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osmose par obsidienne

osmose

Elles sentaient bon ces fleurs.
En entrant dans l’ascenseur, j’avais bien essayé de les cacher mais elles occupaient vraiment tout l’espace, de leur odeur, de leur histoire un peu particulière et mes compagnons de gravitation les regardaient en se posant quelques questions effrayantes. À l’étage, au sixième, le couloir clair s’ouvrait devant nous, chacun s’égayait dans sa direction, enfin s’égayait gravement. Le sol était propre, la lumière douce, de jolies jeunes femmes me croisaient en me dévisageant longuement, il y avait dans leurs yeux une interrogation apaisée. On sentait qu’à un moment elles avaient dû se demander ce que l’on venait faire avec des fleurs ici mais elles avaient admis que finalement, des fleurs ça ne faisaient pas de mal, même des roses exubérantes, ouvertes ou fermées.
Au milieu de ce couloir inodore où le calme servait de tapisserie, j’arrivai à la hauteur d'une pièce aux grandes baies vitrées d’où sortaient ces jeunes filles comme des abeilles industrieuses, allant porter un peu de vie souriante ou simplement des papiers qui semblaient importants.
Quand je suis entré dans cette pièce, avec mes fleurs dans les bras, la ruche se figea. On n’entre jamais dans cette pièce si on n’en a pas le droit, et quand on y entre avec des fleurs, on se trompe d’endroit. Je venais de franchir une barrière un peu interdite. Pendant deux secondes Brassens s’est penché à mon oreille : « Avec mon bouquet de fleurs, j’avais l’air d’un… ». Mais ces femmes sont adorables et quoique cela leur coûtait sur l’instant, elles m’ont permis de leur parler, comme si mon irruption brutale dans leur monde, en les empêchant de travailler, ne pouvait avoir aucune conséquence.

« J’ai mis du temps à remettre les pieds ici. J’ai attendu d’être sûr de pouvoir le faire, pour vous remercier comme vous le méritez », et j’ai tendu mon énorme bouquet à l’une d’elle.
Là ce fut une explosion de joie et j’ai compris ce que j’avais déjà perçu auparavant : c’est dans cette pièce que l’on fabrique de la vie pour la porter dans toutes les autres chambres de l’étage. Elles avaient beau me dire que c’était leur travail, au-delà des gestes nécessaires, le supplément d’âme qu’elles y mettaient faisait comme un gâteau d’anniversaire qui se partage quotidiennement.

Leur joie ensoleillait l’étage et tranchait avec les visages graves qui flottaient autour de la pièce. Je m’éclipsais discrètement, les laissant profiter entre elles du sourire que j’avais apporté et je quittais cet hôpital qui garderait définitivement dans ses murs la dernière image d’Alice vivante.

 

 

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Style : autre | Par obsidienne | Voir tous ses textes | Visite : 790

Coup de cœur : 18 / Technique : 12

Commentaires :

pseudo : damona morrigan

Quel bel hommage ! Il n'y a pas de plus beau cadeau que des fleurs offertes alors que l'on s'y attendait pas. Texte profond et touchant. CDC

pseudo : VIVAL33

CDC

pseudo : ifrit

Offrir des fleurs à des fleurs, c'est un peu mélanger des parfums qui se complètent. C'est le parfum du bonheur...

pseudo : Mignardise 974

Superbe ... CDC !

pseudo : Blanche Plume

Bravo ! Je n'ai pas encore eu le courage...

pseudo : Claudie Becques

Voilà un texte bien écrit avec du suspens, un zeste d'humour aussi, du soulagement, de l'espoir et puis... le dernier mot. Merci Obsidienne.