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Les portes par nuage

Les portes

Une fois de plus Kate sortit brutalement de son sommeil. Elle était trempée de sueur et la chambre plongée dans le noir le plus profond ajouta encore à ses angoisses. Machinalement elle regarda l’heure ; 23 H 45. Presque l’heure du crime comme elle s’amusa à le penser. Chose curieuse, ses cauchemars étaient souvent interrompus par une sonnerie. Une sonnerie relativement douce mais soutenue, une sonnerie irréelle qui l’obligeait à se lever et à errer dans la maison jusqu’au petit jour. Ensuite elle se recouchait, épuisée, pour replonger dans un autre monde peuplé d’individus et d’évènements plus étranges les uns que les autres.

 Depuis toujours ses nuits avaient été remplies de faits incohérents et effrayants mais sa vie n’avait pas été plus reposante. A l’heure des bilans elle avait non seulement l’impression que le présent et le passé ne faisaient plus qu’un mais que ses songes en étaient le fil conducteur.

 Tandis qu’elle essayait d’enfiler sa robe de chambre une nouvelle sonnerie se fit entendre. Cette fois-ci, elle était bien réelle, elle venait de l’extérieur.

 Kate était tétanisée, quand une autre sonnerie retentit. Elle ne rêvait plus. Qui pouvait sonner à la porte à cette heure là, à cette heure précise ! Là, ce n’était plus drôle et elle se mit à descendre rapidement l’escalier pour ouvrir la porte d’entrée à son fils. Ce ne pouvait être que lui. Il avait besoin d’aide c’était certain. Cependant, elle se retînt d’ouvrir au dernier moment. Une histoire entendue à la radio lui revînt en mémoire - un homme imitait le miaulement d’un chat pour faire sortir les femmes sensibles à la détresse d’un animal. Une fois hors de leurs maisons elles étaient sauvagement agressées.

L’analogie était réelle car la sonnerie était plaintive tout comme un adorable chaton. C’était une supplique, une demande d’aide. Qui pouvait avoir besoin d’elle hormis son fils ? Non, c’était un homme maintenant et il s’assumait depuis longtemps. La personne qu’elle connaissait le mieux et qui était en difficulté, c’était elle, tout simplement.

 Elle remonta à l’étage et ouvrit la fenêtre de son atelier. Elle domina tout l’espace autour du portail. Personne. Elle chuchota « Laurent ?». Pas de réponse, un craquement de branches d’arbres cependant se fit entendre puis le silence s’installa à nouveau. La nuit était douce et elle aurait pu descendre dans son jardin pour rêvasser mais il ne fallait pas tenter le diable ou les démons qui s’y trouvaient peut être.

 Elle se laissa tomber dans un fauteuil pour reprendre ses esprits et réfléchir. Quel pouvait être la signification des phénomènes qu’elle vivait depuis plusieurs mois ?

 Kate était devenue aboulique. Sa passivité et ses angoisses devant la vie l’inquiétaient plus que tout.

Ce n’était pas dans sa nature. Elle pouvait rester assise sans rien faire pendant des heures comme si le temps qui passait ne lui imposait plus de limite. Ce n’était plus les petits intermèdes méditatifs qu’elle pratiquait de temps à autre, non, c’était comme si elle avait l’éternité devant elle. Il y avait encore une porte à franchir pour y arriver mais rien ne la pressait, elle avait encore des projets en attente et des souhaits de bonheur. Cependant, elle devait bien se l’avouer elle n’ouvrait plus, depuis longtemps, la « porte » de la réserve pour concrétiser ses rêves. Lassitude ? ou signe du destin. Elle réalisa enfin que son inaction pouvait avoir un autre sens. Ses plus beaux rêves s’étaient envolés ailleurs.

 Cette réflexion sur la « porte » la mit, également, en alerte. Que de portes ! celle de l’entrée, la plus tangible, celle de ses projets qu’elle n’ouvrait plus, et celle qu’elle devrait franchir un jour pour aller dans le monde de ceux qu’elle avait aimés. Elle avait dû mal à dire ou penser « les morts », la mort oui, les morts non. Elle n’était pas croyante mais espérait que ceux qui étaient partis avaient maintenant une belle âme et s’ingéniaient à réaliser les rêves de leur descendance. C’était des actifs qui travaillaient dans l’ombre pour le bien être des vivants. Les appeler « les morts » ne laissait aucun espoir de les revoir et cela elle ne le supportait pas.

 Kate était perplexe, et comprenait mieux son mal-être récent. La nuit les disparus venaient lui rendre visite et lui tendaient la main. Dans la journée, elle ne comprenait plus son entourage. Elle était devenue spectatrice et la vie ne la concernait plus.

 Cette existence entre deux mondes était sans intérêt. Elle était fatiguée mais devait faire un choix et rapidement car, elle en était certaine, une autre sonnerie allait retentir.

Tout de même, elle aurait aimé avant de faire le grand saut séjourner quelques temps dans une salle d’attente pour se préparer à cette éventualité.

 Décidemment tout était compliqué, la vie, la mort.. Kate se demanda si de l’autre côté son esprit pourrait prendre du repos car si cela n’était pas le cas autant rester du côté des vivants. Elle avait ses habitudes.

Avait-elle des regrets ? des remords ? pas vraiment car une bonne partie de sa vie avait disparue dans un coin de sa tête et elle qui ne croyait pas en Dieu le remercia pour ce cadeau.

 Kate eu un petit pincement au cœur quand elle pensa à celui qui avait partagé sa vie pendant si longtemps, son cher Frank. Il allait être très déçu car il avait toujours souhaité partir le premier. Une fois de plus elle allait le contrarier. Sans se surestimer  elle savait qu’il l’aimait et son départ risquait de le blesser profondément. Elle pleura un peu sur la peine qu’elle allait lui faire car elle n’aimait pas le voir souffrir mais peut être aurait-il l’idée de la suivre pour lui prouver son amour. Là-haut ou en bas, elle ne savait pas trop situer l’au-delà mais ils pourraient s’y aimer jusqu’à la fin des temps. Quel programme !

 La sonnerie, comme elle s’y attendait, se fit entendre à nouveau. Cette fois-ci d’un pas assuré, Kate franchit la porte, confiante, sans appréhension.

 Ils étaient tous là, à l’attendre, dans le jardin. Les êtres aimés vinrent l’entourer sans un mot. Comme ce contact était doux et bienveillant. Pas de paroles superflues, seule l’émotion de se retrouver était perceptible. Le ciel étoilé les enveloppa. Kate ferma enfin les yeux. pour savourer cette paix espérée depuis si longtemps. 

 La grande porte de l’entrée se referma doucement. Kate disparue dans la nuit.

 

 

 

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