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L'enveloppe verte par Nuage

L'enveloppe verte

Assise sur le bord du lit, Sylvie enserre ses genoux, avec force. Les souvenirs affluent dans sa tête et elle se retient de crier. Seul, le calmant qu’elle vient d’avaler l’aidera à tenir jusqu’au coucher. Dans le salon, ses amis l’attendent et ne doivent rien soupçonner de sa détresse.

 Ses amis ? le sont-ils vraiment ? Ils sont là, comme après chacune de ses premières représentations, pour interpréter leur rôle de flatteurs patentés. Par sa seule présence, Sylvie peut redonner un peu d’éclat à cette morne soirée mais elle n’en fera rien. Sans un sourire, et d’une voix basse elle leur demande de partir car elle se sent, décidemment, très fatiguée.

 Certains, un peu éméchés, bougonnent ;  mais tout compte fait ils finissent par approuver cette idée car la reine de la fête n’est vraiment pas de bonne humeur. Sylvie peut constater qu’aucun d’entre eux ne cherche à connaître la raison de cette soudaine fatigue. Des amis ? certainement  pas. Elle ne peut leur en vouloir car, durant toutes ces années, elle les avait tenu à distance. Ce que tous prenaient pour de l’arrogance n’était en fait, pour elle, qu’une manière de se protéger.

 Sur scène, Sylvie est, sans conteste, une merveilleuse interprète mais personne ne peut imaginer que c’est dans la vie qu’elle tient son plus grand rôle.

 Demain, les critiques seront encore unanimes dans le journal. « Sylvie Quantier - la plus grande comédienne de son époque ». Depuis quelque temps sa notoriété passe au second plan et aucun panégyrique ne peut la détourner de ses douloureuses préoccupations.

 De retour dans sa chambre, son regard se porte sur l’enveloppe verte. Elle est toujours là, telle une tâche indélébile sur la commode. Elle l’avait ouverte maladroitement le matin même et jetée comme un détail, sans importance, à remettre à plus tard. Pourtant le contenu de cette enveloppe était son arrêt de mort.

 Evidemment, elle se souvient d’abord de l’appel téléphonique et enfin de cette lettre. Un détail l’avait amusé, cependant, pourquoi avait-il choisi cette couleur verte ? ce n’était même pas un joli vert. Précipitation ou manque de goût ? elle ne le saurait jamais.

 Assommée par les médicaments et le chagrin Sylvie finit par s’écrouler sur son lit. Son sommeil fût entrecoupé de cauchemars dans lesquels elle pleurait sous le halo vert d’une lampe.

 Au petit matin, la réalité s’impose rapidement à elle. Son oreiller porte encore les traces de son maquillage. Ses larmes avaient été bien réelles.  Personne pour la consoler depuis bien longtemps. Ses parents qui l’avaient toujours chérie n’étaient plus de ce monde et elle s’en réjouit presque à ce moment là.

 Dans sa tête, sur ses lèvres, un prénom revenait sans cesse : Christian.

 Quand elle l’avait connu, tous les deux n’étaient que des enfants. Ils avaient grandi l’un près de l’autre et  l’adolescence avait consolidé leur amitié. Ils avaient tout partagé et Christian n’avait pas son pareil pour la faire rire et la surprendre. C’était un charmeur né et son physique agréable avait fait le reste. Consciente du danger, Sylvie avait voulu le fuir, mais  trop tard.  Un jour, à la fois terrible et merveilleux,  il lui parla d’amour et d’avenir. Que pouvait-elle faire à ce moment là ? comment aurait-elle pu lui avouer son secret, cette abomination. Elle se tut et la mort dans l’âme, le repoussa. Profondément blessé, il était parti vers d’autres horizons, sans soupçonner un seul instant la détresse de son amie. Les années avaient passées et ils ne s’étaient jamais revus.

 Sa passion pour le théâtre avait aidée Sylvie à surmonter ce chagrin mais elle n’avait rien oublié. Un soir, alors qu’elle essayait de s’éclipser discrètement pour échapper aux demandes d’autographes, Christian était à nouveau devant elle.

 Le choc fut violent mais Sylvie se reprit rapidement et l’entraîna loin des regards. Seuls et au calme  ils retrouvèrent les mots du passé, leur complicité et le bonheur d’être ensemble. Les tempes de Christian grisonnaient légèrement, bien sûr, et son œil était moins pétillant mais c’était toujours lui. Rien n’avait fondamentalement changé semblait-il . Sylvie le crut à ce moment là.  Ils résumèrent du mieux possible vingt années de séparation. Leurs vies faites de hauts et de bas. Pour lui, la difficulté de vivre en couple, les enfants., le travail sans intérêt. Pour elle, oui, la passion du théâtre mais toujours sans amour… il était évident qu’il ne comprenait pas. Ce jour là, Sylvie, se retînt pour lui ouvrir son cœur. Ce n’était pas encore le bon moment.

 

Ils continuèrent à se voir régulièrement dès qu’elle pouvait se libérer. Le plaisir était partagé et Sylvie offrait, à Christian, ses confidences par petites touches. Puis, enfin, un soir différent des autres, elle lui révéla son lourd secret. Il fût totalement abasourdi et resta silencieux très longtemps sans pouvoir la regarder. Elle lui prit les mains pour s’assurer qu’il avait bien compris mais il se dégagea brusquement et ne trouva aucun mot de compassion à lui dire. Sylvie en fût attristée mais elle mit sa réserve sur le compte de l’émotion.

 Ils étaient adultes maintenant et tous deux étaient capables d’assumer et de comprendre la vie. Cependant, les jours suivants, elle dû se rendre à l’évidence, Christian n’était plus le même. La distance qui s’était établie entre eux n’était pas seulement physique. Leurs points communs de naguère semblaient ne plus exister. Puis, sans prévenir, il disparut.

 Un soir le téléphone sonna. Une voix monocorde lui parla de problèmes financiers. C’était Christian. Il souhaitait, qu’elle lui offre, il avait utilisé le mot « offre » , une certaine somme d’argent, en échange de sa discrétion. En résumé : un chantage.

 Sylvie avait écouté sa demande sans broncher, le coup avait été terrible. Elle le laissa parler, s’embrouiller dans ses phrases, demander pardon, il ne pouvait faire autrement…sa vie en dépendait… magnanime il lui accordait, cependant, un délai. Elle déglutit péniblement sa salive, le traita de tous les noms orduriers qu’elle connaissait et raccrocha.

 Elle était effondrée. Comment pouvait-il lui faire une chose pareille ? Ils avaient été si proches pendant tant d’années. Qu’allait-elle faire ? Sa méfiance instinctive envers la nature humaine lui avait imposé le silence tout au long de sa vie. Elle pouvait encore s’en féliciter avant le retour de Christian. Maintenant,  ce monstre allait la détruire si elle ne cédait pas à sa demande. Sa carrière évidemment ne résisterait pas longtemps à cette rumeur.

 A l’intérieur de l’enveloppe verte elle avait trouvé la précision tant attendue ; Le nombre de jours qu’il lui accordait avant de rendre publique son secret.

 Elle ne savait pas ce qui la faisait la plus souffrir. Que son secret fasse la une des journaux ou la trahison de cet homme. La trahison sans aucun doute. Cette constatation faîte, la solution s’imposa d’elle même.

 Après le chagrin d’avoir perdu son seul ami elle était maintenant dans une rage folle. Elle le maudissait, espérait qu’il meurt dans d’atroces souffrances. Au fait, pourquoi avait-il tant besoin d’argent ? elle ne lui avait pas posé la question, trop perturbée lors de son appel.

 Une idée lui traversa l’esprit et la fit rire. Peut-être que lui aussi souhaitait changer d’identité. Assurément celle qu’il avait pouvait lui faire honte. Il avait sans doute oublié qu’elle était généreuse pour avoir élaboré un plan aussi machiavélique.

 Pour transcender, au mieux, ses derniers jours de répit elle fût sublime au théâtre et étonnamment chaleureuse avec sa cour. Elle finissait même par croire que sa grande popularité la protégerait de la calomnie.

 Le délai expira. Sylvie, prête à se défendre bec et ongles contre les agressions ,  se mit à l’écoute de tous les médias. Hormis quelques communications sans intérêt et les flatteries habituelles ; rien, il ne se passa absolument rien. Le couperet tant attendu restait suspendu au dessus de sa tête mais ne tombait pas. C’était insupportable !

 A partir de cette période, Sylvie se traîna lamentablement avant d’aller jouer au théâtre et son plaisir n’était plus le même. Sa motivation, sa hargne des jours précédents avaient disparues. Qu’allait-elle faire pour retrouver un stimulus qui lui donnerait l’envie de continuer à se battre. ?

 Elle s’accorda une nuit de réflexion. Au petit matin, elle rédigea une courte lettre anonyme ,sur du papier vert, qu’elle fit parvenir au rédacteur en chef de « Théâtre Magazine » :

 « Sylvie Quentier est née des amours d’Hermès et d’Aphrodite ».

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Commentaires :

pseudo : Doudou33

Riche en suspens , magnifique , sublime !!!!!!!!! En espérant te lire bientôt . :) doudou33