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ETRANGE RENCONTRE par lutèce

ETRANGE RENCONTRE

Je sors de cet immeuble et me retrouve projetée dans le brouhaha de cette grande ville tentaculaire. Montréal, je la reconnais, j’y suis déjà venue. Sous mon bras, un énorme classeur rempli de textes et de photos, vestiges d’une autre vie. Je traverse la route, un immeuble tout en verre et en miroirs, dans lequel se reflète les maisons d’en face.
Et devant cet édifice, sur un petit muret, un jeune garçon les cheveux blonds, portant des lunettes qui lui confèrent un air très sérieux. Je ne le connais pas et pourtant, ce visage ne me paraît pas inconnu. Dans une autre de mes vies peut-être ?
Il me fixe, je sais qu’il m’attend, il a un message pour moi, je le sens, je le sais.
Je prends place à ses côtés, serrant mon classeur si précieux contre mon cœur et m’aperçois qu’il tient dans ses mains un classeur identique au mien. Mais que m’arrive-t-il ? Comment est-ce Dieu possible ? Hier encore je ne savais pas où mon esprit allait me transporter et me voilà au milieu d’une mégapole assise à côté d’un petit garçon qui a l’air comme moi de n’avoir rien à faire ici.
Un grand silence malgré les bruits de la ville qui n’ont aucune emprise sur nous. C’est comme si nous étions seuls au monde, posés dans ce décor presque surréaliste. Il plonge son regard bleu, noyé de larmes dans le mien. J’y lis une grande souffrance qui me laisse comme muette. J’aimerais le prendre dans mes bras et le consoler mais ne peux m’y résoudre, ce n’est pas ce qu’il attend de moi, je le sens bien.
Soudain, il prononce quelques mots, d’une voix bien trop adulte dans ce corps d’enfant. « J’ai vécu les souffrances du jeune Werther». Cette phrase me laisse perplexe et, comme par enchantement, je me retrouve seule sur le muret. Il a disparu. Il m’a délivré ce message qui résonne très loin au fond de moi, comme un vieux souvenir enfoui, que je tentais d’oublier. Je le sais, je la connais vaguement cette histoire, j’ai du le survoler dans ma jeunesse ce roman de Goethe qui avait suscité tant de polémiques lors de sa parution.
Je suis anéantie, bouleversée et j’ai beau feuilleter et  tourner les pages de mon classeur dans tous les sens, il n’y est nulle part question de Werther.
Je retraverse la rue pour me réfugier dans cette petite chambre et m’empresse de me connecter sur mon ordinateur. En tapant ces mots « les souffrances du jeune Werther », mon sang se glace. Quelle boîte de Pandore suis-je en train d’ouvrir ?
Je commence à lire des extraits du roman de l’écrivain allemand, et tout me revient. Ce petit garçon que le hasard a mis sur mon chemin, est en fait le jeune Werther bien avant sa terrible aventure.

Et je me retrouve dans le petit village allemand de Walheim. Dans cette demeure cossue, où là mère du jeune Werther l’a envoyé pour régler une sombre histoire de succession.
Il est attablé à un bureau, sous une fenêtre. Je me penche au-dessus de son épaule, il ne perçoit pas ma présence. Je lis la correspondance qu’il entretient régulièrement avec son ami William. Il lui parle de sa vie ici, des gens qu’il rencontre, de sa nouvelle vie.
Je ne sais comment, mais j’arrive à feuilleter son carnet dans lequel il lui décrit tout de ses journées et de ses rencontres. Et surtout de celle qui va bouleverser sa vie, ce fameux jour où il emmène la belle Charlotte dans sa robe blanche et rose au bal. Un seul regard et il sait que c’est elle qu’il attendait. Son regard s’assombrit lorsqu’elle lui parle d’Albert, son fiancé. Dans ses familles bourgeoises, on ne reprend pas sa parole. Albert est actuellement en déplacement et dès son retour des noces fastueuses seront célébrées.
Werther confie à son ami son émoi et cette nouvelle passion. Celui-ci essaye bien de le raisonner mais rien n’y fait, la mélancolie gagne sournoisement le cœur du jeune homme.
Comme tous les notables de la région, il est convié à ce mariage qui lui déchire le cœur et, reste néanmoins ami du couple.
N’en pouvant  plus de douleur, il décide d’accepter une mission loin de ce village, espérant sans trop y croire, qu’en mettant de la distance entre Charlotte et lui, il parviendra à l’oublier.
Je le suis dans ces déplacements et le voit dépérir peu à peu, rien ni personne n’arrive à le sortir de cette langueur. Je feuillette plus en avant son carnet de correspondance et arrive au moment fatidique où, de retour à Walheim il demande à son ami Albert de lui prêter une arme. Il a décidé de mettre fin à ses jours. Je sais qu’il faut que j’intervienne, cette rencontre, cet appel au secours de ce petit garçon est un signe. Moi seule peux changer le cours des choses. Il me faut agir et vite, le temps est compté, je vois déjà le corps de Werther baignant dans une mare de sang…

Je me rends dans la région de la Hesse dans la petite ville de Wetzlar, patrie de Goethe. C’est lui le « père » du jeune Werther, lui seul peut décider du sort du jeune homme, en réécrivant cette tragédie.
Il me reçoit dans son bureau. Quand je lui explique que la fin de l’œuvre telle qu’il est en train de l’écrire va précipiter des milliers de jeunes hommes, qui se reconnaitront à travers ce roman vers le suicide, il me regarde d’un air surpris et me congédie…

Je me réveille dans l’atmosphère familière de ma chambre. La respiration régulière de mon compagnon allongé à mes côtés, me fait penser un instant que j’ai rêvé. Je repousse sa main posée sur moi pour me lever discrètement. Soudain, là où mon pied devrait trouver la surface moelleuse de la descente de lit, je sens quelque chose de lisse et de froid : un classeur.
Je me lève, prends une douche rapide, il faut que j’aille voir mon amie, elle saura peut-être m’expliquer ce mystère.
Je cours plus que je ne marche sur le petit sentier qui mène à l’arrêt de tram et, essoufflée, je monte dans la rame qui vient d’entrer en station. Une place libre. Je m’y précipite et commence à feuilleter mon classeur que je n’ai pas omis de prendre. Soudain, je sens un regard qui se pose sur moi. Un jeune garçon aux cheveux blonds, portant des lunettes me sourit. Je le reconnais instantanément, c’est le jeune garçon de Montréal dans ses étranges vêtements bleus et jaunes. Pendant longtemps cette tenue vestimentaire a été adoptée par la jeunesse allemande qui se reconnaissait ainsi. Elle correspondait au courant du romantisme allemand et à tous les jeunes gens qui se reconnaissaient dans le jeune Werther. Je bondis de mon siège, mais déjà les portes du tramway se referment sur le jeune garçon qui se fond dans la foule dense à cette heure matinale. Retournant à ma place, je découvre sur le siège à côté du mien son classeur et je l’ouvre fébrilement. En grand, sur la page de garde je lis « Les amours du jeune Werther » et je me sens soudain gaie, heureuse et soulagée….

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Style : Nouvelle | Par lutèce | Voir tous ses textes | Visite : 535

Coup de cœur : 17 / Technique : 12

Commentaires :

pseudo : Karoloth

Un intéressant voyage fantastique. CDC !!!

pseudo : w

Une odyssée à la frontière de la réalité et de la fiction. Une frontière qui est franchit par delà le miroir de la fatalité. Merci lutece pour m'avoir fait voyager ainsi dans l'impossible, un impossible qui se matérialise pourtant devant mes yeux. JE t'embrassse très fort. A bientôt.

pseudo : damona morrigan

Ô si l'on pouvait changer les choses ainsi ! Bravo pour cette belle histoire, merci et CDC

pseudo : milania caétano

wawou c'est excelent comme tu arrive si bien a nous plonger dans cet écrit de l'histoire...je te remercie énormement du partage énorme CDC a toi