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Maman par ghislain

Maman

Cet homme en pleurs recroquevillé dans son fauteuil me rappelle…ma mère! Depuis que j’ai fuit avec Thomas sur la route sur soleil, je ne cesse de penser à mes parents. Sans doute, ont-ils le même âge aujourd’hui que mon vieil ami?
Au plus loin que je me souvienne de ma mère, je la revois assise dans son fauteuil. Elle pouvait rester des heures dans la pénombre de sa chambre. Elle regardait au loin à travers les rideaux en voile. Je n’ai jamais su ce qu’elle regardait. Je n’ai jamais su pourquoi elle n’était pas comme les autres mamans, pourquoi elle n’était pas «normale», pourquoi on se moquait de moi dans la cour de récréation…
Elle paraissait vieille alors qu’elle avait accouché de moi assez jeune, elle n’avait pas 30 ans. Elle était frêle aussi, c’est vrai! Je pense que si je la croisais aujourd’hui, quasiment 20 ans plus tard, je la reconnaîtrais, elle n’a pas du changer d’un millimètre de peau. Quand je pense à elle, c’est toujours assise dans la pénombre de sa chambre. Les rares fois où elle quittait son fauteuil dans la journée, c’était pour se rendre chez son médecin ou son psy. J’en profitais toujours pour me glisser discrètement dans sa chambre. Je fixais son fauteuil. Avec le temps, il s’était usé. On pouvait voir l’ombre de sa présence incrustée dans le tissu vieilli. Je me mettais sur les genoux et je fixais l’horizon comme elle. Je voulais savoir ce qui pouvait justifier que je n’avais pas de mère. Je restais comme cela durant des heures… jusqu’à ce que j’entende la porte d’entrée claquer, bruit qui annonçait son retour. Je trouvais ces moments agréables. J’étais seule dans cette grande maison. J’aimais la solitude. Je n’avais qu’une hâte: grandir et atteindre cet âge magique où je pourrais vivre enfin seule. Durant de longues années, j’ai donc attendu un signe derrière cette fenêtre mais il n’est jamais venu. Un jour, j’ai décidé qu’il n’y avait rien à comprendre. Ma mère était sans doute folle, voilà tout! J’ai tourné la page. Je me suis concentré sur mon avenir. Je pouvais passer des heures à imaginer la vie après… quand la vie commencerait enfin. Je dessinais des plans de maison que j’aimerais habiter. Je cherchais dans un atlas les villes où j’aimerais vivre. Encore aujourd’hui, j’ai ce gros carnet violet où j’ai conservé tous mes projets. Je n’ai jamais fait construire cette maison dont j’avais dessinéles plans… hormis mon séjour aux Etats-Unis, je n’ai jamais vécu ailleurs qu’à Paris. Ma rencontre avec Marc a chamboulé toute ma vie très tôt, peut-être trop tôt…
Papa, lui, brillait par son absence. Je ne peux pas lui en vouloir. J’ai toujours compris que son mariage l’avait emprisonné. Chez lui régnait un silence de mort… vivant. Il ne rentrait que plusieurs heures après son travail. Plus tard quand moi aussi cette maison a commencé à me peser, je passais le plus clair de mon temps avec mes copains de lycée au café du village… et je retrouvais mon père accoudé au bar avec ses amis. Mon père était grand et fort. Cela paraît bête de dire cela aujourd’hui car toutes les petites filles voient leur père comme cela… mais le mien était vraiment comme cela. J’ai appris à le connaître à ce moment là. De 16h à 19h tous les jours de classe. A la maison, il ne parlait jamais, ne souriait pas. Quand il entrait, il déposait ses chaussures dans le hall, il enfilait ses pantoufles. Il déposait un baiser sur le front de ma mère et un sur ma joue, toujours la gauche. Il s’asseyait. Il faisait une prière. Que pouvait-il bien demander: se réveiller de ce long cauchemar? Le courage de partir?
J’ai toujours pensé qu’il priait en demandant la mort de ma mère. Ma rencontre tardive avec lui me l'a confirmée.
Ensuite, il dépliait son journal sans doute déjà lu au café mais cela lui donnait l’occasion de cacher son visage et de modifier surtout son angle de vue… comme s’il était seul, comme si nous n’existions pas, ma mère et moi. Le repas terminé, c’était mon tour de déposer un baiser sur la joue droite de mes deux parents et je montais me coucher. Ma mère, épuisée par je ne sais quoi, me suivait de très près. Mon père laissait le ménage pour Bérangère qui viendrait dès le lendemain. Il prenait la télécommande et s’affalait à son tour devant la petite boîte noire devant laquelle il s’endormait avant de rejoindre sa chambre, à l’opposé des nôtres, tard dans la nuit. Au café, mon père faisait mourir de rire mes amis et les siens. Il était devenu l’icône de mon lycée… il était vieux et drôle, quelque chose de mathématiquement impossible!

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Coup de cœur : 12 / Technique : 7

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