Publier vos poèmes, nouvelles, histoires, pensées sur Mytexte

Juste un coup d'oeil (fin) par tehel

Juste un coup d'oeil (fin)

Seconde partie

- Ca chlingue là-dedans ! pouffa Howie qui avait détourné la face.

- Pense à autre chose, vise-moi à quoi elle ressemble la Crent ! lui dit Jonathan en lui triturant la manche de son pull.

D’un geste lent, il repoussa le drap jusqu’au cou de la fille.  Son visage blême était d’une extrême beauté blanche et cadavérique et sur la droite, au-dessus de son œil gauche refermé, un trou difforme de peaux écarlates brûlées força le regard des deux gamins.  Ils reculèrent d’un mouvement simultané.

- Merde !  C’est dégueulasse ! hurla Jo en couvrant sa bouche de ses doigts, prêt à vomir.

- Ouais, c’est horrible ! continua l’autre en s’éloignant du tiroir grand ouvert.

Jonathan se ravisa et après une longue respiration, il s’approcha de nouveau du corps.

- Viens voir Howie, faut pas qu’on se dégonfle, on est venus pour ça ! il tira le drap d’un coup sec, découvrant complètement le corps nu d’Olivia Crent.

Howie s’approcha lentement, n’osant pas regarder par dessus le renfort de l’imposant tiroir.

- Pfouîîît ! pas mal, elle est bien roulée ! siffla Jo en souriant.  Ses yeux s’agrandissaient au fur et à mesure qu’il découvrait la topographie des reliefs naturels de la morte.

Howie risqua un oeil, se contentant juste de reluquer la poitrine ronde et généreuse de la fille.  Il s’approcha encore de quelques centimètres.

- Alors, qu’est-ce que t’en penses ?  hein ? demandait Jo en stimulant Howie de plusieurs légers coups d’épaules.

- C’est, c’est ... beau !  Ouais, c’est beau ! Howie ne pouvait plus détacher son regard des rosaces brunâtres des seins de Miss Crent, une espèce de fièvre excitante et enivrante lui noyait la tête.

- Vise-moi ça Howie, c’est pas une belle chatte ça ,  Hein Howie, j’parie que t’as même jamais osé rêver d’une chatte pareille !

Howie se décida à regarder les poils pubiens de la femme, il s’étonna car il n’avait encore jamais vu de sexe féminin pour de vrai.

- Alors Howïïïïe ! demanda Jo tout énervé.

- C’est tout noir !

- Ben de quelle couleur veux-tu que ce soit ?

- J’sais pas, j’sais plus, j’ai peur, allons-nous-en s’il te plaît Jo ! bégaya-t-il en reculant jusqu’au bureau.

- On est bloqués ici, t’as oublié ?  Allez, viens, elle est morte, elle dira rien ! plaisanta Jonathan pour tenter de persuader son compagnon.

- Allez Howie, viens, on peut même toucher, si tu veux !

- NON !  surtout pas !

- Ben quoi, y a pas de mal ! Jo avait délicatement posé son index sur un des mamelons durcis et jouait avec, en le titillant.

- Je t’en prie Jo, arrête, c’est dégueulasse de faire ça !

- Touche-moi ces poils mon vieux, du véritable velours ! dit Jo sur un ton passionné.

- JO ! hurla Howie de toutes ses forces.

- Merde alors, je bande même pas ! dit bêtement l’autre qui ne l’écoutait pas, il avait glissé ses doigts entre les cuisses de la fille et savamment, il s’était mis à rechercher cette fente magique qu’il s’était tant de fois imaginée en songes.

Howie le regardait faire, l’air dégoûté, la peur au ventre, quand soudain-

- Jjjjjjo- , zézaya-t-il en tremblant.

- Quoi ? Jonathan recula vivement, il lui avait semblé, à lui aussi, que les yeux de la fille avaient bougé.

- T’as , t’as vvvuuu ?

- Ou..ouais !

- Elle n’est pas morte Jo, elle n’est pas morte et elle va-

- Arrête, déconne pas !

Ils se mirent à courir jusqu’au fond de la salle et ils s’adossèrent contre les murs froids, accroupis dans le coin de la morgue, se serrant l’un contre l’autre.

- Bordel, c’est pas vrai, qu’est-ce qu’on va faire ?

- Tais-toi, tais-toi, si elle nous entend, elle va nous dévorer le cerveau.

- Arrête, j’ai peur.

- Tais-toi, tais-toi Howie, je t’en prie !

Ils s’étaient finalement tu.  La pièce entière semblait plongée dans une atmosphère tendue, lugubre et pesante.  Ils écoutèrent, retenant leur respiration haletante.

- Bzzzz, bzzzz.

- T’entends ?

- Quoi ?

- Ecoute !

- Bzzz, bzzz.

- Qu’est-ce que c’est ?

- C’est elle qui revient à la vie !

- Tais-toi, dis pas des conneries, c’est pas possible !

- Bzzz,bzzz.

Ils s’étaient relevés d’un bond, sans que leurs mains ne relâchent le bras de l’autre, ils avaient approché du tiroir, lentement, prudemment, les battements de leur cœur étaient si puissants, qu’ils avaient l’impression que leur poitrine allait exploser.

- Bzzz, bzzz.

Howie ferma les yeux, il n’osait plus regarder.

Jonathan examina le plafond.

- BHOU ! cria-t-il dans l’oreille de son compagnon pour l’effrayer.  Howie sursauta et machinalement, il hurla à la mort.

- Howie, du calme, j’ai trouvé d’où provient ce putain de bruit, regarde ! il avait tendu le doigt en direction des lampes grillagées.

- Quoi ?

- Les néons Ducon, ce sont les néons qui font ce maudit boucan !

Incrédule, Howie avait longuement considéré les taquets des tubes blancs, pour finalement conclure que Jonathan avait raison.

Subitement, un sourd borborygme granuleux s’échappa des poumons de la morte, déchirant l’ambiance fade de la morgue.

- Brouglp !

- Ha-a-a-a-a-a

- Au secours !

Une nouvelle fois, les garçons avaient fui, ils s’étaient précipités derrière le bureau, pour s’y cacher.

- Ha-a-a-a-a-a !

Ils hurlaient des cris de terreur bleue, angoissés par les bruits monstrueux qui émanaient du corps inerte d’Olivia Crent.

- Jo, Jo, arrête, écoute, écoute bon Dieu ! se ressaisit Howie en dressant l’oreille en direction du tiroir 70 H.

- Que, quoi ?

- C’est l’air !

- L’air ?

- Ouais, mon père me l’a un jour expliqué, c’est l’air qui s’échappe des poumons des morts, quand on les manipule !

- Tu crois ?

- Oui, ça ne peut être que ça !

Ils avaient relevé la tête par dessus le bureau et tentaient d’apercevoir le cadavre.

Howie s’avança.  Jo contourna le bureau et fit le tour de l’autre côté.

Lentement, en silence, ils s’approchaient, posant délicatement la pointe de leurs pieds sur le carrelage, pour ne pas faire de bruit, pour ne pas réveiller la morte.  Ils virent ses longues jambes nues, sa toison noire, son ventre plat, sa poitrine gonflée et-

- Ha-a-a-a-a-a  braillant tant qu’ils pouvaient, ils avaient regagné leur cachette, les joues pâles, les yeux hagards, frissonnant de partout.

- T’as vu ce que j’ai vu ?

- Ouais, sa bouche, elle est ouverte !

- Et elle était fermée hein, c’est juste hein ?

- Ouais, tantôt elle était fermée !

- C’est normal tu penses ?

- J’en sais rien, tout ce que je sais c’est que je veux m’en aller !

- Faut refermer le tiroir Howie, y a pas d’autre solution !

- Vas-y toi !

- Non, on y va ensemble, on est des potes ou quoi ?

- J’ose pas Jo, j’ai peur !

Ils longèrent le mur et, après avoir inspiré une grande bouffée d’air, ils se décidèrent à approcher du tiroir.

Howie avait pris à droite, tandis que Jonathan s’était collé contre la rangée des autres tiroirs, à gauche.  Craignant qu'Olivia Crent revienne d’entre les morts pour tout à coup leur bondir dessus, ils avançaient au ralenti, ne quittant plus le tiroir 70 H des yeux.

- On y va ! commanda Jo en poussant de toutes ses forces sur la parois beige du tiroir.  Instantanément, Howie tira d’un coup sec de sa main droite rivée à la poignée.  Le tiroir claqua en se refermant.

Précisément à cet instant, les néons s’éteignirent d’un coup.

- Ha-a-a-a-a-a , Howie, qu’est-ce que c’est ?

- Ha-a-a-a-a-a !

Ils s’encoururent au hasard, perdus dans le noir, soudain étranglés par l’obscurité qui venait de leur sauter à la gorge.

- Ton briquet Jo, ton briquet !  Allume-le !

Paniqué, Jonathan avait fouillé ses poches, ses doigts agités de spasmes maladifs avaient tout d’abord eu du mal à trouver le briquet, puis finalement, une belle flamme avait jailli.

La flammèche jaunâtre monta vers le plafond, déformant toutes les ombres qui entouraient le gamin.  Howie n’était pas loin, il était recroquevillé dans le coin, juste à côté.

- Howie, ca va ?

- Ca va ! murmura-t-il.

- C’est quoi à ton avis ?

- Panne d’électricité ? lança-t-il dubitatif.

- j’espère en tous cas.

- Schrrq, schrrq, schrrq !

- Qu’est-ce que c’est ?

- Ca vient de derrière la porte des toilettes !

- Ca va pas recommencer !  hein Howie ?

- J’sais pas, AU-SECOURS !

- Ha-a-a-a-a-a

Comme deux débiles, ils se remirent à vociférer.

- Schrrq, schrrq, schrrq !

- Aïïeee !

Le briquet s’éteignit.

- Jo ?

- Je me suis brûlé !

- Rallume Jo, rallume, je t’en prie !

La roulette du briquet grésilla et une belle flamme éclaira de nouveau le visage transi des adolescents.

- Schrrq, schrrq, schrrq !

- Qui est là ?

- Arrête Howie !

- Ben quoi, si il y a quelqu’un, il répondra !

- C’est pas normal tout ça, c’est pas normal j’te dis !

Soudain, la porte du fond grinça.  La porte des WC.

- Ha-a-a-a-a-a

- Regarde, là, qu’est-ce que c’est ?

Deux formes oblongues et fluorescentes semblaient ramper dans leur direction.

- Ha-a-a-a-a-a

- Ca fonce vers nous, Jo, ça va nous bouffer !

Une nouvelle fois, Jonathan dut lâcher la molette du briquet qui devenait trop chaude pour ses doigts glacés d’horreur.

Deux immondes reflets lugubres, remplis de haine s’approchaient en zigzaguant.

- Rallume !

- Rallume !

A un ou deux mètres au maximum, les étranges lueurs teigneuses semblaient les contempler.

- Rallume bon Dieu ! Howie avait replié ses genoux sous son menton et, sans qu’il s’en rende compte, il s’était mis à pleurer de panique.

Surgie de nulle part, comme déterrée du fin fond des ténèbres abyssales, une voix gutturale susurra: - Satan ?  Satan, c’est l’heure du repas !

- Ha-a-a-a-a-a

La lourde porte de bronze s’était entrouverte, l’ombre machiavélique d’un bras poilu se détachait à la lueur de la lune.

- Ha-a-a-a-a-a

- Satan ?

- Ha-a-a-a-a-a

Des doigts malsains et difformes cherchèrent l’interrupteur qu’ils trouvèrent sans hésiter, mais les néons refusèrent de s’allumer.  Jonathan perdit son briquet, secoué d’une peur indescriptible.

Un puissant faisceau de lumière blance fendit la morgue sur toute sa longueur et Satan accourut !

- Satan, alors mon vieux matou, t’as fait péter les plombs ?

- Douggie ? s’écrièrent les deux gamins d’une voix résolument rassurée.

- Hein ?  Qui est là ?

- Douggie, c’est Howie, le petit Howie !

Le gardien dirigea le rai de lumière dans la direction des voix, et les têtes décoiffées et blêmes des deux jeunes gaillards apparurent, l’air stupides et ridicules !

- Qu’est-ce que vous faites-là tous les deux ?

- On va vous expliquer Douggie, mais rallumez, je vous en supplie ! chevrota Howie qui n’en pouvait plus.

D’un geste magistral, le vieux Douggie s’était avancé jusqu’à la petite armoire dissimulée dans le mur et il connecta à nouveau les fusibles du compteur électrique.

- Allez les durs, suivez-moi jusqu’au kiosque, je pense que vous avez pas mal de choses à me raconter ! le vieil homme prit son chat dans ses bras et il referma la porte derrière eux.

- C’est ta clé Howie, enfin celle de ton père j’imagine.  Je suppose qu’il serait préférable que je te la rende avant qu’il s’aperçoive qu’elle manque à son trousseau ?

- Ouais, merci m’sieur Douggie ! dit-il sur un ton reconnaissant.

Les deux garçons et le vieil homme s’assirent autour de la petite table du kiosque d’entrée, ils discutèrent quelques temps encore et quand les jeunes gens repartirent, ils lui donnèrent un baiser amical, car le vieux Douggie, c’était un gars bien sympathique.

En les regardant s’éloigner et faire signe adieu de la main, il essuya une larme sur sa joue, tellement il avait bien ri en écoutant les péripéties de ses deux nouveaux amis.

Le père de Howie ne sut jamais rien de cette expédition nocturne pour juste un coup d'œil, mais à dater de ce jour-là, Howie le considéra avec plus de respect et plus d’attention, fier de lui, fier de son courage et de son savoir-faire d'embaumeur ...

 

 

FIN.

"Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur est interdite"

Style : Nouvelle | Par tehel | Voir tous ses textes | Visite : 505

Coup de cœur : 11 / Technique : 7

Commentaires :