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Le conte du petit scribe qui avait perdu ses mots (1ère partie) par w

Le conte du petit scribe qui avait perdu ses mots (1ère partie)

 

       Rê brillait de mille feux en jetant son dévolu sur le désert libyque dont le sable doré s’étendait à perte de vue. Les montagnes où gisaient les plus illustres pharaons crachaient une ombre mélancolique sur le Nil dont les flots ressemblaient à des larmes enfantines. Une barque accosta le ponton dans un craquement de bois sinistre et un homme vêtu d’un pagne de lin brodé de fils d’or descendit de l’embarcation. Il traversa la passerelle d’un pas pressé, puis pénétra dans le petit jardin d’une maisonnette tout en brique crue.

      Youya était sous une tonnelle de papyrus séché au bord d’un bassin de granit où s’égayaient des petits poissons multicolores. Il était assis sur un tapis de sol et maintenait un papyrus mince et léger sur ses cuisses. A la vue du nouveau venu, il déposa le papyrus par terre, se leva prestement, baissa humblement la tête et tendit les bras au ciel en signe de salutation. L’autre homme, la mine sévère, ne lui rendit pas son salut, se contenta de pointer le tapis de son doigt afin que Youya se rassît. Ce qu’il fit immédiatement.

       ─ Bienvenue, noble chambellan, premier intendant et cousin du Pharaon. Longue vie et prospérité.

       ─ Trêve de courtoisie, Youya. L’heure n’est plus à la parole mais à l’écrit. Voici une lune que le Seigneur des Deux Terres attend l’aventure épique que tu lui avais promise. Et rien ne vient.

      ─ Je m’en rends parfaitement compte, mon Maître, mais le génie de l’inspiration m’a délaissé ces derniers temps. Je n’arrive plus à tracer le moindre hiéroglyphe.

       ─ Youya, tes explications me lassent. Cesse de geindre et mets-toi à l’ouvrage. Le Pharaon donne une fête en l’honneur de Néferisis, sa fille cadette, qui s’en revient d’une longue expédition dans l’oasis du Fayoum. Elle a une prédilection pour les récits aventureux. Alors, prends ton calame en main et écrit une belle histoire qui saura la faire rêver.

       ─ Je vais essayer, mon Maître.

       ─ Youya, n’essaye pas, fais-le ! La fête se déroule demain soir à la venue de la nuit. Présente-toi au palais quelques temps avant avec ton plus beau pagne et ton texte dûment écrit.

       ─ Il en sera fait selon les désirs du roi.

       ─ Cela est dit, que cela soit fait. Sur ces mots, je te laisse car, comme à son habitude, aventureuse qu’elle est, Néferisis a quitté le palais sans autorisation et se promène on ne sait où. Je me dois de la retrouver sur le champ. Alors, à demain soir, petit scribe.

       ─ Au-revoir, noble chambellan.

      Le vieil homme fit volte-face et, d’un pas énergique, s’empressa de regagner sa barque. Alors que cette dernière s’éloignait du ponton, Youya, les mains sur le visage, ne cessait de se demander comment il ferait pour écrire un tel récit en si peu de temps.  Il saisit son calame, le trempa dans le godet d’encre noire et en plaça la pointe sur la feuille de papyrus. L’inspiration ne lui vint pas.

       Le crépuscule s’était répandu sur Thèbes et ses cent portes étaient à présent fermées. La nuit était fraîche. Youya tremblait un peu sous le clair de lune. Mais ce n’était pas le froid qui lui causait ça, c’était la peur : la peur de voir rouler sa tête sur le billot lorsqu’il avouerait au Pharaon qu’il n’avait pas pu rédiger son histoire. Il lui fallait trouver une idée, il lui fallait des mots, des mots intenses qui sauraient égayer le cœur de Néferisis. Toujours rien. Lassé par la tourmente qui régnait au fond de son cœur, il s’allongea sur une natte afin de prendre un peu de repos.

       Le ciel s’était teinté de lapis-lazuli et les étoiles saignaient d’un liquide rouge plus profond que celui de la cornaline. Le vent du désert fouettait le corps de Youya qui, au lointain, entendait les plaintes tonitruantes des morts qui le hélaient depuis l’au-delà. Ils invoquaient les démons pour qu’ils vinssent prendre possession de l’âme, du Ka, du pauvre petit scribe. Soudain, un éclair lacéra le firmament et laissa apparaître une tête d’ibis au creux des ténèbres. Une voix grave et pleine emplit les cieux.

       « Je suis l’inventeur de l’écriture et du langage, l’incarnation de l’intelligence et de la parole, le dieu des scribes. Je suis Thot. Ecoute-moi attentivement petit écrivain : l’écho de tes pleurs a résonné dans l’univers à tel point qu’il a attiré mon attention. Tel un bon génie, je daigne me pencher sur toi et te donner un conseil, toi, l’homme qui ne trouve pas ses mots. Gorge ton outre d’eau fraîche et marche dans le désert de Libye jusqu’à ce que tu atteignes la Vallée des Rois. Tu auras à affronter la soif et le venin, mais en gardant le cœur froid pour tes ennemis et le cœur chaud pour l’inconnu, tu parviendras à l’entrée du tombeau des enfants de Ramsès, fils de Sethi.  Je t’y rejoindrai. Va, petit scribe et… courage ! »

       Le tonnerre résonna dans tous l’espace et Youya ouvrit les paupières. Il était allongé sur la natte, là, dans son petit jardin. Le froid avait engourdi ses membres. Il se leva lentement, inspira à pleins poumons, puis rentra dans sa modeste demeure.

       Les mots qu’avaient prononcés Thot dans son songe étaient restés gravés dans sa mémoire, mais il n’en comprenait pas le sens exact. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il avait reçu un signe qui était son seul espoir de parvenir à écrire son récit. Il fouilla dans un coffre et pu dénicher une robe de lin qu’il enfila prestement. Il savait bien que cela ne suffirait pas à le réchauffer, il n’avait cependant aucun vêtement qui eût pu le protéger du froid nocturne du désert. Il prit son outre, se rendit au bord du Nil, puis la remplit d’eau fraîche. Il était paré pour l’aventure.

(... La suite demain :-)

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Coup de cœur : 19 / Technique : 14

Commentaires :

pseudo : damona morrigan

Ô génial, j'attends la suite avec impatience ! Et que cela soit écrit et accompli, yes CDC !

pseudo : w

Bonsoir ma damona. Je suis heureux que le début de ce conte te plaise. Au niveau de la structuration, j'ai suivi le même plan que celui utilisé pour mon conte "Le coeur de rubis", si tu t'en rappelles. Je t'embrasse très fort et te dis à bientôt.

pseudo : eglantine

W ....Belle histoire palpitante. J'ai hâte de lire la suite de cette aventure... Un grand CDC

pseudo : w

Merci à toi eglantine. L'histoire va entrer au coeur de l'action progressivement. Bisous à toi.

pseudo : lutece

Me voilà de retour parmi vous et c'est avec délice que je me plponge dans cette aventure, je m'empresse de lire la suite! CDC

pseudo : w

Je suis content que tu sois de retour, petite lutece adorée :-) Bonne lecture à toi.