la leur, si ce n'est pour leurs idées, au moins pour celles de leur pays et d'un idéal. Nous discutions souvent des failles de son raisonnement, les armées des dictateurs comme des démocrates pouvaient parfaitement répondre à ses critères. Il me répondait alors que les vrais soldats ne s'attaquaient jamais aux civils de leur pays. C'était pour lui une certitude.

Le fracas des tirs réels n'a vraiment rien à voir avec ce que vous pouvez entendre dans les films de guerre. Vous tentez de bouchez vos oreilles, ou vous baisser le son, en pensant que, franchement, c'est inutile d'en faire trop et que cela ne peut être aussi bruyant. Et pourtant. Tout cela n'est rien. Le bruit des armes nous l'entendons, bien sur, il déchire littéralement l'air, avant de déchiqueter les chairs ou de s'écraser avec force sur les murs en rondins de notre abri. Le bruit des armes vous ne pouvez vous y soustraire, il explose vos oreilles et nos casques, bien qu'ils amortissent les sons, vibrent à chaque tir. Le bruit des armes, impossible de lâcher son arme et de se boucher les oreilles, impossible de baisser le son. Le bruit des armes fait peur, il est là pour vous terroriser, pour qu'au milieu du vacarme vous perdiez vos sens, que vous vous leviez, jetiez vos armes et partiez en courant.

Mais nous avons déjà subit l'épreuve du feu. Dès les premiers jours après l'incorporation, le stand de tir. Le fusil semi-automatique Fa-mas, en tir couché au début, bipied déployé, car debout c'est impossible, pour les bleus. Le contact du métal contre l'épaule, le casque qui tombe sur le guide-visée fixée au dessus de l'arme. Le sergent instructeur qui hurle les consignes de sécurité. Et le premier tir. Le « chtbang » du projectile qui part s'écraser sur la cible à quelques dizaines de mètres. Le sursaut de presque tous, l'oreille assourdi, l'odeur de la poudre qui se répand peu à peu et la trouille au creux du ventre.

Il soutenait bien sur les interventions de l'Onu en regrettant que son pays et l'Europe ne disposent pas de leur propre corps d'intervention humanitaire. Il m'avait demandé de pouvoir rejoindre, avec quelques camarades, la Sécurité civile. Ce serait sa façon à lui de se rendre utile, me dit-il. Bien sûr j'avais accepté, plutôt que de le voir un peu trop souvent à la maison à lire ses revues plus ou moins militaires, à relire les humanistes ou à courir solitaire au petit matin. Depuis les plus petites écoles il faisait l'unanimité de ses camarades, si ce n'est celles de ses professeurs qui trouvaient qu'il ne travaillait peut-être pas suffisamment. Un peu réservé, il n'hésitait cependant pas à se mettre en avant pour défendre ses camarades surtout s'il pensait être le témoin d'un injustice, si petite soit-elle. La force en dernier recours, c'était déjà à l'époque sa façon de régler les conflits.

Alors, je n'aurais pas dû être surprise par son choix de carrière à l'issue de ses études secondaires.

C'était déjà la troisième attaque nocturne. Nous n'avions pas eu à riposter les deux premières fois, l'attaquant restant invisible et surtout ne s'approchant pas de notre zone de vie. Zone que nous avions délimitée à 100 mètres au delà des barbelés. Nos armes ont une portée de trois cent mètres et restent dangereuses jusqu'à près d'un kilomètre. Cent mètres, aucune chance de nous éviter, aucune chance de s'en sortir. A part les éclairs des armes, des kalachnikov AK47 de fabrication chinoise, moins fiables que les russes mais toutes aussi efficaces pour les combats rapprochés, qui nous montraient que nos assaillants étaient peu nombreux, à peine une bonne dizaine, nous n'avions vu personne. Au village voisin où nous étions allés nous ravitailler, le chef nous avait indiqué qu'une bande de pillards se déplaçait dans la région et que quelques fermiers avaient subit des dommages. Pas de morts mais des dégâts importants et surtout du bétail et des céréales emportés. Notre officier à qui nous avions transmis ces informations en avait déduit qu'une base plus importante devait se trouver à proximité, ce qui expliquerait les vols et surtout le gaspillage de munitions.

Il choisi donc de suivre des études de droit, droit humanitaire. Il espérait ainsi pouvoir réussir un concours d'entrée dans un corps diplomatique ou intégrer un organisme international humanitaire. C'est après deux années d'études qu'il changea complètement de direction.

Le souvenir de ce moment est bien présent dans nos mémoires. A l'époque, les Etats-unis étaient engagés en Afrique. Un commando avait été surpris par une attaque soudaine et, submergés par le nombre et la férocité des assaillants, ils avaient été presque tous massacrés, un seul soldat avait été laissé en vie pour témoigner mais devenu fou il s'était suicidé quelques heures  après avoir été récupéré par une équipe de secours. Le commandement local de la patrouille avait été mis en cause mais c'est surtout le manque de coordination du renseignement qui avait été mise en évidence. Après enquête, on se rendit compte que l'imminence de l'attaque des rebelles avait bien été annoncée mais que le l'information était parvenue au commandement en même temps que la demande d'intervention de l'équipe attaquée. C'est, étrangement, cet évènement qui l'incita à s'engager dans l'armée.

Nous avons été largué il y a deux semaines au nord du village, à quelques kilomètres de la frontière. En mission de reconnaissance avancée nous avions rejoint un poste de contrôle de l'Onu abandonné. Nous sommes en fait chargés d'évaluer les forces en présence dans le secteur, régulières et combattants rebelles, en évitant à tout prix le contact. Jusqu'ici nous n'avions pas croisé de trop près les groupes de combattants. Il faut dire qu'ils sont particulièrement repérables. A moitié soûls et drogués, ils tirent en l'air à tout moment ou jouent du tambour sur les barils de gasoil vides. Par contre, nous avions pu juger de l'urgence d'une intervention de forces humanitaires pour protéger les civils. Les rebelles ne s'étaient pas contentés de piller les fermiers, comme nous l'avait dit le chef de village, ils se payaient sur l'ennemi, ils avaient bien sûr tués quelques hommes et jeunes garçons pour l'exemple. Leur but, terroriser les survivants pour éviter leur ralliement aux forces gouvernementales.

J'éprouve de la haine contre ces hommes et ces femmes en armes qui attaquent sans raisons des civils. Je lutte contre ce sentiment. Un bon soldat doit faire preuve de sang froid. Je repense à ma mère que j'ai laissée il y a six mois, seule avec mon jeune frère dans son appartement au centre de cette petite ville du Haut Var. En opération spéciale, impossible de lui dire où je suis, ce que je fais, ce que je vois, les gens que je rencontre. Interdit d'écrire et de communiquer. Défense d'approcher de la vie.

Pour ce qui est de la discrétion, s'est raté, les attaques des deux dernières nuits montrent que nous ne sommes pas passés inaperçus. Le problème, c'est que nous ne sommes pas équipés pour tenir un siège. Nous avons peu de munitions, disposons d'eau et de vivre pour seulement trois semaines. Les attaques contre le poste isolé étaient probablement organisées pour nous fixer sur place et nous empêcher d'intervenir pour défendre les fermiers. Ils ne se doutaient pas que nous ne pouvions pas intervenir.

J'ai bien tenté de le dissuader de suivre cette voie. Personne dans la famille n'est militaire. Ni pour, ni contre. On regarde le défilé à la télé, et, si on est en vacances on va le regarder dans une des petites villes du coin. Tout cela nous paraît si lointain. Ces guerres, ces accrochages, ses missions à l'étranger, en extérieur comme ils disent. Tout le monde se presse, content de voir ces visages burinés, sérieux. Le regard droit devant, déterminé. On devine au nombre de médailles accrochées à la poitrine qu'ils ont connus ces champs de guerre, ces théâtres d'opérations où l'avenir de l'humanité se construit dans la souffrance. Je ne sais pas trop pourquoi l'on parle de théâtre pour ces jeux de massacres. Pourtant rien n'est écrit à l'avance, ni la pièce, ni le nombre d'actes et les acteurs s'ils répètent tous, ne sont pas tous là pour voir le rideau retomber.

Mais rien n'y a fait. Il avait trouvé là un sens à sa vie. Défendre son pays et au-delà les hommes. En intégrant une unité de renseignement militaire il pourrait à la fois rejoindre son idéal de combattant pour la paix et, l'espérait-il, sauver des vies en empêchant des conflits ou plus modestement en sauvant celles de ces camarades.

J'ai compris que la situation allait se compliquer au bout d'une vingtaine de minutes lorsque qu'une grenade explosa juste à quelques mètres devant moi. Le souffle souleva le sable et le projeta violemment par dessus les sacs de protection. Je roulais sur moi même deux ou trois fois  pour éviter la deuxième grenade qui ne devrait pas tarder à arriver, la première ayant permis au tireur de caler son tir. Ma veste est humide. Du sang. Pourtant je ne sens rien, je ne suis pas blessé. Je regarde autour de moi, personne n'a l'air touché. Mon regard se porte vers le sac de sable dont les bords déchiquetés sont couverts de sang. Une masse sombre roule. Je distingue, horreur, la tête du chef du village voisin que nous sommes allez voir dans la journée. Je respire tant bien que mal au milieu de la poussière qui retombe. Technique d'intimidation. Les rebelles sont donc arrivés jusqu'au village et si la tête du malheureux chef de village est arrivée jusqu'ici c'est qu'il a parlé. Pas de deuxième grenade. Quelques secondes après l'explosion de la grenade, j'avais entendu le bruit sourd du fusil de précision FS 12.7, le sniper du commando avait fait mouche-touche comme à chaque fois.

Il va falloir se replier d'urgence. Mais avant, il faut évaluer plus précisément le nombre d'assaillants et surtout savoir s'ils appartiennent aux forces régulières ou aux rebelles. C'est ma mission, c'est mon rôle dans l'équipe.

J'ai lu et relu cette lettre de nombreuses fois, et même si j'ai tenté de la préserver je n'ai pu empêché l‘encre officielle de souffrir comme moi des maux de douleurs qu'une main si lointaine à écrit pour moi. « Disparu au combat » - « la patrie reconnaissante » - « service exceptionnel » « médaille ». Et surtout ce mot, qui vient battre dans ma tête au rythme de mon cœur qui a ralentit brutalement, me faisant plier les genoux, lâcher la lettre, « posthume ». Ainsi, moi qui ne savais déjà pas où il vivait, ce qu'il faisait tout ce temps parti à sauver le monde dans des endroits interdits, je ne saurais pas non plus où il a disparu. Je ne pourrais me lui faire un dernier signe, lui dire que j'avais toujours compris son engagement même si au fond de moi j'avais envie de lui hurler que sa place était près de moi à s'occuper de son frère, à se marier avec une jolie mademoiselle, à mourir comme tout un chacun à un endroit que tout le monde connaît. J'ai reçu un dernier témoignage de son chef de corps, en mission avec lui et qui l'a vu pour la dernière fois, juste avant qu'il ne disparaisse dans la nuit. Il paraît qu'il souriait, le pouce levé pour annoncer son intention d'aller plus en avant, prévenant ses camarades et éviter ainsi un tir mal ajusté. Mais je sais qu'il avait peur. Il avait laissé son arme dans le sable.

J'ai répondu à l'invitation, je me suis déplacée avec mon, désormais seul, fils et nous nous sommes assis dans les tribunes, les premières, celles qui sont proches de la tribune officielle. La Nation reconnaissante invitait les familles endeuillées, mais fières disent-ils, à assister au défilé du 14 juillet. Le Président, et peut-être même sa jeune épouse, viendraient les saluer, à l'issue de la cérémonie. Ils sont bien passés, serrant des mains, chaleureux et sincères. Lorsqu'ils sont repartis, dans le tourbillon des caméras et des journalistes, les uns en voitures, les autres en car, nous sommes restés quelques uns un peu déboussolés. Un petit oubli dans les invitations et nous n'avions pas été conviés à la petite réception organisée dans les jardins de l'Elysée. Inutile, bien sur, d'accabler la secrétaire qui avait dû, la pauvre, travaillé dans l'urgence pour nous ajouter au dernier moment. Les morts et disparus au combat, on ne peut pas trop les prévoir, n'est-ce pas ? Et puis nous n'aurions pas été à l'aise avec toutes ces belles gens si importants.

Dans le train, au retour, j'ai sorti de mon sac à main, ce joli sac qu'il m'avait offert avec sa première solde, la petite boîte bleu et blanc et rouge et j'ai pleuré doucement pour ne pas réveiller son frère assoupi à côté de moi, la tête sur mon épaule, la bouche entrouverte qui laisse échapper un petit filet de salive. Quelle est belle cette médaille, elle attrape les derniers rayons de soleil et me fait cligner des yeux, une bonne excuse pour sortir mon mouchoir, une bonne excuse pour mon, désormais seul, fils qui s'est réveillé.

En rentrant, après la soupe, je suis montée au grenier. J'ai sorti les boîtes de petits soldats usagés de son enfance, et, dans ma petite réserve à cadeau, vous en avez une aussi ?, j'ai retrouvé une boîte neuve que je gardais toujours, au cas où, après le jeu, quelques soldats aient disparus dans les herbes.

Que je puisse, sans attendre, faire renaître un sourire d'enfant.

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Commentaires :

pseudo : bijoucontemporain

ton texte fait mouche.