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Le conte du petit scribe qui avait perdu ses mots (dernière partie) par w

Le conte du petit scribe qui avait perdu ses mots (dernière partie)

       (...)

       Les ténèbres régnaient en maîtresses absolues dans l’hypogée, mais à peine eut-il posé ses pieds à l’intérieur que le glaive Khépesh s’illumina puissamment, un jaune doré éclatant qui éclaira le chemin de Youya. Ce dernier marcha à petits pas.

       Il se trouvait dans une gigantesque anfractuosité profonde et sinueuse dont les parois étaient recouvertes de peintures et de bas-reliefs représentant les fils de Ramsès. Ceux-ci avançaient les bras tendues vers les différents dieux du panthéon égyptien qui étaient dissimulés dans l’ombre : ici, Khâemouaset  le premier archéologue de l’Histoire   qui allait vers Osiris ; là-bas, Mérenptah le prince qui succéda à Ramsès sur le trône dont les mains étaient jointes à celles d’Horus. Partout brillaient les ocres, carmins et safrans sous les yeux étonnés de Youya. A chaque recoin de ce dédale de pierre se trouvaient des salles funèbres où reposaient les momies des enfants de Ramsès. Mais nulle trace de la déesse cobra ou de la fille de Pharaon.

       Cela faisait maintenant plus d’une heure que Youya tournait en rond dans ce labyrinthe sans fin lorsqu’il perçut un son cristallin au lointain. C’était une voix, une voix de femme. Il se mit à courir en sa direction. Il arriva au seuil d’une antichambre dans laquelle s’agitaient des ombres étranges. Il s’arrêta un instant, le temps de reprendre son souffle, puis avança d’un pas.

       Ouadjet était là. Enorme. Son long corps visqueux était recouvert d’écailles verdâtres et, au bout de son interminable queue, se trouvaient un sistre d’argent qui tintait de manière lugubre dans cette petite pièce. Sa tête était gigantesque, son œil unique injecté de sang, son museau acéré et sa denture longue et pointue de laquelle dégoulinait un venin huileux. Derrière la déesse se trouvait une silhouette, celle d’une femme. Elle était jeune. Elle était belle. Néferisis, la fille cadette de Pharaon. Recroquevillée sur elle-même en train de sangloter. Le cobra divin ouvrit la gueule et une odeur pestilentielle s’en dégagea.

       ─ Qui ose ainsi profaner mon sanctuaire ?

       ─ Je me nomme Youya, je suis scribe du roi.

       ─ Que cherches-tu ?

       ─ Je suis à la recherche de mes mots.

       ─ Le mot que je vais prononcer sera le dernier que tu entendras : … meurs !

       Ouadjet se jeta sur Youya sans que ce dernier ne s’y attendît. Il eut juste le temps de parer l’attaque de son ennemie en plaçant son glaive devant le visage. Les crocs de la déesse cobra crissèrent sur la lame de bronze en un grincement strident. Le jeune scribe recula d’un pas et se mit en garde au moment où le serpent lança sa seconde attaque encore plus puissante que la précédente. A plusieurs reprises, les dents et l’épée se croisèrent dans des éclats aveuglants. Youya eut beau éviter tous les coups de son adversaires, il lui fut impossible de lui percer le flanc. Tout à coup, alors qu’il s’occupait du visage de la bête divine, cette dernière le frappa de sa queue violemment. Il fut projeté contre un bas relief et s’écroula par terre. Le Khépesh avait heurté le mur et s’était brisé en deux. La lumière qui en émanait baissa graduellement. Bientôt, sous les pleurs de Néferisis qui voyait son sauveur battu, les ténèbres enveloppèrent l’antichambre. Youya était affalé sur le sol, incapable de bouger. Il était défait. Il allait mourir.

       Ouadjet rampait lentement vers son adversaire anéanti qui poussait une plainte assourdissante due à ses souffrances. Au moment où la déesse cobra ouvrait la gueule pour enfoncer ses dents venimeuses dans la chair du jeune homme, une lumière intense naquit sur le plafond. Elle devint aveuglante. C’est alors qu’une tête d’ibis apparut dans une volute de fumée bleue.

      « Ne désespère point, petit homme. Le dieu de l’écriture ne saurait permettre qu’un scribe périsse sous la morsure d’un cobra, aussi divin soit-il. Tiens, prends ce calame magique dans ta main et puise l’encre des yeux de ton ennemi. C’est ainsi que tes mots te reviendront. Tu ne me verras plus après cet ultime combat mais sache que je demeurerai à tes côtés à jamais pour veiller sur toi. Va, petit scribe, et triomphe ! »

       Thot se dissipa dans le brouillard bleu. Sous la lumière vive qui descendait du plafond, Youya se mit à genoux péniblement en tenant le calame dans sa main. Il ne savait qu’en faire. C’est à ce moment qu’Ouadjet se dressa sur sa queue afin de préparer son attaque finale. Elle était à deux mètres du jeune homme. Youya jeta un regard sur Néferisis et vit des larmes drues couler de ses yeux. Ce fut à cet instant qu’il eut une révélation. Il se releva soudain et se jeta sur la déesse serpent. Cette dernière, surprise par cette contre-attaque inattendue, se raidit en sifflant, le venin coulant entre ses lèvres verdâtres. C’était trop tard pour elle : Youya venait de lui enfoncer son calame dans l’œil. Un cri pénétrant déchira l’espace et un flot de sang violet gicla de l’orifice percé. Ouadjet s’écroula par terre et, dans un dernier tressaillement, cracha son venin sur Youya. Ce dernier fit un écart et demeura sauf. Ouadjet périt. Son ombre s’effaça des murs.

      Youya courut vers Néferisis et l’aida à se relever. Une fois que cela fut fait, il remarqua que le calame qui était resté enfoncé dans l’œil brillait d’une lueur étrange. Il s’approcha et, avec prudence, le retira de l’orifice. Ce fut à ce moment qu’il vit que le calame chatoyant était fait d’or pur. Lorsqu’il le prit en main, il ressentit une décharge électrique lui traverser le bras et remonter jusqu’au cœur. Néferisis lui prit l’autre main, leurs regards se croisèrent et se fondirent l’un dans l’autre. Youya prit la fille de Pharaon par la taille et la conduisit hors du tombeau.

       La nuit venait de déposer son voile opaque sur le palais et les mille feux des lampes à huile conféraient un nimbe magique à la salle du trône. Sous le regard bienveillant de Néferisis qui était blottie tout contre lui, Youya lisait son récit épique devant toute l’assistance médusée. Pharaon, heureux que le petit scribe eût retrouvé sa fille cadette, écoutait avec attention l’histoire qu’il lui contait. L’histoire s’intitulait : « Le conte du petit scribe qui avait perdu ses mots. »

FIN

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Style : Nouvelle | Par w | Voir tous ses textes | Visite : 934

Coup de cœur : 21 / Technique : 15

Commentaires :

pseudo : damona morrigan

Excellent j'ai adoré ton récit. En tant que petit scribe tu fais des merveilles ! Enorme CDC !

pseudo : w

Je suis heureux que mon histoire t'ait plu. Je me suis donné du mal pour l'écrire. Le petit scribe que je suis dépose un baiser coquin au coin des lèvres de sa sorcière préférée. Au plaisir de te lire à nouveau.

pseudo : damona morrigan

Dommage tu n'as pas rencontré mon pharaon préféré alors? C'était un poète aussi ! Encore merci à toi et re-CDC

pseudo : lutece

Merci pour ce bijou, je me suis régalée et te decerne un CDC pharaonique!

pseudo : w

Tu es très gentille lutece, je m'abreuve à tes CDC comme à l'eau du Nil. Non, damona, Akhénaton a vécu sous la 18èùe dynastie et cette histoire se passe sous la 20ème, près de deux siècles après le règne du pharaon hérétique. C'est vrai qu'il était un grand poète puisqu'il a certainement lui-même composé deux hymnes à son dieu unique Aton. Je vous embrasse toutes les deux.

pseudo : damona morrigan

Ô je sais bien, tu sais à force de traîner avec le matou, je me dis que sont deux siècles, rien du tout, et, tu verras dans les mondes parallèles le temps n'existe plus !

pseudo : w

Ma damona, j'irais bien me promener avec toi dans les mondes parallèles. Evidemment, Chéri Bibi nous accompagnerait !!! ;-)