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naissance d'un père par curtis

naissance d'un père

  J’aurais peut être préféré écrire ces quelques lignes à la 3ème personne, utiliser « il » ou « ils » plutôt que « je » et « nous ». Mais c’est décidé, ceci sera ma dernière phrase teintée du gout amer du regret, puisque désormais, brasser de l’air en utilisant des « si seulement » ou des « si j’avais su » est vain, autant qu’il est vain d’imputer la faute à quelqu’un ou quelque chose.

J’avais imaginé, je pense, un autre scénario pour cet évènement si important… ou plutôt non, je n’avais rien imaginé du tout et c’est cela qui me plaisait au fond. Ne rien prévoir, laissé venir, faire comme bon me semble, où je veux, quand je veux et comme je veux ; avec comme seule victime de mes écarts de conduite, de mes décisions irréfléchies et de mes envies les moins avouables, moi. Je ne pense pas être égoïste, simplement jeune sans doute encore un peu immature, immaturité qui me conférait une perspective d’avenir qui tend vers la liberté mentale absolue, ce qu’on appelle l’insouciance ou parfois dans sa forme extrême la naïveté. J’aimais à me répéter « je m’efforce d’imposer à mon esprit le moins de barrières possible », ainsi, lorsque j’écris  à seulement 20 ans « je suis papa » c’est tout un labyrinthe qui a vu le jour dans ma tête et cela m’effraie. « Votre petite amie accouchera dans la nuit, dans 6 heures au plus tard » la brutalité de l’annonce m’assomme, la lourdeur des mots m’enfonce, l’inéluctabilité de la phrase m’anéanti, je suis à terre.

            Je ne pensais pas devoir cacher mes larmes derrière de grosses lunettes noires, des larmes aigres comme la matérialisation physique de mes rêves de jeunesse envolés, des larmes de peur de ne pas être à la hauteur, d’abord peur de la vie plus que de la mort et puis peur de la mort tout simplement.

Pourtant les solutions qui s’offraient à moi étaient multiples, pourquoi ne pas fuir plutôt que de faire face à toutes ces questions ? Pourquoi ne pas tout nier, pourquoi ne pas refuser ce qui arrivait, mais il était temps pour moi de voir rejaillir les fondements de mon éducation, ce que mes parents m’avaient transmis et ce qu’il faudra désormais que je transmette, l’humanité et l’amour. Tant de fois je m’étais questionné, tant de fois je m’étais demandé ou allait se situer le point de repère de ma vie, quelque part entre la débauche de celle d’une rock star des années 60 et la pureté de celle d’un moine Shaolin. Finalement, j’ai appris, nous avons des tonnes de vies, autant que nous faisons de plans, et autant que de fois où nous arpentons les routes qui y mènent.

Les taches sont parfois rudes et j‘envisageais déjà la plus importante à laquelle je devais faire face. Il m’incombait désormais de tamiser, à la manière d’un chercheur d’or, les dunes de folie  qui s’amoncelaient devant moi pour pouvoir en retirer seulement les pépites, les grains qui brillent enfouis parmi ceux  qui menacent et ne mènent à rien, les grains qui rendent la vie meilleure et si particulière. Je progresse. Malgré son jeune âge, Léo m’apprend bien plus que ce que j’avais pu imaginer, je suis d’ores et déjà riche, riche d’avoir découvert les vertus de la responsabilité, celle grâce auxquelles je n’ai plus peur du noir, celles qui enseignent le partage, celles qui ne font pas seulement devenir quelqu’un mais plutôt quelqu’un de bien, celles auxquelles il faut que je m’accroche pour voir s’éloigner de moi la terrible et douloureuse impression, quand la faucheuse viendra, d’avoir raté sa vie.

Chaque jour qui m’éloigne de lui, il m’enseigne le manque. Non pas le manque d’un adolescent à qui on refuse d’acheter un scooter, ou qui tomberait en panne de cigarettes en plein milieu d’une soirée, je parle du manque de sa chaire, le manque d’une partie de soi, puisque dans une certaine vision des choses il incarne mon futur, une branche de ma vie qui, un jour, je lui souhaite de tout mon cœur, dépassera l’arbre et contemplera un horizon dégagé sous les chaleureuses radiations du soleil. Je lui apporterai l’amour, il m’apportera la lumière. C’est en ayant un jour gouté à ce manque que l’on reconsidère toutes les choses qui nous tiennent debout, les choses pour lesquelles chaque matin on sourit, reconnaissant envers la vie de nous avoir accordé un de ces délicieux jours supplémentaires. 

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Style : Réflexion | Par curtis | Voir tous ses textes | Visite : 255

Coup de cœur : 12 / Technique : 9

Commentaires :

pseudo : lutece

Ta réflexion est profonde et me touche, s'il est vrai que se retrouver père à 20 ans ne doit pas être facile à vivre, tu portes en toi la sagesse et la maturité que bien des hommes plus âgés n'ont pas et n'auront sans doute jamais! Merci de ce partage émouvant ! CDC

pseudo : curtis

non seulement père à 20 ans, mais je l'ai appris le soir meme de l'accouchement, je n'avais rien remarqué...

pseudo : curtis

petite précision, je ne recherche aucune compassion, simplement je ne pouvais plus garder tout ça pour moi, le partager me fait du bien, merci de me lire.