Je suis fou, je ne contrôle plus le flux incessant de mes pensées insensées. Ma raison a pris le large pour une destination inconnue, prenant soin de me jeter par-dessus bord au milieu de cet océan. Je la vois tanguer une dernière fois avant d’être englouti par mes propres flots. Je coule dans une longue et lente chute. Dans la froide obscurité de mon âme, je découvre mes monstres marins. Leur gueule difforme claque à mon approche. J’imagine le rictus que font leurs mâchoires, cet appétit féroce qui les anime quand me voici à leur merci. Ils s’approchent, ils me regardent, me scrutent, cherchent la faille, l’once d’oxygène qu’il me reste ne me sert plus qu’à crier.

Quand les quelques misérables bulles qui se seront échappées de ma gorge serrée auront atteint la surface, il sera trop tard. Verriez-vous mon cadavre, il vous faudrait encore plonger assez profond pour entendre les murmures déglutissant de mon esprit. Si vous le cherchez, vous le trouverez emprisonné dans le corail comme un trésor perdu. Cette histoire, c'est mon cadavre moisi et vaseux qui vous la racontera. Je n'aurai pas la main tendue car il n'est aucune aide qui puisse me sauver. Je n'aurai pas cherché à m'enfuir car il n'est aucune issue à ma folie.

Il n'y aura que les perles sur mon visage rongé par le sel. Vous verrez gravé dans le rouge du corail, à la pointe cristallisée de ma folie : « Vous êtes allés trop loin, vous m'avez rejoint ». Et vous écouterez à travers le silence dénué de raison.